Je te rencontre souvent en Occident. Lors d’une séance de signature dans une librairie, lors d’une conférence dans une université ou lors d’une rencontre publique. Tu n’es jamais assis aux premiers rangs, mais souvent au milieu, ou à la dernière rangée : expression de ce corps que tu veux suspendre entre deux mondes, vivre en occident, et revivre ton pays d’origine. Confession de ce choix qui n’a jamais été fait par toi : vivre pleinement, entièrement dans le pays de l’Arrivée. Alors tu te veux vigilant et invisible, méfiant et inquiet, choisissant la marge mais souffrant de vivre en marge, insatisfait comme si s’intégrer était trahir. Tu te veux en Algérie, en Tunisie, au Maroc, mais aussi à la fois en France en Allemagne, en Italie.
« Je suis déçu par vous » tu m’avais dit en levant la main dans cette librairie ancienne. Cette fois à Toulouse. « Je vous appréciais plus quand j’étais à Oran, durant vos premières années » as-tu résumé ton dépit. En première réaction, parce qu’Algérien comme toi, j’étais tenté d’être cru. Te dire que c’est toi qui as changé de pays et de vie et tu veux que je reste figé dans ta mémoire, à meubler ta nostalgie ou justifier tes rancunes et tes blessures. Mais j’ai préféré te regarder puis te répondre lentement : Tu es en souffrance et tu ne le sais même pas. C’est toi qui es décevant : partir si loin et rester au fond du même puits.
Car tu es souvent sur ma route : algérien, marocain, tunisien, « arabe » générique, étudiant, intellectuel, universitaire, exilé lettré ou alphabétisé. Venu en France mais détestant la France, vivant l’Occident entier comme une sorte de France universelle et refusée. Mal assis entre deux chaises, ou trois. Inquiet et agressif, confondant la ruse et l’intelligence. J’avais envie de te dire que c’est un comble : tu m’accuses de « servir le discours de l’extrême-droite » et tu conclus, peu à peu, que je dois ne plus écrire, me taire sur nos radicaux, les gens qui croient que porter une barbe fait de vous un Allah, ou qui possèdent la vérité, saccagent, assassinent ou veulent faire reculer le pays dans ses cavernes et les femmes vers le statut de la monture animale. Est-ce tout ce que tu as appris de ton exil ? Interdire la parole comme solution à ta faiblesse ? Tu veux à la fois profiter de la liberté dans le pays de ton arrivée et m’interdire à moi de parler de ma réalité dans mon pays ? Toute la démocratie de l’Occident qui t’a accueilli ne te sert qu’à plaider pour la censure en Algérie ? Je dois me taire sur les drames, les échecs de mon pays, juste pour ne pas égratigner ton image narcissique en Occident ? Je ne dois pas dénoncer une femme qui passe ses examens de médecine en burqa en Algérie et qui peut tricher, pendant que toi tu profites des meilleurs médecins et des meilleurs hôpitaux en Europe ? C’est injuste. Tu me reproches de te rappeler les luttes que tu as désertées et tu m’accuses alors d’inventer ces luttes et ces causes. Cela te repose.
Source et article complet : algeriepenserlibrement.blogspot.com
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