Ceux qu’on croyait disparus
Barcelonnette est une petite ville de 2000 habitants environ, dans la vallée de l’Ubaye, l’une des deux rivières furieuses qui alimentent le lac de Serre-Ponçon et son fameux barrage.
Il n’y a aujourd’hui aucune communauté juive à Barcelonnette. Pour autant, n’y a-t-il jamais eu une présence juive, même éphémère, dans cette ville ?
L’Italie est toute proche, par le col de Larche. Passée la frontière, la route descend le long de la vallée de la Stura et, arrive dans la plaine, à Borgo San Dalmazzo, la ville-banlieue de Cuneo[1]. Le but du voyage : faire au « Maxisconto », un magasin de gros, des réserves de délicieuses charcuteries, « formaggi » et autres « vino d’Alba » dont les Italiens ont le secret.
On apprend brutalement que 329 Juifs venant de toute l’Europe ont été entassés ici dans un train à destination d’Auschwitz le 23 novembre 1943. A côté de leur nom, on peut lire dans le métal rouillé, leur âge à cette date et leur nationalité.
Alors commence un travail de recherche qui durera 3 ans (2014-2016) à travers les Archives départementales (Digne) et internationales (Bad Arolsen)[5], les essais d’historiens français et italiens[6], et les mémoriaux numérisés de la Shoah (Paris, Jérusalem, Los Angeles).
Entre mars et juillet 1942, 174 Juifs ont été placés en résidence forcée à Barcelonnette[7]. Le 4 septembre 1943, la plupart sont évacués par les militaires italiens vers St-Martin-Vésubie pour les protéger : les Allemands s’apprêtent à envahir la région du Mercantour. Le 8 septembre, environ 300 familles juives venues principalement de Nice et regroupées à St-Martin-Vésubie passent à pied en Italie par les cols de Fenestre et de Cerise, dans l’arrière-pays de Borgo San Dalmazzo, pensant échapper aux Allemands. Mais dix jours après, venue de Turin, la Division SS « Leibsandarte Adolf Hitler » de Joachim Peiper pénètre dans la ville, rafle les Juifs qui sont restés alentour, et les enferme dans un camp de concentration improvisé. Fin octobre, plus de 400 personnes y seront emprisonnées.
Parmi les 329 déportés du 23 novembre 1943, il y avait 57 « Juifs de Barcelonnette ». Parmi ceux-ci, sept ont survécu à l’extemination. Nous avons pu trouver la trace de la survie de 3 d’entre eux, alors qu’ils sont portés disparus dans les mémoriaux français, italiens et israéliens, encore aujourd’hui !
Gabriel Birkenwald en 2002
Gabriel Birkenwald[8] était né en Belgique. Libéré des camps, il se marie et après un séjour au Congo belge, il émigre aux Etats-Unis et fait carrière dans l’hôtellerie, notamment au Québec et en Floride. M. Birkenwald est décédé en 2015. Il a 2 fils : l’un est avocat en Floride, l’autre est joaillier à Londres.
Michel Reznik[9], au retour des camps, a repris son métier de fourreur, puis s’est lancé dans la confection à Paris. A la tête d’une affaire florissante de plusieurs magasins, il a confié progressivement l’entreprise à ses enfants. Il meurt en 1990, entouré de sa famille. Ses deux petites filles ont écrit un livre[10] émouvant sur la vie de leur grand-père.
François Frenkiel[11] était un jeune et brillant ingénieur dans l’aéronautique avant d’être assigné à résidence à Barcelonnette avec sa femme. A sa sortie des camps, sa femme n’ayant pas survécu, il reprend rapidement la suite de ses études et obtient un diplôme de docteur en physique à Lille[12]. Emigré aux Etats-Unis, il publie de nombreux articles scientifiques, dirige successivement plusieurs laboratoires de recherche et fonde la revue « Physics of fluids » dont il sera rédacteur en chef jusqu’à sa mort en 1986. Il a créé le modèle mathématique qui sert aujourd’hui encore de base pour les prévisions de pollution de l’air des métropoles dans le monde entier.
Comme le rappelle notre tradition, le souvenir est un devoir sacré, celui des morts surtout. Mais ne devrions-nous pas nous souvenir aussi de ceux qui sont revenus de la mort ? Certes, nous connaissons les plus célèbres d’entre eux, comme Elie Wiesel ou Simone Veil. Mais les autres aussi méritent notre attention : ils nourrissent nos esprits !
[1] cf. photo 1
[2] cf. photo 2
[3] cf. photo 3
[4] cf. photos 4a et 4b
[5] avec Monique Leblois-Péchon, Archives Nationales
[6] -Robert Castellana, « Lois raciales et xénophobie – La frontière des Alpes-Maritimes pendant la guerre », Le Cannet, CRP Ed.,2005
-Alberto Cavaglion, « Nella notte straniera », Nino Aragno Ed., 2012
-Sabença de la Valeia, « Histoires vécues en Ubaye », 3ème édition, 2008
[7] cf. photos 7a et 7b
[8] cf. photo 8
[9] cf. photo 9
[10] N. Alessio, A. Reznik, « Michel Reznik ou La promesse de vivre », Parimagine Ed., 2011
[11] cf. photos 11a et 11b
[12] cf. photo 12
On pleure la vie misèrable et soumise par la haine et la force des juifs d’europe et dans la Golah.
Aujourd’hui rien a changer sauf que les juifs en Israel sont entourés de pays incultes Nazis.
Un bemole, on peut ecraser tous nos ennemis et nous avons enfinla force pour nous.
merci pour ce témoignage poignant. Il faut le faire savoir. Ce document me servira dans mes témoignages. Nous sommes de moins en moins nombreux à pouvoir encore raconter notre histoire, pour ma part d’enfant caché par de bonnes âmes qui au risques et périls de leur propre vie nous ont caché et sauvé mon frère, ma soeur et moi. Ce ne fût malheureusement pas le cas de ma Mère et 3 de mes Frères, puis plus tard, l’arrestation de mon Père. Tous les 5, morts à Auschwitz
Passionnant et totalement inattendu. Merci !
Dans sa derniere lettre de novembre 1943 dû camps de Borgo San Dalmazzo, mon père Aron Buchalter mentionne être dans la même chambre que Reznik.Son nom est sur le mémorial de Borgo .
Bonjour Mr Buchalter Richard,
Je suis Mme Bourgeois et avec la médiathèque de Bercelonnette, le collège de Bercelonnette, on est en cours de travail pour une exposition sur la résistance en Ubaye pendant 1939-1945 et la vie quotidienne pendant la 2ème GM;
Passionnée d’Histoire, je m’occupe plus spécialement de la partie de la présence des Juifs sur Bercelonnette pendant cette triste période.
J’ai donc pu retrouvé une partie des familles juives en résidence forcée à Bercelonnette;
Pourriez-vous me contacter pour m’en dire plus sur la vie de votre père et apporter un témoignage véridique?
A très bientôt;
Notre devoir de mémoire nous interpelle plus encore en ces temps où l’antisémitisme est banalisé..
Merci de votre témoignage.
JE FAIS SUIVRE A TOUS MES CONTACTS ET VAIS ORGANISER UN WEEK END SUR PLACE POUR LE DEVOIR DE MEMOIRE
PHILIPPE
Belle initiative !
Quand pensez-vous planifier ce week-end ?
Et comment pensez-vous l’organiser, pour le déplacement, notamment ?
Merci pour votre engagement et votre réponse.
Bonjour,
Dans le cadre d’une prochaine exposition à Barcelonnette qui aura lieu dès le 12/7/2021, j’ai travaillé sur ces Juifs en résidence surveillée; un panneau leur sera consacré, ainsi qu’aux enfants et familles juives cachées;
Vous pouvez me contacter au 0676418166.
Pour ma part je connais Roland et je sais qu’il a mis beaucoup de lui même dans cette recherche de la vérité . Que puis-je faire pour faire connaitre cette parcelle d’histoire ? peut-être ceci : chaque fois que je me rends en Italie, du moins du côté de Cunéo, avec des amis , je ne manque pas de leur faire connaître le Mémorial de la gare de Borgo San Dalmazzo , et généralement on partage ensemble un fort moment d’émotion.
En septembre 2018, près de 4 ans après le début de cette recherche, paraît le « Mémorial des 3943 rescapés juifs de France », co-édité par « The Beate Klarsfeld Foundation », « Les Fils et Filles des déportés juifs de France », et « Après l’oubli ». Nos trois héros, G. Birkenwald, M. Reznik et F. Frenkiel figurent bien maintenant dans la liste des rescapés du convoi 64. Cet ouvrage, piloté par Serge Klarsfeld, plein d’enseignements et de témoignages sur les convois et les camps est disponible à la FFDJF, 32 rue La Boétie, 75008 Paris, tél : 01 45 61 18 78, au prix de 25€ + port.