Discriminée par la loi sur « l’Etat-Nation du peuple juif », la minorité druze se rebiffe.
A bord d’un véhicule civil, le lieutenant-colonel de réserve « M » tombe sous les balles du Hamas, à Gaza, lors d’une opération spéciale, le 11 novembre 2018. Son nom ? Sa photo ? Sous embargo par le censeur de l’armée. Il était druze israélien et faisait partie d’un commando d’élite (1).
Toute la classe politique israélienne lui a rendu des hommages émouvants. Benyamin Netanyahou, Premier ministre : « Je baisse la tête avec tristesse à la suite de la perte du lieutenant-colonel ‘M’, un combattant glorieux qui est tombé lors d’une opération de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Le jour viendra où nous pourrons dire tout ce qu’a été sa bravoure ». Reuven Rivlin, président de l’Etat d’Israël : « Je salue un héros, au nom de tout l’Etat d’Israël. Le meilleur de nos garçons, dont la mémoire restera à jamais gravée dans nos cœurs. » Ou bien encore Naftali Bennett, ministre de l’Education nationale :
“M’ entrera dans l’histoire en tant que l’un des plus grands héros israéliens, et qu’il n’a pas hésité à prendre part à cette mission complexe en ne craignant pas de mettre sa vie en danger. »
Des éloges excessifs ? Pas sûr ! Les Israéliens saluent toujours la mémoire des Druzes tombés sur le champ de bataille. Vaillants militaires, ils sont présents dans tous les corps d’armée, et leurs engagements, aux avant-postes de tous les combats, n’est plus à démontrer. Contrairement à la grande majorité du million et demi d’Arabes israéliens, les Druzes sont soumis à l’obligation d’effectuer leur service militaire. Mais la mort du lieutenant-colonel « M » survient au moment où la communauté druze est en pleine crise identitaire : l’adoption de la loi du 19 juillet 2018, définissant Israël comme « l’Etat-nation du peuple juif » est considérée par les Druzes comme une trahison.
Une révolte qui secoue le pays
Voté par le Parlement israélien – 62 voix pour, 55 contre – ce texte ancre Israël en tant que « foyer national du peuple juif », et proclame l’hébreu comme langue nationale, reléguant l’arabe à un « statut spécial ». Un vrai tsunami pour les Druzes. Intégrés à Israël depuis tant d’années, ils se sentent brusquement exclus. « Trop, c’est trop ! », se révolte, désabusé, un Druze rencontré dans les petites rues du village de Daliat el-Carmel, un des 16 villages du Nord d’Israël dont 140.000 Druzes qui possèdent la nationalité israélienne, sont originaires.
« Cette loi fait de nous des citoyens de seconde zone. C’est insupportable. Mon père m’a appris à respecter les juifs et à servir Israël. Je contribue depuis plus de 20 ans à la sécurité ! »
En fait, c’est toute la communauté druze qui est en révolte. Une révolte qui secoue tout le pays. Au point que, trois jours après l’adoption de cette loi, les Druzes se manifestent. Considérant cette loi comme un crachat au visage par ceux qui donnent leurs enfants à l’Etat, ils déposent une pétition devant la Cour suprême. « C’est inadmissible, cette loi divise les citoyens entre eux, les minorités non juives, comme les Druzes, les Circassiens, les Bédouins, ou les Arabes israéliens ne sont pas mentionnées », réagit Saleh Saad, député druze de l’Union sioniste et dépositaire du recours. « Nous ne sommes pas contre un Etat juif, mais nous voulons que les autres minorités puissent y avoir leur place », revendique-t-il.
La colère enfle. La droite s’y mêle. Naftali Bennett, ministre de l’Education et président du parti de droite nationaliste, le Foyer juif, enjoint, dans une lettre ouverte, le 25 juillet, le gouvernement de « panser les blessures » infligées par la loi aux « frères druzes ». Seul le ministre druze Ayoub Kara défend le texte, même après que sa famille et lui-même eurent reçu des menaces de la part de Druzes.
Clash avec Netanyahou
Face à cette agitation, Benyamin Netanyahou sort de sa réserve. « Je vous ai compris », leur dit-il sur un ton gaullien, le 29 juillet. Il annonce qu’il va mettre sur pied un « comité de concertation », composé de ministres, de dirigeants politiques et religieux druzes. L’objectif ? Faire voter une loi parallèle qui reconnaîtrait « la contribution de la communauté druze à la sûreté de l’Etat ». Les chefs druzes refusent. Même s’ils voient dans ce compromis des avantages spéciaux, ils jugent que la loi « Etat-nation du peuple juif » reste intacte. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est l’annulation pure et simple de celle-ci.
Netanyahou propose alors une nouvelle rencontre, le lendemain, au siège de l’armée israélienne. Cette fois, il change de tactique : il décide de créer une équipe de réflexion qui « formulera rapidement des recommandations pour des mesures concrètes afin de renforcer nos liens importants ». Le Premier ministre en profite pour réaffirmer qu’il est contre « toute modification de la loi très polémique qui sanctuarise Israël comme l’état-nation exclusif du peuple juif. » Au cours de cette réunion, Amal Assad, général de brigade réserviste à la retraite, figure de proue des protestations et maintes fois décoré, se lève pour critiquer violemment cette loi :
« Les Druzes, ne sont pas intéressés par ce nouvel ensemble d’avantages qu’on leur propose, ils veulent simplement avoir le ‘sentiment d’appartenir à la nation’ ! »
Un ton qui ne plaît guère à Netanyahou et qu’il considère un manque de respect à son égard. Il quitte la réunion. C’est le clash.
La situation devient alors explosive quand deux officiers druzes démissionnent de Tsahal. Le capitaine Amir Jmail se justifie dans une lettre ouverte à Netanyahou :
“Pourquoi devrais-je servir l’Etat israélien ? […] Comme mes deux frères et mon père, je sers ce pays avec dévouement, résolution et amour. Et, au final, qu’est-ce que nous avons ? Nous sommes des citoyens de seconde zone”.
« Si nous sommes frères, nous devons être égaux »
L’autre officier, Shady Zidan, qui porte les couleurs de Tsahal depuis cinq ans, commandant adjoint d’une compagnie dans une unité de combat, s’exprime sur Facebook : « J’ai tenu le drapeau avec fierté, j’ai chanté l’hymne national l’Hatikva, parce que j’étais sûr que c’était mon pays et que nous étions tous égaux. J’étais fier de saluer le drapeau mais je me sens désormais comme un citoyen de seconde zone. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai donné mon âme au pays, j’ai risqué ma vie, j’étais loin de chez moi. Mais aujourd’hui, j’ai refusé pour la première fois, dans mon pays, de saluer le drapeau, et pour la première fois aussi de chanter l’hymne national ».
Deux démissions d’un coup ! Excédé et surpris, le chef d’état-major de Tsahal, Gadi Eizenkot réagit. Il exhorte les soldats « à laisser la politique en dehors du cadre de l’armée ».
Entre Netanyahou et les Druzes, le dialogue devient impossible. Les Druzes passent alors à la vitesse supérieure : ils organisent, le 4 août, une manifestation. Une foule immense déferle à Tel-Aviv, remplissant la place Rabin, le plus vaste espace public de la « ville blanche ». Arrivés par bus depuis le nord d’Israël, ils sont plus de 50.000 à scander, en chœur, « Egalité ! », « Egalité ! ». Sur les banderoles un seul slogan : « Si nous sommes frères, nous devons être égaux ».
Des juifs israéliens viennent les soutenir. Les bannières druzes aux cinq couleurs flottent aux côtés des drapeaux étoilés bleu et blanc d’Israël. « J’ai le sentiment d’avoir été abandonné par le gouvernement, affirme Nimr, un commerçant druze, 50 ans, un drapeau druze à la main, mais on ne lâchera pas. C’est un coup de couteau dans le dos. Mon fils n’est plus sûr de vouloir faire son service militaire. »
Et ce n’est pas fini : quatre jours plus tard, en pleine pause estivale, la Knesset se réunit en séance extraordinaire, 52 députés d’opposition ayant demandé un débat sur la loi, « source à leurs yeux » d’atteinte aux valeurs d’égalité et de démocratie. Tzipi Livni, cheffe de l’opposition, fait référence à la Déclaration d’indépendance de l’Etat hébreu qui stipulait, en 1948, que l’Etat naissant garantirait « l’égalité complète des droits sociaux et politiques à tous les habitants, indépendamment de la religion, de la race et du sexe ». Séance houleuse.
Benyamin Netanyahou ne lâche toujours rien. Au contraire : il estime que ce texte est « nécessaire pour renforcer le statut d’Etat juif d’Israël et pour empêcher Palestiniens et migrants de demander la nationalité israélienne, notamment via le regroupement familial. »
Une loyauté viscérale
L’épreuve de force devient alors inévitable. Les Druzes se trouvent dos au mur. Vont-ils rompre avec ce pouvoir qui les relègue en citoyens de seconde zone ? Peuvent-ils briser ce « pacte de sang » ratifié par la Knesset, en 1963, en échange d’une autonomie communautaire ? Pour beaucoup d’entre eux, la rupture serait une décision trop périlleuse. Se rebeller ? Oui. Rompre ? Non. Car si la minorité druze – 2% de la population – affiche, aujourd’hui, le visage de la contestation, elle estime que ni le vote de la loi du 19 juillet, ni la grande manifestation du 4 août, ni la démission de deux officiers druzes de l’armée, ne sauraient affecter leur loyauté envers Israël. Cette loyauté est sacrée pour eux. En effet, dans la tradition druze, la loyauté envers l’Etat où ils vivent est primordiale. Elle est viscérale.
Le colonel druze Ramiz Ahmed insiste :
“Nous sommes Israéliens. Israël est notre pays car, vous savez, notre religion nous interdit d’avoir un Etat indépendant. L’identité druze est une appartenance individuelle, mais notre identité collective, c’est d’être Israéliens. »
« Nous sommes pour le droit des minorités mais nous ne détruirons pas ce qui a été construit en 70 ans, confirme de son côté Majalli Wahabi, un ancien député druze résidant à Beit Jann. Des Palestiniens seraient contents que la loi nous sépare des juifs, mais nous ne tomberont pas dans ce piège-là. On sait que les juifs nous soutiendront. Qu’Israël renforce le caractère juif de l’Etat, c’est leur droit. Nous, ce qu’on demande, c’est que la loi nous protège aussi, car maintenant, nous sommes mis à l’écart. Nous sommes nés ici. Mon père, mon grand-père, son père, nous étions là bien avant l’établissement d’Israël, et nous avons l’impression de devenir des invités. »
« Les Palestiniens nous haïssent »
D’ailleurs, les Druzes les plus nationalistes, dans les pays où ils habitent, Syrie, Liban et Israël, ne se considèrent pas arabes. Victimes de persécutions sous l’islam au XIXe siècle, ils n’ont jamais été les alliés des Palestiniens. « C’est pourquoi nous sommes les alliés des Juifs, commente l’historien Jaber Abu Roken. Il suffit de voir qu’il n’y a plus aucun Druze, ni en Cisjordanie ni à Gaza. Je vous pose une question : à votre avis, si un Palestinien attrape un juif et un Druze, il tuera qui ? Il tuera le Druze ! Mais pas le Juif ! Les Palestiniens nous haïssent car on parle arabe. »
Dans le principal restaurant du village druze de Daliat el-Carmel, près de Haïfa, la gérante, Nora, une vieille dame énergique qui connaît presque tout le monde, est formelle : surtout ne pas rompre ! « Personne ici, dans ce village de 15.000 habitants ou vous pouvez voir ce mémorial militaire israélien dédié aux 400 Druzes tués lors de combats pour Israël, est prêt à rompre avec Israël ! Vous n’y pensez pas ! Ce serait une catastrophe ! Inimaginable ! Les conséquences seraient terribles ! Surtout pas ! ».
Un sentiment que confirme le lieutenant-colonel Mounir Ma’adi, responsable dans une école de « l’année préparatoire juive et druze, avant l’armée ». « Oui, notre loyauté à l’égard d’Israël est totale. Il est dans notre philosophie de servir avec loyauté le pays où nous vivons. Il nous est interdit de combattre un frère druze même d’un pays ennemi. Lors de la prise du Golan, en 1967, les Druzes vivant sur place sont passés sous l’autorité d’Israël ».
Même Mofid Ganem, l’officier druze le plus gradé de l’armée, dont le père était déjà soldat en 1941, voit dans l’armée un moyen d’intégration, et une manière de s’impliquer pour une cause.
« Je n’ai pas d’autre patrie. Je suis citoyen israélien, servir dans l’armée israélienne est un devoir indiscutable. Ce sentiment d’appartenance me donne l’envie de protéger ce que j’ai de plus précieux, l’Etat d’Israël. »
« Je crois que l’armée est le lieu ou le mot ‘égalité’ prend le plus de sens. Avant de s’engager dans l’armée, chaque individu évolue dans un milieu différent. L’armée est, selon moi, la seule institution qui donne une égalité complète. Chaque soldat est jugé sur ses capacités ». Entre la rupture et la fidélité à Israël, les Druzes n’ont pas encore choisi. Mais la tension monte…
Alain Chouffan L’Obs
(1) Le lieutenant-colonel « M » appartenait à une unité d’élite agissant au-delà des frontières israéliennes, dans le cadre de missions confiées directement par le gouvernement. Les membres de ce commando venaient d’assassiner Nour Baraka, membre des brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du Hamas. Ces officiers sont condamnés à rester anonymes. Leurs visages pourrait révéler certains contacts secrets et mettre en danger des collaborateurs arabes. La structure sécuritaire de Tsahal est totalement dépendante de ces mystérieux militaires.
Ce que dit la loi « Israël, Etat-nation du peuple juif »
Voici les principales dispositions de la loi « Israël, Etat-nation du peuple juif » votée le 19 juillet dernier par les députés israéliens :
– Israël est le foyer historique du peuple juif. Lui seul détient le droit à l’autodétermination.
– Les symboles nationaux sont la Ménora (le chandelier à sept branches) et le drapeau frappé de l’étoile de David. L’hymne national est la « Tikva » (l’Espoir).
– Jérusalem est la capitale unifiée d’Israël.
– L’hébreu est la seule langue officielle. L’arabe a un « statut spécial ».
– Israël sera ouvert à l’immigration juive uniquement.
– L’Etat favorisera l’établissement de localités juives.
– Le shabbat et les fêtes juives seront des jours de repos. Les non-juifs ont le droit d’avoir leurs propres jours fériés. Le texte a le statut de « loi fondamentale », c’est-à-dire qu’il possède un caractère constitutionnel (Israël ne s’est jamais doté d’une constitution).
Encore une tentative dégueulasse de journalistes franchouillards d’extrême gauche de jeter de l’huile sur le feu a partir de données
sans aucune base logique. La preuve, il n’est même pas mentionné dans cet article le fait que les Druzes croient dans la réincarnation, ce qui fait d’eux des guerriers beaucoup plus redoutables que ces tapettes de l’OLP du Hamas ou du Hizbelsatan.