C’était hier. La Saint Valentin 2019. Telle une poudre de perlimpinpin qui viendrait panser les plaies des jours passés.
Mon ami Waleed Al Husseini[1] d’une autobiographie Blasphémateur ! Les Prisons d’Allah parue chez Grasset en 2015 1, ainsi que d’articles dans Le Monde2, La Règle du jeu3 ou Libération4, et un second livre, Une trahison française, dénonçant les « collaborationnistes de l’islam radical 5»., que je rencontrerai bientôt pour Vous, nous livrait en confidence que le 14 février évoquait pour lui un événement très exceptionnel : le jour où il s’enfuit de Qalqilya pour la Jordanie après sa détention : le paradoxe est là, commentait-il, pendant que tous fêtent l’amour à travers le monde, ils célèbrent, quant à eux, la haine dont ils ont fait preuve contre moi, me contraignant ainsi à la fuite et à la séparation. Remarque : il est interdit chez eux de célébrer l’Amour, ce qui semble évident, puisqu’une culture basée sur la Haine ne peut fêter que celle-ci.
Au même moment, mon ami Charles Rojzman, que vous lisez ici, évoqua le Pogrom de Strasbourg, dit Massacre de la Saint-Valentin.
Je suis allée voir…
Grâce à des chroniqueurs tels Fritsche Closener[2], strasbourgeois du XIV ème siècle, mais encore Jakob Twinger von Königshofen[3] et Mathias von Neuenburg[4], je pus en apprendre davantage sur ce massacre d’environ 2 000 habitants juifs[5], arrêtés le vendredi 13 puis brûlés vifs par des habitants de la ville le samedi 14 février 1349.
De nombreux pogroms se produisaient en France depuis le printemps 1348, faisant des milliers de victimes parmi la population juive. Ils se propagèrent, à partir de novembre, par la Savoie, à de nombreuses villes du Saint-Empire[6], en particulier de Rhénanie.
C’est ainsi qu’après qu’en janvier 1349 avaient eu lieu le Pogrom de Bâle puis celui de Fribourg-en-Brisgau, envoyant par centaines des Juifs au bûcher, ce fut, le 14 février, le tour de la communauté juive de Strasbourg.
Pour tenter de comprendre ce qui se passa à Strasbourg, il faut remonter à la Révolte des corporations de métiers qui venait de s’y produire, renversant le pouvoir en place depuis 1332, composé qu’il était de riches bourgeois : parmi eux, les deux stadtmeister[7] Sturm, Juge de son état, et Conrad Kuntz von Winterthur. Mais encore le chef des Corporations de métiers, dit l’ammeister, Pierre Schwaber de son nom. Ces bourgeois garantissaient une protection aux Juifs de la ville.
Les artisans, aidés par une grande partie de la population, s’insurgèrent principalement contre Schwaber, lui reprochant sa politique trop favorable envers les Juifs.
Pourquoi les Juifs, déjà, me direz-vous…
Outre le ressentiment religieux à l’encontre des Juifs basé sur des accusations récurrentes telles le meurtre du Christ ou la profanation d’hosties, étaient nées des rancoeurs sociétales : complot juif, vol et usure étaient déjà des accusations de mise.
Rappelons que, empêchés d’exercer moult métiers, les Juifs exerçaient celui de Prêteur. Activité qui attira les inimitiés mais encore la réputation que l’on sait. Nos 3 chroniqueurs relatent que les Juifs, déjà considérés comme présomptueux, étaient dits encore durs en affaires et ne désirant s’associer avec personne[8].
Etre Juif était déjà un fardeau : ils devaient s’acquitter de droits et taxes exorbitants pour bénéficier d’une … protection. Laquelle protection avait été par Charles IV reconfirmée comme faisant partie des droits à la ville[9] et Strasbourg, qui recevait la plus grande partie des impôts juifs, devait donc en contrepartie prendre à sa charge la protection des Juifs.
Dans un contexte pour le moins déjà tendu, survint la menace de la peste noire, qui fit près de 25 millions de morts en Europe : eh bien quoi ? Les Juifs de Strasbourg furent accusés d’empoisonner les puits. Ainsi, alors même que, en ce début de 1349, la peste n’avait pas encore touché la ville de Strasbourg, certains, dans une population prise d’une panique légitime, virent là l’occasion non seulement de se libérer des dettes contractées auprès des Juifs mais encore de s’approprier leurs biens : les Juifs, il fallait s’en défaire. Déjà…
Certes le Conseil de la ville et Pierre Schwaber, le chef des corporations de métiers, tentèrent de contenir cette haine et s’appliquèrent à protéger leurs Juifs. Pour infirmer la rumeur d’empoisonnement des puits par les Juifs, le Conseil procéda même en guise d’exemple à l’arrestation de plusieurs d’entre eux, qui n’avouèrent pas leurs fautes même sous la torture[10] et le supplice de la roue.
Le quartier réservé aux Juifs est désormais gardé par des gens en armes afin de les protéger : le gouvernement craint en effet qu’un pogrom dégénère en soulèvement populaire incontrôlable comme cela s’était produit une dizaine d’années auparavant avec la révolte d’Armleder, et que son pouvoir-même fût remis en question.
Peter Schwaber rappelle que la ville a donné, par une lettre frappée de son sceau, des gages de sécurité et qu’elle a donc un devoir à l’égard de sa minorité juive[11]…
Si des conséquences économiques néfastes sont redoutées par les Responsables, le rôle important joué par les Juifs qui prêtaient de l’argent pour tous les investissements importants mais encore leurs activités financières interrégionales étaient autant de raisons pour que la municipalité s’évertuât à protéger les Juifs… Schwaber s’évertue vainement à mettre en garde l’évêque et la noblesse terrienne alsacienne concernant la Question juive : toute action contre les Juifs aurait de graves répercussions[12]. Il paiera cher cet… acharnement.
Mais les raisons invoquées par les Meisters ne sont guère acceptées par les citoyens de la ville, lesquels voient dans cette bienveillance suspecte du Conseil à l’égard des Juifs une forme de complot, déjà : les Meisters se seraient laissé séduire par les Juifs. Il va donc falloir chasser les Meisters avant que de pouvoir se retourner contre les Juifs.
Nos 3 chroniqueurs nous ont laissé une chronologie assez détaillée des événements qui ont conduit à la destitution des Meisters :
Le lundi 9 février, les artisans se réunissent devant la cathédrale et déclarent aux Meisters que le peuple rassemblé ne veut plus d’eux car ils ont trop de pouvoir[13]. Ils exigent la nomination d’un nouveau conseil, composé d’artisans, de chevaliers, d’employés municipaux et de bourgeois : acculés, les anciens Meisters rendent leur charge et Betscholt le Boucher, un artisan, est nommé Ammeister, soit chef des corporations de métier.
Voilà levé le dernier obstacle sur la voie de l’extermination des Juifs : pour info, nos chroniqueurs rapportent que les nobles, rassemblés en arme sur la place de la cathédrale aux côtés des artisans, sont encore associés à l’évêque de Strasbourg, avec lequel ils ont discuté du problème juif : Closener rapporte que la discussion avait porté sur la façon de se débarrasser des Juifs, et non sur le fait de savoir si on devait se débarrasser des Juifs : ce point avait déjà été décidé un mois auparavant.
Peter Schwaber chassé de la ville et ses biens confisqués[14], le renversement du Conseil profitera à tous les participants puisque si les nobles retrouvèrent une grande partie de leurs anciens pouvoirs[15] et les corporations le droit de participer à la vie politique, surtout, surtout, une solution rapide put être trouvée à la Question juive :
Le pogrom est résumé par un des chroniqueurs, Closener, en vieil allemand : An dem fritage ving man die Juden, an dem samestage brante man die Juden, der worent wol uffe zwei tusend alse man ahtete : Le vendredi on a capturé les Juifs, le samedi on les a brûlés, ils étaient environ deux mille comme on les a estimés.
Le 14 février, jour de la Saint-Valentin, le quartier juif est cerné et ses habitants conduits au cimetière de la communauté. Là, est bâti un bûcher où ils sont jetés et brûlés vifs. Certains autres sont enfermés dans une maison en bois à laquelle est mis un feu qui devait durer six jours[16]. Seuls échappèrent au massacre ceux qui abjurèrent leur foi, les très jeunes enfants et quelques belles femmes[17]. Pour info, la passerelle des Juifs se trouve près de la Porte des Juifs de l’ancienne enceinte de Strasbourg qui menait au dit cimetière.
Toutes les dettes dues aux Juifs furent effacées et les gages et lettres de crédit rendus à leurs débiteurs[18].
Il s’agit dès lors de distribuer les avoirs des Juifs morts : Le chroniqueur Twinger von Königshofen voit là la véritable raison de l’assassinat des Juifs : S’ils avaient été pauvres et si les nobles ne leur devaient rien, ils n’auraient pas été brûlés[19]…
De nombreux débiteurs purent enfin se rétablir financièrement. Nobles. Bourgeois. Evêques. Tels Berthold II de Bucheck[20].
Quant à l’argent liquide des Juifs, il est, selon la volonté du Conseil, réparti entre les artisans, en guise de récompense pour leur soutien à la destitution des anciens Meisters.
Pour rappel, le 21 mars 1349 devait venir la destruction de la communauté d’Erfurt lors du massacre d’Erfurt.
Sarah Cattan
[1] Waleed Al Husseini est l’auteur d’une autobiographie : Blasphémateur ! Les Prisons d’Allah. Grasset. 2015. Mais encore d’articles dans Le Monde, La Règle du jeu, Libération. Son second essai, Une trahison française, dénonce les collaborationnistes de l’islam radical. Ring Editions. 2017.
[2] Chroniques. Fritsche Closener. In Chroniques des villes allemandes. Karl Hegel Editions. 1871.
[3] Chronique 1400. Jakob Twinger de Königshofen. In Chroniques des villes allemandes. Hegel Editions.
[4] Chroniques. Mathias von Nuwenburg. Adolf Hofmeister Editions. Berlin. 1924.
[5] Histoire des Juifs. Michel Abitbol. Editions Perrin. Collection Poche Tempus. 2016.
[6] Medieval Germany, 1056-1273. Alfred Haverkamp. Persée. 1984.
[7] Equivalents au maire de la ville.
[8] Closener.
[9]Haverkamp.
[10] Closener. Neuenburg.
[11] Twinger von Königshofen.
[12] Si episcopus et barones in hoc eis prevaluerint, nisi et in aliis prevaleant, non quiescent. Neuenburg.
[13] Closener.
[14] Closener.
[15] Dorénavant deux des quatre Meisters sont des nobles[15].
[16] Diessenhoven.
[17] Neuenburg.
[18] Closener.
[19] Twinger von Königshofen.
[20] Monumenta Germaniae Historica, abrégée en MGH, sont un institute de recherché sur le Moyen Âge. Fondé en 1819, il est installé à Munich depuis 1949.
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