Ce matin je me suis levée en décidant de partir, tout quitter comme on dit. Ce jour sera le mien, je largue les amarres et décrète Journée Personnelle du Tourisme. Ma destination sera New York. Alors, je m’équipe de l’indispensable casquette de baseball, d’une gourde d’eau et active vigoureusement la fonction photo du portable.
Je descends de chez moi et alors que partout le jour reprend ses droits sur la nuit et que tous empruntent le chemin de la subsistance, moi, déterminée, prends la direction de Central Park.
Arrivée sur place, je descends faire le grand tour de la mare aux canards et là, suis emportée par un véritable ouragan, un office œcuménique de coureurs, un minyan universel où il y en a pour tous les goûts.
Et d’un, de deux, de trois tours, moi j’en suis toujours à mes premiers mètres mais revigorée, j’accélère et accompagne de quelques pas brefs chaque groupe.
Le premier, le plus déterminé, le groupe 2.0, armé de la tenue du jogger assumé et du compteur à pulsations, une voix très « brushing » expliquant « y a vraiment une carte à jouer sur ce coup-là, non mais faisons d’abord le business plan, et allons mobiliser les partenaires en leur expliquant qu’ils ne peuvent pas ne pas y aller avec ces ratios invest … » , une contribution certes essentielle à la prospérité et je les en remercie mais aujourd’hui ces mots sont pour moi à faire frémir un canard en pleine canicule.
Alors je passe au second groupe, celui de la force tranquille, « non mais tu vois l’essentiel, c’est que tu puisses articuler les différentes phases du quotidien en toute harmonie, viens donc au yoga, ça apporte beaucoup tu sais et puis y a un petit groupe sympa qui s’est formé tu verras… ».
Puis le troisième, mon préféré, celui des « braves », ceux qui sont complètement en dehors de la culture jogging mais qui doivent penser (à juste titre) que c’est quand même bon pour la santé et que bon…il faut bien s’adapter et faire comme tout le monde, ceux-là on les reconnaît à l’espèce de serviette de bain sur la tête, comme une nostalgie pour le salon de coiffure années 80, et la combinaison synthétique aux couleurs chatoyantes, moi je les suis, faut dire que ce n’est pas très dur.
Après l’effort, le réconfort, je sors de Central Buttes Chaumont, et me dirige vers le Lincoln Second Empire. J’y commande – tourisme oblige – un café américain. Ici aussi se trouvent de petits groupes mais qui « opèrent » toujours en toute convivialité. Celui de la lutte sociale au comptoir « Aaah mais c’est vraiment l’impunité pour ceux d’en-haut.. », un autre suggérant de faire profiter les retraités vivant en centre-ville du calme de la banlieue et ramener les actifs de la banlieue en centre-ville pour se rapprocher du travail comme ça tout le monde s’y retrouve ! » et puis de l’autre côté, le groupe en salle de constater « non mais la population du quartier a totalement changé depuis dix ans que j’habite là, ça s’est vraiment boboïsé, (puis dans un accès de lucidité) mais c’est sûr que nous aussi on en fait partie, enfin voilà quoi, … ». C’est fou ce que les discussions sont les mêmes partout dans le monde !
Là, je poursuis le rituel touristique, change de quartier et me rends, shopping oblige, dans une de ces petites boutiques gentrifiées où j’observe une jeune femme semblant prise d’une hésitation extatique entre un édredon en coton piqué jaune moutarde et un autre en velours bleu pétrole, puis sur ma gauche un élégant monsieur d’âge mûr paraissant souffrir, vraiment souffrir, de trouver ce petit nécessaire à cirer tellement irrésistible, « mais prends le bon sang » !!!! ai-je envie de lui dire. Quant à moi je ressors avec un verre, un joli verre à pied pour trinquer parce que sait-on jamais, une occasion se présentera peut-être sous peu.
Et d’ailleurs, je prends tout droit la direction du Brooklyn hassidique, le « Little Rue Petit » et là, longeant la grande école de laquelle sortent d’énergiques proclamations ancestrales, et passant par le boucher du « Shtetl », je me rends au libraire où des étagères pleines à craquer proposent un océan de réflexion sur tous les sujets et …pour tous les « sujets ». « Que celui qui a faim vienne et mange » dit la Haggada, que celui qui cherche à savoir entre et pense… Je ressors avec une bande dessinée du grand « Rabbi Chmouel Hanaguid » qui de condition modeste et par des aptitudes intellectuelles et morales exceptionnelles devint le célèbre savant, poète, et gouverneur d’Espagne à propos duquel il est dit que sur son encrier était gravé « la sagesse de l’homme se reflète dans son écriture, et son intelligence dans l’usage de sa plume ; ainsi l’homme peut accéder jusqu’au sceptre royal, par sa plume et l’art de s’en servir ». A bon entendeur.
Satisfaite de mon achat, je finis mon périple à la pâtisserie d’à côté. Et ici comme à Paris, une masse compacte qui fait office de queue avec ces regards chargés de sous-entendus « vous faites la queue ? » « Euh oui, mais dans quel sens je l’ignore… », Eh bien qu’importe, allons-y tous ensemble au comptoir ! Qui sait, peut-être que la mer s’ouvrira une seconde fois ! Pour moi, ce sera un strudel, Ah vous n’en vendez pas ?! Il faudrait aller rue des rosiers ? mais moi je suis à New York comprenez-vous ? Aucune importance, je ressortirai avec un fourré aux figues, après tout c’est pareil pour celui le décrète !
Dans ce « Little Rue Petit », beaucoup de rires, de plaisanteries, mais pourquoi donc ces gens ont-ils l’air tellement réjouis ?!! peut-être parce qu’ils y croient après tout ! mais à quoi ? eh bien à ce qui précisément semble tant les réjouir !
Quant à moi, éreintée de cette journée de tourisme, je retourne à mon Waldorf Astoria, avec le fourré aux figues et mon verre à trinquer, je demanderai au groom une bouteille d’alcool de figue, remercierai pour cette autre année accordée sur terre (oui, c’est mon anniversaire), et prierai pour que nous soit préservée à tous la douceur et épargnée la souffrance. Il paraîtrait que j’aurais désormais, selon les Maximes des pères (pour les plus motivés, chapitre 5, verset 25), atteint l’âge de « l’intelligence » mais pas encore celui de « l’aptitude au conseil », mais je vais tout de même prendre un peu d’avance et vous recommander de profiter de ce que Maimonide appelait la puissance de l’Esprit.
Bon voyage à tous et qui sait peut-être nous croiserons-nous ; après tout, « le monde est Petit » …
Dina Messica
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