Dans une précédente HUMEUR » Histoire iconoclaste « , j’ai clairement affirmé mon opposition à toute velléité d’imposer une lecture des textes de l’Islam.
« Je ne vois pas comment retrouver la fonction symbolique du Coran sinon en rendant le sens à son obscurité, c’est à dire en renvoyant le Texte à son infini, ce qui ferait de son interprétation une tâche perpétuelle, jamais achevée, toujours recommencée, loin des vérités naïves et des évidences fallacieuses qui fanatisent les foules », nous suggère Abdelwahab MEDDEB.
L’ HUMEUR de ce jour s’apparente à une ballade en pays de croyance, de foi, de spiritualité… La question sous-jacente étant de savoir si on peut croire à tout ce qu’on veut. Sujet complexe si l’on est, mais essayons quand même d’y voir plus clair.
1 – Je suis musulman à ma façon et il serait certainement vain, insensé, voire impudique de prétendre la définir ; d’autant que, cette religion qui se donne à comprendre comme celle de la pudeur, « la pudeur fait partie de la foi (el haya’ou min el iman) » stipule un Hadith du prophète, permet à l’individu l’exclusivité du rapport à Dieu ; rapport qui se passe très bien d’une quelconque médiation du groupe.
L’Islam que je revendique est plus une culture et une civilisation qui a donné sa part au patrimoine universel ; c’est la religion de Gahiz, d’Averroës, d’Ibn Khaldoun, d’Abdelkader l’algérien et son maître Ibn Arabi, de Taha Hussein et des nouveaux penseurs de l’Islam.
C’est l’Islam de l’autre, de l’ailleurs et de la mondialité.
La foi, la croyance, la spiritualité, dans notre culture, comme d’ailleurs dans toute culture, ne se clament pas, elles se vivent, ai-je déclaré dans une de mes conférences.
2- « Le vœu de tirer les exposés sur l’Islam de la malveillance ou du moins des stéréotypes où ils sont très souvent enfermés a été formulé bien des fois. Il procède à mon sens, de l’évidence même » nous chuchote Jacques BERQUE.
A lire toute la littérature qui souvent procède d’une lecture forcée de versets belliqueux, violents, sans se donner la peine de les contextualiser, voire historiciser, et pourquoi pas, aborder toutes les interprétations possibles ; l’on est incité, sans pour autant les nier, à rappeler des versets que je qualifie d’humanistes dont la vertu est précisément d’apporter la contradiction, et en tous cas d’ouvrir la guerre des interprétations. (Tiré de mon livre, j’en ferai une présentation une prochaine fois).
3 – Le salafisme est une imposture, ni le coran, ni le prophète n’en parlent. Les Salafs (pieux prédécesseurs) sont une construction des hommes, pour la bonne raison que dès la mort du prophète, il y a eu une lutte implacable de pouvoir pour s’attribuer l’héritage. Il faut rappeler que les trois derniers califes sont morts de violence. Donc la question est éminemment politique. C’est pour cela que s’impose la fonction subversive et transgressive du contre-discours, c’est dans cette démarche que je me situe. Il faut ôter l’argument islam aux islamistes et les déposséder du monopole du sacré.
4- Encore une fois, le Salafisme c’est un choix délibéré des hommes qui ne sont mus, faute de contenu rationnel et mobilisateur, que par l’instrumentalisation de la religion et de son messager à des fins de pouvoir.
Loin de l’incantation fruste et vulgaire, il y a des paroles qui célèbrent la beauté et la douceur, la science et le savoir, l’esthétique et le raffinement, la contemplation et la spiritualité, le commandement du bien et l’éloignement du mal…
Voilà qui est nettement plus apaisant, plus rassurant, et qui remet en perspective l’Homme comme être pensant, doué de raison, et donc capable de discernement.
Le choix des versets et des hadiths (paroles du prophète) sur lesquels je reviendrai est dicté par la nécessité de déconstruire le discours des islamistes concernant des questions récurrentes dans leur logiciel ; il en est de la laïcité, du rapport aux non musulmans et aux mécréants, de l’obsession de la place des femmes, et enfin de l’hystérie des interdits…
Mais aussi par la nécessité de la critique du discours sur le discours qui, souvent, joue le rôle de relais, sinon de validation.
L’essentiel étant d’être conscient, comme le dit opportunément Jacqueline Chabbi, qu’on « peut faire dire à un texte religieux ce que l’on veut ».
Cela concerne toutes les religions ; mais si on n’est pas mal intentionné, peut-être eût-il été plus salvateur, plus constructif, plus respectueux de mettre cette latitude à interpréter sur le compte de la complexité du texte.
Et d’ailleurs que serait une foi, une croyance, ou toute spiritualité, si elle était déliée du principe de complexité ?
Je souhaite terminer ce billet en revenant à un grand Monsieur de l’histoire Algérienne, l’Emir Abdelkader. Quelqu’un qui parle à Dieu, et qui répond aux questions qu’il lui a posées.
» je suis dieu, je suis créature; je suis seigneur, je suis serviteur
Je suis le trône et la natte qu’on piétine; je suis l’enfer et je suis l’éternité bienheureuse
Je suis l’eau, je suis le feu; je suis l’air et la terre
je suis le combien et le comment; je suis la présence et l’absence
je suis l’essence et l’attribut; je suis la proximité et l’éloignement
Tout être est mon être; je suis le seul, je suis unique »
Y a-t-il un rapport avec le discours salafiste de Qaradhaoui et ses épigones? J’ai ma réponse, à vous de vous forger la vôtre, c’est permis, c’est même recommandé, c’est HALLAL!
Je vous laisse savourer, tout le monde descend, la ballade au pays de Dieu est finie.
Une bonne journée!
Au prochain délire!
Khaled Slougui
Le texte de Abdelkader témoigne du haut degré de sa réalisation spirituelle, et ne peut d’ailleurs être pleinement reçu que par les êtres humains vivant dans un même état d’accomplissement.
Mais nous sommes là, et c’est un point fondamental,au-delà de tous les déterminismes et dogmes religieux.
Votre commentaire est d’une grande pertinence et, – ce qui à mon humble avis est important -, il met le point sur la différence fondamentale entre un texte et son interprétation et/ou sa réalisation, voire même sa transformation et/ou son oubli.
Je suis juif comme vous êtes musulman, et à ce titre nous sommes cousins par Ishmael (ישמעאל) et Itz’hak (יצחק) Que la paix soit sur vous, cousin 🙂
« Cherche la grandeur, même en Enfer, et fuis la bassesse, fût-elle au paradis ! » écrivait le poète Al-Mutanabbi (915-965). Le paradis des salafistes doit être l’enfer de tous les hommes de bien, qu’ils soient musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes, agnostiques ou athées.
Merci à vous pour ce commentaire qui remet des choses à leurs places. Nous en arrivons à ce qu’a dit le Président Al Sissi lors de son intervention à Al Azhar, intervention courageuse : « Il faut réformer le Coran. » Et il sait mieux que personne de quoi il parle. Je veux croire que le Coran peut être réformable, la preuve en est de certains mouvements minoritaires tels que les druzes, les soufistes, les ismaéliens (ne pas confondre avec les ismaélites qui sont salafistes-frères musulmans), etc. Jeune, à l’époque d’Hassan II, j’ai eu des amis marocains qui étaient ismaéliens. Ils faisaient partie d’un mouvement créé par un immam du nom d’Ismael. Malheureusement, ils étaient peu nombreux ; aujourd’hui, ils sont « écrasés » par les frères musulmans, on pourrait dire qu’ils sont en voie de disparition. Là, est le drame.
Alors, cher monsieur Khaled Slougi, le Coran est-il réformable ou pas ? Al Sissi semble s’ y casser les dents…