Une survivante de la Shoah plaint les antisémites qui “gâchent leur vie” à haïr

Face à la résurgence de l’antisémitisme dans le monde, Edith Eger, qui a survécu à la Shoah et a vu sa mère emmenée vers la chambre à gaz, dit plaindre ceux qui “gâchent leur vie” à haïr.

Edith Eger

Mme Eger, qui à 91 ans continue à exercer son métier de psychologue et à enseigner, n’avait que 16 ans quand elle et sa famille ont débarqué dans le camp de la mort d’Auschwitz où elle a été forcée de danser pour le tristement célèbre docteur Joseph Mengele.

Lors d’une interview à l’AFP à Lausanne, où elle a donné une conférence, elle a confié avoir de la peine pour les victimes des discours de haine, mais qu’elle était particulièrement attristée par ceux qui sont consumés par le fanatisme.

On ne devrait “pas gâcher sa vie à haïr”, affirme-t-elle.

Née en Hongrie dans une famille juive, elle avait été déportée en 1944 avec ses parents et l’une de ses deux soeurs dans un wagon à bestiaux vers Auschwitz.

Elle se souvient de la pancarte au-dessus de l’entrée du camp qui proclamait “Arbeit macht frei” (Le travail rend libre).

“Mon père m’a dit: ‘Tu vois, nous allons juste travailler et rentrer à la maison'”, dit-elle avec un sourire triste.

“Ce n’est pas ce qui s’est passé. Mon père et ma mère ont été envoyés vers la chambre à gaz”.

– Danser pour Mengele –

Mme Eger, une gymnaste accomplie et une danseuse qui, avant-guerre, s’était produite devant le président hongrois, a été forcée de danser en l’honneur du docteur Mengele, qui se livrait à des expériences médicales atroces sur les détenus.

“J’avais très peur parce qu’il est entré dans notre baraquement et a réclamé un spectacle. Ce sont mes amies qui m’ont poussé devant lui”.

“Je ne savais pas qui il était. Alors j’ai fermé les yeux et imaginé que je dansais sur la musique de Roméo et Juliette de Tchaikovsky à l’Opéra de Budapest”, a raconté cette arrière-grand-mère.

Elle dit avoir tiré sa force des paroles que sa mère avait prononcées dans le wagon qui les conduisait vers le camp de la mort: “Souviens-toi que personne ne peut prendre ce que tu as dans ta tête”.

“Et elle avait raison. Ils m’ont tout pris, mais les Nazis n’ont jamais pu tuer mon esprit”.

A la fin de la guerre, en pleine débâcle allemande, la jeune fille avait été retrouvée blessée sous un monceau de cadavres.

Pendant de longues années, elle s’est efforcée d’oublier Auschwitz.

Et il y a deux ans, elle a publié un livre de mémoires, “The Choice” (“Le choix d’Edith”, en français), dans lequel elle conseille de regarder le passé en face afin de pouvoir avancer, et de choisir l’amour et le pardon au lieu de la haine.

“J’ai commencé mon travail de pardon quand j’ai revisité Auschwitz”, a-t-elle confié, ajoutant qu’elle avait finalement “commencé à se pardonner d’avoir survécu”.

– Cauchemars –

Les souvenirs douloureux ont resurgi, dit-elle, quand elle a vu l’an dernier les Etats-Unis, son pays d’accueil, adopter sous la pression du président Donald Trump une politique de séparation des migrants et de leurs enfants à la frontière avec le Mexique.

“J’en ai fait des cauchemars. Quand j’ai vu des parents séparés de leurs enfants, je me suis revue moi-même séparée de ma mère. Je n’ai pas oublié”.

Devant le tollé international soulevé par cette politique, l’administration américaine a mis fin en juin dernier au tri des migrants illégaux.

Ces images ont ravivé “des souvenirs très, très tristes”, a reconnu Mme Eger.

Malgré ses inquiétudes face à la montée des violences dans le monde, elle veut rester optimiste.

Mme Eger dit qu’elle se considère comme un guide qui peut aider les gens à passer “de l’obscurité à la lumière, de la victimisation à la responsabilisation”.

“On peut s’habituer à la colère et vivre la vie d’une victime. Je refuse ça. J’ai été victimisée. Ce n’est pas ce que je suis, c’est ce qu’on m’a fait”.

“C’est merveilleux d’être en vie”, a-t-elle confié. “D’être la mère de trois enfants, la grand-mère de 5 enfants et l’arrière-grand-mère de 5 garçons. C’est une belle revanche sur Hitler”.

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