Daniel Benhaïm a terminé, ces jours-ci, son mandat à la tête de l’Agence Juive en France. Il laisse la place à Ouriel Gottlieb mais ne quitte pas pour autant le secteur, puisqu’il continuera à œuvrer , depuis Israël, au sein de l’Agence Juive, pour l’alya française.
Il dresse pour LPH un bilan de ce mandat et livre son analyse du terrain à la lumière des événements antisémites en France et des débats autour de l’intégration des olim en Israël.
Le P’tit Hebdo: Dans quel état d’esprit quittez-vous votre poste de directeur de l’Agence Juive en France?
Daniel Benhaïm: Je ressens d’abord une immense joie d’être rentré à la maison, en Israël. Le bonheur de se lever et de se coucher dans notre pays est irremplaçable.
C’est aussi le sentiment d’avoir eu un mérite particulier, pendant toutes ces années, qui m’accompagne: j’ai pu être aux côtés de la communauté juive de France, participer à l’écriture de l’histoire du peuple juif en voyant les prophéties se réaliser.
Lph: Prenez-vous comme un échec, la baisse continue de l’alya des Juifs de France depuis le pic des années 2014-2015?
D.B.: On a beaucoup entendu ces derniers temps qu’Israël aurait raté une occasion historique, passerait à côté de 200000 Juifs de France prêts à faire leur alya.
Bien entendu, nous aurions souhaité que les chiffres de l’alya se renforcent et au minimum ne diminuent pas. Mais il faut comprendre que cette baisse est consécutive à une hausse vertigineuse et que nous avons retrouvé depuis, des chiffres supérieurs à ceux observés avant 2014. C’est l’humain qui est au cœur de l’alya, il ne s’agit pas d’une chaine de production dont on déterminerait la cadence. Chaque année est différente.
Je ne partage donc pas l’idée que nous aurions raté une occasion historique. Ce chiffre avancé de 200000 Juifs de France prêts à faire leur alya est utilisé pour faire les gros titres mais ne correspond pas à la réalité. Ils ne sont pas autant à attendre, valise à la main, que le gouvernement israélien améliore les conditions d’intégration, pour monter dans l’avion.
Lph: Pourtant, on entend souvent dire que c’est l’incertitude quant à l’emploi, au logement ou à l’éducation qui bloquent les ardeurs?
D.B.: L’alya demeure un sujet d’actualité au sein de la communauté juive de France. Elle est aussi au cœur des préoccupations du gouvernement israélien et le sera toujours après les élections. Néanmoins, je ne pense pas qu’il soit judicieux de lier intrinsèquement alya et intégration. Prenons l’exemple de la reconnaissance des diplômes. Celui de dentiste a été reconnu par le gouvernement israélien. Il s’agit d’une injustice qui a été réparée puisqu’il n’y avait aucune raison objective pour qu’un dentiste formé en France ne puisse pas exercer en Israël. Pour autant, a-t-on observé une augmentation de l’alya des dentistes français? La réponse est non. On cite souvent l’organisme américain Nefesh B’ Nefesh comme exemple, pour son action en faveur de l’intégration des olim. Notons que depuis sa création le nombre d’olim en provenance des Etats-Unis n’a pas pour autant augmenté.
Ce que je souligne c’est qu’il n’y a pas de lien évident direct entre conditions d’intégration et passage à l’acte. Les associations d’olim font un travail remarquable et fondamental pour promouvoir l’intégration des olim mais ce n’est pas là l’explication d’une alya française moins importante qu’espérée.
Lph: Quels sont ces freins?
D.B.: Il n’y a pas suffisamment de Juifs en France qui sont convaincus que l’histoire juive se joue en Israël. Le principal obstacle à l’alya reste le manque de motivation. Je ne porte aucun jugement, je ne fais que constater les réalités du terrain. Dire que ce sont les difficultés d’intégration qui empêchent l’alya revient à déresponsabiliser les Juifs de France dans ce processus, qui est personnel. C’est leur donner un prétexte supplémentaire. L’intégration doit être un combat mais l’encouragement à l’alya passe surtout par un travail auprès des Juifs de France sur l’identité, l’éducation. Contrairement à ce que peuvent penser ceux qui ont fait leur alya, ce pas n’est pas encore une évidence pour les Juifs qui vivent en France, bien que très attachés à Israël.
Lph: Comment stimuler cette motivation?
D.B.: Le plan gouvernemental qui doit être mis en œuvre devrait comprendre deux volets. L’un sur l’intégration et l’autre sur les démarches éducatives auprès des Juifs de France. Bien sûr, une bonne intégration renvoie une image positive de l’alya mais il faut avant tout travailler sur la conviction. Le mouvement sioniste est très présent chez les Juifs de France mais il est parallèlement sapé par certains milieux dont le monde orthodoxe et celui des Juifs que je qualifierais de ”républicains à outrance”. C’est donc sur un renforcement de l’idéal sioniste qu’il convient d’agir.
Lph: Comment?
D.B.: Si j’ai un regret au terme de mon mandat, c’est de ne pas avoir réussi à maintenir l’alya des 18-30 ans à un bon niveau ces dernières années. Ma grande déception a été de voir que les courbes de cette alya suivent exactement celles de l’alya générale. Les programmes MASSA ont vu leur nombre de participants diminuer. L’absence de motivation des parents a gagné les enfants. J’aurais voulu qu’au moins les jeunes, qui sont à des périodes charnières de leur vie, concrétisent ce projet. Lorsque je parle de travailler en profondeur les convictions, je pense surtout à la jeunesse. A leur âge, l’alya est un projet qui comporte beaucoup moins d’inconnues et qui leur ouvre de grandes perspectives. C’est d’ailleurs, l’une des missions que je continuerai à remplir: développer les programmes éducatifs dans les écoles juives de France, à l’image du Bac Bleu Blanc.
Lph: L’augmentation des actes antisémites est-elle à la base, aujourd’hui, du projet d’alya des Juifs de France?
D.B.: Je ne suis pas convaincu que le climat actuel se traduira dans une augmentation des chiffres de l’alya. Le Juif de l’exil s’accommode en général de la réalité, soit en la contournant – en quittant certains quartiers, certaines écoles et en se regroupant dans des ghettos – soit en adoptant une posture d’excuse permanente.
Cela étant, le mouvement des Gilets Jaunes a mis en lumière les difficultés quotidiennes qui traversent la société française. Ce sentiment d’étranglement et l’atmosphère générale s’infiltrent au goutte à goutte dans les esprits, ce qui finira par avoir un impact. La plupart des gens savent que la probabilité d’un avenir meilleur est mince.
Lph: Pour finir, quelles sont les réalisations qui ont marqué votre mandat et qui porteront encore leurs fruits pour une plus forte alya dans les prochaines années?
D.B.: J’étais, pendant mon mandat, un maillon de la chaine, une pièce dans un collectif qui agit ensemble pour favoriser et encourager l’alya des Juifs de France. Ces dernières années nous ont fait prendre conscience des différents visages de cette alya et nous a placés devant la nécessité d’y apporter une réponse, à chacune de ces formes. Je me suis attaché à humaniser au maximum le processus, les procédures. J’ai aussi eu le sentiment que le gouvernement était de plus en plus impliqué dans la relation avec les Juifs de France. L’alya est devenue, en Israël et en France, un sujet central, et pas que pour les Juifs, d’ailleurs. Pour moi, se déroule devant nos yeux le processus du Retour, nous y participons et c’est un mérite que nous ne devons pas négliger.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
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