Shabbath Shalom שבת שלום !
J’interrompe momentanément cette semaine mes souvenirs d’enfance « De mon temps… » pour me pencher sur une actualité inquiétante, tant en France que dans le reste du monde. Je veux parler de ce que l’on est convenu d’appeler la « résurgence » de l’antisémitisme, la bien nommée puisque cette expression signifie que le phénomène n’avait pas complètement disparu, mais qu’il réapparaît, plus vivant que jamais, alimenté simultanément par ses composantes traditionnelles qui, jusqu’ici, s’étaient succédées dans le temps de l’histoire.
Il me plaît de rappeler à ce sujet, pour égayer un moment mon propos, une autre résurgence célèbre qu’on enseignait de mon temps (!) en géographie, celle de la Loue, rivière de 122 kms traversant les départements du Jura et du Doubs. On ne découvrit qu’en 1901, à l’occasion d’un incendie de la distillerie Pernod de Pontarlier qui obligea les pompiers à déverser dans un puits 600.000 litres d’absinthe (hautement inflammable), qu’une des sources de la Loue provenait du Doubs après un long passage souterrain, car trois jours après cette opération, les eaux de la rivière étaient colorées du jaune de l’absinthe !
Résurgence donc de l’antisémitisme sous des formes particulièrement répugnantes car porteuses des pires clichés véhiculés à travers les siècles à l’encontre des Juifs. Un antisémitisme qui s’affiche désormais sans vergogne et sans qu’apparemment on ne puisse lui opposer de résistance. Situation paradoxale où jamais la législation ni les pouvoirs publics n’ont été aussi répressifs en la matière. Et pourtant, les vieux poncifs réapparaissent au grand jour, évocateurs de sinistres souvenirs. Les auteurs de ces profanations mémorielles savent parfaitement où toucher nos consciences blessées.
Je n’ai voulu retenir que trois de ces actes qui viennent tout récemment d’empester l’actualité sociale rendant inaudibles des revendications portées par des hommes et des femmes qui n’en sont pas directement responsables, mais dont le mouvement a pu libérer certains vieux démons. Ces trois actes sont : la destruction de deux arbres plantés à Sainte-Geneviève-des Bois, là où le corps agonisant d’Ilan Halimi a été découvert le 13 février 2006 après 24 jours de martyre ; des croix gammées sur les portraits d’artiste de Simone Veil ornant deux boîtes aux lettres dans le 13ème arrondissement de Paris ; enfin l’inscription juden sur la vitrine d’un établissement de restauration de bagels. Trois actes qui sont autant de symboles et qui surviennent dans un contexte, tant français qu’international, alarmant.
Ilan Halimi, 23 ans, enlevé le 21 janvier 2006, séquestré et torturé dans un local d’une HLM de Bagneux (Hauts-de-Seine) par le « gang des barbares » comme s’intitulaient eux-mêmes une vingtaine de jeunes sous l’autorité de Youssouf Fofana. Le but de ces enlèvement et séquestration était d’obtenir une rançon de la famille d’Ilan censée être riche puisque juive. Les faits sont horribles ; l’opinion publique en fut bouleversée ; le procès qui s’en suivit condamna les différents coupables à de lourdes peines. Ilan Halimi fut inhumé en Israël comme, depuis, d’autres victimes juives de la barbarie antisémite. Une plaque fut apposée au cimetière de Bagneux à sa mémoire. De nombreux lieux publics lui furent dédiés. Cette plaque et nombre de celles marquant et fustigeant ce crime antisémite furent régulièrement taguées et remises en état par les municipalités concernées. Cette semaine, à un jour du treizième anniversaire de la mort d’Ilan Halimi (13 février 2006), des inconnus s’en sont pris à un symbole émouvant autant que fort qu’avait imaginé la mairie de Sainte-Geneviève-des-Bois en plantant dès 2006 un premier arbre à sa mémoire, puis en 2016, pour le dixième anniversaire du crime, un deuxième arbre. Si l’on songe qu’en hébreu ilan signifie arbre, c’était là une magnifique façon, à la fois de perpétuer la mémoire du jeune homme, et de lancer vers les générations à venir un signal d’espérance. Ce sont ces deux arbres qui ont été sectionnés en même temps que disparaissait le portrait d’Ilan Halimi qui y était suspendu.
Deuxième symbole puissant auquel s’en est prise la haine antisémite ces jours-ci : des croix gammées tracées sur deux boîtes aux lettres de Paris ornées du portrait de Simone Veil réalisé par un artiste en street art, Christian Guémy. Simone Veil, c’est avant tout le symbole de la déportation des Juifs (dont elle fut avec les siens) entré au Panthéon l’an dernier. Par ce geste, l’auteur de ces croix gammées ne se révèle pas seulement un de ces trop nombreux vandales qui s’en sont pris depuis quelques semaines à des symboles de la République, mais à un véritable antisémite, sans doute l’un de ceux qui regrettent qu’hitler n’ait « pas fini le travail ».
Troisième symbole insupportable : une inscription, parmi d’autres, à la peinture jaune (la couleur n’est pas innocente) – JUDEN – sur une vitrine faisant commerce de bagels dont chacun sait que c’est une spécialité juive (délicieuse surtout au pickel). Bien sûr, comment ne pas penser aux devantures de magasins juifs en Allemagne après la promulgation des lois de Nuremberg en 1935 (photo ci-contre) ? Là encore, comme dans le cas précédent, la référence à la Shoah est évidente, tant par le choix de la langue utilisée que la couleur de l’inscription.
Vous le savez bien, j’aurais pu multiplier pas dix les exemples que je viens de citer, révélateurs s’il en était encore besoin de cette résurgence qui, contrairement à celle si gracieuse de la Loue, n’a rien de bucolique. C’est au contraire celle d’un sentiment aussi vieux que le monde, recuit et ressassé, décliné en autant de versions qu’il en compte de représentants à travers l’histoire et la géographie des hommes.
Nous savons aussi que cet antisémitisme qui marche à visage découvert est réapparu dans d’autres pays à travers l’Europe et le monde. Si, en France, les actes antisémites ont augmenté de 75% en 2018 par rapport à 2017, nos voisins allemands constatent une même courbe ascendante de 10% avec 1646 actes en 2018. En Angleterre, nous savons combien l’antisémitisme/antisionisme s’est infiltré au cœur et jusqu’à la tête du parti travailliste. Certes, les actes y sont moins nombreux que de ce côté de la Manche, mais les propos et les manifestations y sont d’une extrême violence. Les Etats-Unis et le Canada ne sont pas épargnés non plus, eux qui, pourtant, ne connaissaient pratiquement pas cette forme de haine. Sans parler bien sûr des pays arabes où les Protocoles des sages de Sion font florès et alimentent la croyance en un complot juif mondial. Il n’est pas jusqu’à des pays sans presqu’aucun Juif qui ne se nourrissent d’un antisémitisme virulent comme le Japon.
Disons-le clairement : l’antisémitisme actuel tue moins que ses composantes anciennes où se mêlaient un antijudaïsme culturel (Grecs, Romains), un antijudaïsme chrétien, économique (en grande partie lié au précédent, certaines professions d’argent étant seules permises aux Juifs), un antisémitisme raciste « scientifique » au XIXème siècle (des théories sur l’inégalité des « races » humaines rendent les Juifs inassimilables et menaçants pour l’ordre et la société) ; l’antisémitisme biologique nazi (le Juif est le corrupteur de la nation, porteur de maladies. Hitler veut préserver la race aryenne du « métissage et de la contagion ») ; la « judéophobie », thèse de Pierre-André Taguieff, une nouvelle vague d’antisémitisme entre la défense de la cause palestinienne et l’antisionisme, ravivé par le conflit au Proche Orient, certains faisant l’amalgame entre Juifs, sionistes et Israéliens. L’antisémitisme actuel, peu ou prou héritier de ces diverses vagues d’aversion vis-à-vis des Juifs, s’il a pu être corrigé, notamment par l’Eglise depuis Vatican II (1962-1965), reste vivace et tel certaines bactéries présentes en permanence dans l’organisme, comme le staphylocoque doré, n’a besoin que d’une occasion pour éclater. La fonction de bouc émissaire du peuple juif dans les moments de crise se vérifie invariablement au cours des siècles.
Aujourd’hui, disais-je, cet antisémitisme tue moins que jadis, mais il entretient pour ses victimes un sentiment d’insécurité et de rejet de la société peu propice à une bonne intégration, et ce bien que les Juifs se soient toujours montrés loyaux et reconnaissants envers leur entourage dans tous les pays qui les ont accueillis. Je pense à cette histoire d’un Juif qui s’adresse à une agence de voyages pour trouver un pays où il pourra vivre en toute tranquillité. L’agent, se plantant devant une grande mappemonde, lui vante les mérites de tel pays, puis de tel autre ; à chaque fois le Juif objecte qu’il y règne de l’antisémitisme. Finalement, il demande au voyagiste : n’auriez-vous pas un autre globe terrestre ?
C’est ce sentiment d’être des étrangers partout qui nous saisit au moment où nous assistons, impuissants, à cette résurgence cyclique de la « bête immonde ». Malgré les déclarations qui se veulent rassurantes de la part de la classe politique, tous partis confondus ou presque, nous ressentons une immense amertume et une non moins grande inquiétude pour nos enfants et petits-enfants. « Une France sans ses Juifs ne serait plus la France » avait lancé Manuel Valls, Premier Ministre, à l’Assemblée Nationale, et ce cri du cœur nous avait fait du bien. Mais nos concitoyens se sont-ils jamais demandé ce que seraient les Français de confession juive sans la France ? Notre sort a toujours été lié très étroitement et viscéralement à celui de ce beau pays, patrie des Droits de l’Homme. Nous ne voulons ni le quitter, ni que certains en salissent l’image noble et haute que nous en avons. Nous sommes Français et Juifs, fiers de l’une et l’autre appartenance. Nous dénions aux auteurs des actes antisémites répugnants de ces dernières semaines le droit de se réclamer d’une France dont ils salissent l’honneur.
Shabbath shalom à tous et à chacun,
Daniel Farhi.
Quand je me suis présentée devant votre tribunal rabbinique en 1987, après vous avoir écrit que je préférais mourir à Auschwitz avec les juifs , chose que n’avait pas su faire ma Mere,je croyais que la bête immonde ne reviendrait jamais., maintenant j’ai peur mais je reste fidèle à cette promesse.
שבת שלום
Merci au rabbin Daniel Farhi pour cette déclaration: »nos concitoyens se sont-ils jamais demandé ce que seraient les Français de confession juive sans la France? » Ce rappel de l’attachement viscéral des Juifs à la République et à la France est particulièrement bienvenu quand certains Juifs préfèrent leurs passions anti-françaises à leur héritage, et pratiquent une adoration de la responsabilité collective, contraire aux traditions républicaines et judaïques. A la formule démagogique d’un politicien sans honneur, je préfère la proposition évidente: la France sans les Juifs ne serait pas devenue la France.
Simone Veil est bien, avant tout, le symbole de la déportation des Juifs; elle est chère, à tous, pour ce rappel que la volonté nazie de déshumanisation ne pouvait triompher de l’esprit humain. Parler de son activité politique, inévitablement partisane, ne peut que nous diviser. Le catholicisme porte toujours le poids d’un culte des saints qui cède trop souvent au paganisme, évitons de créer des saints républicains et de parler de souillure. Un souvenir d’union nationale ne peut être souillé. L’enseignement de l’Eglise, certes tardif mais déjà porté par notre flot théologique, de revenir à nos sources du judaïsme, n’a rien à voir avec une repentance déjà exprimée mais il nous aidera à vaincre le paganisme et le cléricalisme qui ont corrompu l’Eglise. Un lien supplémentaire, celui de la reconnaissance, nous attachera désormais à nos frères aînés, écrasant toute idée d’hypocrisie ou de ressentiment.
Dans l’instant, les nouvelles menaces antisémites sont les menaces les plus anciennes: il s’agit de présenter les Juifs comme étrangers à la communauté nationale, ou, dans des termes différents, à la Nation ou au pays. C’est le plus grand danger parce que son effet historique est le meurtre de masse, considéré comme un moyen de défense naturel et légitime. Cette menace la plus violente est la plus grande car elle apparaît « doucement » comme un fait établi ou un rappel historique, elle n’a pas besoin de raisonnements, de démonstrations perverses, d’appels à la colère et à la haine. Il faut refuser les discours partisans qui exploitent l’antisémitisme pour favoriser toutes les passions habituelles: la légitimité d’un pouvoir politique protecteur, les discours politiciens contre les adversaires politiques, un combat sioniste illusoire contre un antisionisme coupable. Israël tire sa force de sa cohésion nationale et de sa réussite économique: il n’est pas renforcé par les soutiens étrangers et il n’est pas affaibli par les oppositions ou les haines.
Tant qu’un seul individu pourra être dénoncé pour sa différence, sa réussite ou son échec social, l’antisémitisme et le racisme survivront. La République est le bien commun, elle ne peut être utilisée par une faction politique contre les autres factions.
Préservons-nous des discours vertueux mais efforçons-nous d’être dignes de nos aînés et de notre génie national, voilà notre identité.