Agrégée de Lettres modernes, ancienne élève de l’École normale supérieure de Fontenay Saint-Cloud, Isabelle Barbéris est Maître de conférences en arts du spectacle à l’université Paris Diderot et chercheuse associée au CNRS. Elle est l’auteur aux PUF de L’art du politiquement correct.

À la Sorbonne, une représentation des «Suppliantes» d’Eschyle a été empêchée par des militants indigénistes, qui protestaient contre le maquillage et les masques portés par des comédiens blancs. Qu’en pensez-vous ?
Isabelle BARBÉRIS.- C’est non seulement un énorme contresens sur l’œuvre en question, signe d’une inculture galopante, mais c’est surtout une forme de racisme! Présupposer que, parce qu’ils sont blancs, des acteurs grimés en noir le font nécessairement pour moquer les personnes de couleur ou pour les inférioriser, c’est une manière d’essentialiser la question raciale. Cela n’a donc rien d’antiraciste, et c’est même assez ridicule. Il s’était déjà passé quelque chose de similaire cet été, lorsque Robert Lepage et Ariane Mnouchkine ont failli annuler «Kanata»: des voix, relayées en France de manière virulente par les artistes décoloniaux, avaient dénoncé l’absence d’autochtones dans la distribution de ce spectacle sur l’histoire du Canada. L’intimidation a marché, puisque le Conseil des arts du Canada a décidé de ne plus financer la pièce, ce qui a porté un coup terrible au projet. Cela alors même que les metteurs en scène ont rencontré leurs détracteurs, et ont levé le doute sur leurs intentions, qui étaient tout sauf racistes. Le scénario est toujours le même: des procès d’intention qui évacuent complètement le propos et surtout la forme de l’œuvre – bref le sujet même de l’art – au profit d’obsessions sur l’appartenance ethnique de l’auteur ou de l’interprète: ce fut le cas pour Exhibit B , parmi d’autres exemples, très nombreux. Le système d’accusation est pervers – destiné à rendre fou – car il ne laisse aucune issue: si l’acteur blanc se grime, il se rend coupable de «blackface»… S’il ne se grime pas, on le clouera au pilori pour «colorblindness» ou «whitewashing». Le fait que tous ces mots soient importés participe bien entendu à l’intimidation et à la cacophonie.
Source et article complet : Le Figaro.fr