En exergue de son Homme fatigué[1], Il avait convoqué Zola et Barbara. Pour Le Blues de la blouse blanche, Conversation d’un médecin avec sa maladie[2], dont on savourera l’allitération poétiquement empreinte du spleen cher à Baudelaire, Il cite Le Deutéronome, et dédie ces pages Aux siens. Aux soignants. A ses patients. A Robert Schuman, le père de l’Europe. Et puis encore A son père, ce héros.
Avant de confier la préface… au Professeur Michèle Kessler.
Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille : Les Variations Goldberg en musique de fond. Le lecteur du premier Opus était d’emblée rongé lui aussi par la maladie. Les souvenirs du narrateur devenaient les siens : La faute peut-être aux effets de la pilule verte, vous vous retrouviez, à votre corps défendant, happé dans les cendres d’un monde apocalyptique, de la Rafle du Vel ‘d’Hiv à la guerre des 6 jours, en passant par l’insurrection de Budapest en 1956. Pour arriver, in fine, à la mort dignement choisie. Avec le narrateur-auteur. Prêt qu’il était. Lui aussi.
Jean-Jacques Erbstein nous avait alors confié travailler sur autre chose. Son deuxième roman raconterait l’histoire d’un médecin à qui on trouverait un cancer.
Nous y voilà. L’auteur-médecin généraliste à Créhange invente ici une forme inédite : c’est que des médecins passés de l’autre côté de la barrière, rejoignant ainsi la longue cohorte interminable des douleurs silencieuses, il y en eut pléthore, qui s’essayèrent, à travers la littérature ou le cinéma, à nous dire la chose : Martin Winckler dans La Maladie de Sachs[3]. Marina Vlady et ce bouleversant témoignage sur les derniers jours du professeur Schwartzenberg[4]. Thomas Lilti et son Médecin de campagne. Et tant d’autres.
Le Professeur Michèle Kessler, en préface, y voit un Opéra en 4 actes… ou un drame à deux voix : celle d’une tumeur, Jiminy Crickett de l’enfer, et celle du malade dans le poumon duquel elle s’est sournoisement blottie.
Sauf que le malade est … médecin.
Chronique.
Lui, on le suit, laissant d’abord l’inquiétude aller et revenir, tentant de l’oublier, cette empêcheuse de légèreté.
Se résolvant enfin un jour à aller y voir de plus près.
Se prenant le diagnostic en uppercut.
Partant en guerre.
Elle. Vicieuse. Déterminée. Glaçante. Redoutable de cruauté. Actrice et spectatrice, logée qu’elle est, là, scotchée au cœur-même, et réjouie malignement de cet emplacement si particulier.
Lui. Ne sera jamais plus le même après cette épreuve. Il les sait, désormais, la souffrance extrême, la peur, l’épuisement, les odeurs, la détresse : il les vit.
4 Actes, donc, après un Préambule et une Ouverture : chaque Acte, à la mode du théâtre classique, découpé en scènes, lesquelles, forme d’allégeance au genre romanesque, sont titrées : La Traque. Amputation. Veillée d’armes. Epanodiplose. Gustave-Roussy. Et un Final
Moi je n’ai point vu une conversation
Mais Lui. Héros épuisé. Duquel on se demande s’il ne va pas rendre pas les armes devant l’intensité du combat qui s’annonce. Mais ceux qui l’aiment sont là. Présents. Boucliers.
En embuscade, le traquant, se réjouissant d’une force dont Elle sait l’ampleur, Elle. La bête. L’Alien. Personnage à part entière. Toute consacrée au mauvais plaisir de nuire à son hôte mais pas trop vite : ce monstre de perversité veut que le combat dure. Forcément. Son hôte, elle l’appelle L’autre. Et décrit avec un vice indicible comment elle s’y est prise pour se bâtir un abri, là, se gorgeant de ses sucs délicieux à lui, l’Autre. Et lui prenant Un petit bout de vie par-ci. Un petit bout de vie par-là.
Verdict
C’est quoi ce truc ? Diagnostic. Pronostic. Questionnements. Une tumeur médiastinale. Un thymome. Un lymphome. Une méta cérébrale. Un cancer des ganglions. Le narrateur se promet la fête à la merguez, les réjouissances fromagères, si c’est ça : Toute cette vie de restrictions pour finir en chimio.
Le voilà face aux autres. Auxquels il livre la nouvelle. Leur commisération. Cédant vite à leur égoïsme. Le voilà Se remémorant comment, Lui, il annonça jadis, bien caché derrière l’indifférence professionnelle de sa blouse blanche, le pronostic. Jadis. Lorsqu’il se sentait immunisé.
Nous avions eu notre quota de souffrance il y a soixante-dix ans.
Fermeture du cabinet.
L’attente. A laquelle il va bien falloir qu’il se fasse, à son tour. Un sarcome, dit le PET scan
Un sarcome ?
Elle, elle n’en espérait pas tant. D’ailleurs, ça ne la satisfait pas.
Lui, médecin donc enquêteur, pratique l’évidence based medecine.
Bloc opératoire. Objectif prélèvement.
Elle : qui n’a pas apprécié : ils ont osé ! Mais elle a pris de l’assurance, arrimée qu’elle au gros machin qui cogne. Si sûre d’Elle désormais.
Révélations : il a écopé d’un carcinoïde neuroendocrine thymique de bas grade
La dernière scène de l’Acte I s’adresse à Elle : Ite missa est. Moi je vais vivre.
Deux veillées d’armes ouvrent l’Acte II :
Elle, déterminée.
Lui, attendant The big one.
Elle ne rendra pas les armes lors du Choc au bloc, alors que Lui se réveille, en réa, aux prises avec l’odeur de l’hôpital jadis familière mais qui, cette fois, l’insupporte. On lui montre la tumeur. Qui a endommagé l’enveloppe du gros truc qui cogne.
Soins intensifs. Heures rythmées par le bruit des appareils de surveillance. Il découvre ce monde où seules les constantes priment. Où les états d’âme des patients n’intéressent pas les soignants. Faute de temps.
Les alarmes s’affolent. Arythmie et cordarone. Planer. Je suis le vide, écrit-il
Le chapitre s’intitule Désolation. Et celui d’après Epanadiplose. Ma journée type est une épanadiplose. Comme dans les tragédies grecques. Elle se finit toujours comme elle a commencé : au lit, immobile et misérable. Misérable. Dépendant. La douche de laquelle on se prend à rêver obsessionnellement, flirtant avec l’extase. Ces menus gestes du quotidien. Devenus promesses.
Visite à Gustave Roussy et ses enfants touchés frappés. Ode au Grand Professeur qui appréciera le beau travail de la consœur, le Docteur Chavalier, choisie avec le cœur. Et ce memento mori désormais tapi en lui.
Reprise des consultations. La rumeur a fait chemin à Créhanges
Le docteur Bertines is back. Tâcheron balzacien au cul des vaches. Le plus petit gradé de la prestigieuse hiérarchie des toges noires. Sauf que la vie est passée par là. Il veut désormais faire profiter un jeune médecin de ses vingt ans d’exercice. Et de ce qu’il a vu et compris. Compris, sinon appris, durant la maladie. Lui aussi désormais sait. Sait ce qu’est une vie qui s’opacifie à l’approche des examens programmés. La shoah par balles. La fosse de Bibi Yar. Il partage avec ses patients quelque chose désormais.
Toc Toc Me revoilà. Ç’eût été trop beau. Elle est revenue.
L’Homme fatigué écoutait la première rapsodie hongroise et sa couleur slave, mélancolique et désespérée …
Le Blues, c’est Le Mal de vivre de Barbara …. En s’achevant par le dernier couplet : Viens la vivre, la Joie de vivre, me confie Jean-jacques Erbstein.
Le style n’a pas changé. Incisif. Apre. Juste. Elégant. Sobre. Jean-Jacques Erbstein est un écrivain. Un philosophe. Et il va bien. Quel sera le cinéaste audacieux qui fera, de cet opéra, un film.
Sarah Cattan
[1] Prix Littré 2017.
[2] Les Passagères.
[3] La Maladie de Sachs. Martin Winckler. Folio. 2005. dans
[4] Sur la plage, un homme en noir . Marina Vlady. Fayard. 2006.
Très belle écriture Sobre Clinique Pudique Réelle Vraie
Un petit lapsus il s’agit de Baby Yar la fosse à Juifs (une seule balle pour la mère et l’enfant – économie oblige…)
Bibi Yar serais-ce une démonisation subconsciente de Netanyahu
Oh la coquille cher Sergio! D’autant que je vous di un jour récent fait la critique du bel et triste essai d’Anastasio Karababas sur le sujet.
LOL pour Bibi
Qui est loin d’être ma référence
Mais je n’attaque pas avec la meute.