Juifs de Lens : bientôt un musée pour mémoire

Le Centre communautaire de Lens recevait cet automne le Consistoire Central ainsi que des représentants de premier plan de l’Etat pour une rencontre exceptionnelle. L’occasion d’éclairer l’actualité de cette petite communauté active qui a pris son destin en main et n’oublie rien de son histoire.

Entretien avec Claude Kleczewski, natif de Lens, vice-président de la communauté juive depuis 2016 et président régional de la CJFAI (*).

 

Faire venir des personnalités de tout premier plan, qu’il s’agisse de la communauté avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia et Joël Mergui le Président de Consistoire, mais aussi de l’Etat avec Xavier Bertrand qui préside le Conseil Régional du Haut de France, c’est un joli tour de force quand on est une petite communauté assez isolée comme la vôtre… comment y êtes vous parvenus et quel était l’objectif de cette rencontre inédite ?

Nous y avons travaillé avec beaucoup d’énergie et de conviction, c’est certain. Pour une petite communauté comme celle de Lens qui doit son existence aujourd’hui à son dynamisme et à son refus du repli identitaire, c’est la démonstration que nous existons tout simplement et que nous contribuons à notre façon à la vie juive, dans le respect des règles et des lois édictées par la Nation. Pour l’organisation, nous avons pu compter sur une petite équipe de membres actifs autour de Sylvain Boukobza, Président de la communauté juive de Lens, et moi-même.

Outre les personnalités que vous avez cité, Monsieur Fabien Sudry, Préfet du Pas de Calais et Monsieur Jean François Raffy, Sous-Préfet de l’arrondissement de Lens, nous ont également rejoint.

En présence de tous les Présidents de communauté de la région Haut de France,

Joël Mergui a voulu souligner son soutien et son encouragement aux petites communautés qui se battent pour assurer une continuité de la présence juive en province et qui ne baissent pas les bras, n’hésitant pas à rénover leur centre communautaire comme c’est le cas à Lens.

Ce n’était pas pour autant l’unique enjeu de ce déplacement. Les échanges ont également porté sur tous les aspects des services funéraires car nous gérons l’unique cimetière juif du Haut de France qui est aussi la propriété de la communauté juive de Lens.

Nous avons également abordé les questions liées à la sécurité des biens et des personnes en raison de la montée des actes anti-juif depuis des années. Xavier Bertrand a rappelé les derniers succès obtenus par ses services sur les organisations ou les conférences porteuses de haine.

L’histoire de votre communauté demeure très méconnue. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur son enracinement et sur la déportation qui l’a massivement frappée ?

La ville et sa région ont été une terre d’accueil dès 1920, d’abord pour les Polonais : ils bénéficiaient de fait d’un accord bilatéral entre les deux pays, l’idée était de remplacer la main d’œuvre perdue durant la guerre et qui allait manquer au bassin minier.

Les familles juives, majoritairement polonaises, sont quant à elles arrivées progressivement jusqu’en 1930, elles fuyaient bien sûr l’antisémitisme et la misère qui sévissaient dans tous les pays de l’Est. Cette population travaillait essentiellement dans le secteur du petit commerce, de l’artisanat ou comme marchands ambulants. La plupart de ces immigrants juifs vivaient dans des conditions modestes et la présence des mineurs les rassurait, ils savaient qu’ils pouvaient proposer à ces derniers les produits dont ils avaient besoin. Cette situation a prévalu jusqu’à la rafle du 11 Septembre 1942, alors que la population juive de la ville et des environs comptait un millier de personnes.

L’occupant allemand, aidé par l’administration française, a arrêté ce jour là la quasi totalité des Juifs restés dans le Bassin houiller. Emmenés en train jusqu’à Lille-Fives, puis au camp de transit de Malines en Belgique, ils ont été assassinés à Auschwitz.

Sur les 528 personnes déportées, 288 étaient des enfants scolarisés dans les écoles de la ville .Après la libération, on dénombrait environ 500 survivants ayant échappé à la déportation. Près de 300 d’entre eux ont décidé de revenir à Lens.

Comment est venue l’idée de travailler à la création d’un musée ? 

Cette histoire est aussi la mienne. Depuis mon plus jeune âge, je me suis souvent arrêté sur ce mur du souvenir qui avait pris place dans la salle de prière de tel façon que je ne pouvais ignorer son existence. Le fond noir qui tranchait sur les noms de famille des disparus, y compris ceux des enfants, gravés à l’or fin, avait un caractère lugubre et si la Shoah avait dévasté les familles présentes après guerre, chacune d’elles gardait pudiquement son patrimoine mémoriel, quel que soit son parcours, aussi horrible soit-il. Le temps passant, ils ont appris à vivre leur identité dans la discrétion. Ils ne voulaient pas qu’elle soit un obstacle à leur intégration, après des expériences aussi traumatisantes.

Aujourd’hui, la communauté Juive de Lens et environs aspire à vivre en paix mais les enfants et petits-enfants ont pour la plupart déserté la ville et ont rejoint la métropole régionale de Lille, ou bien Londres, Bruxelles, Montréal, Paris, Cannes, Jérusalem.

Ce que je m’étais promis de faire il y a bien longtemps s’est imposé naturellement à moi il y a 2 ans, lorsque Sylvain Boukobza, le Président pressenti pour la communauté juive, m’a demandé de le rejoindre dans sa charge, s’il était élu.

Le moment était venu de sortir de l’anonymat nos ainés et de s’engager à ne pas les oublier lorsque les derniers témoins disparaitraient. Charles SULMAN, Vice-président du Consistoire Central, qui a eu lui aussi des attaches à Lens dans sa jeunesse s’est aussi beaucoup investi sur le projet de musée.

Cette idée est devenue plus concrète depuis avril 2017 avec la création d’une association ,  » Pour l’histoire et la mémoire des juifs de Lens », dont l’ objet est de perpétuer la mémoire des déportés du Nord-Pas de Calais et de barrer la route au révisionnisme.

Un comité scientifique a d’ailleurs récemment tenu sa première réunion de travail.

Ce sont les premières pierres de cette construction à laquelle nous souhaitons vivement associer toutes celles et ceux qui travaillent pour l’avenir, contre l’oubli, pour cette mémoire qui fait partie intégrante de l’histoire nationale.

Sylvie Bensaid

(*) Confédération des Juifs de France et des Amis d’ISRAEL .

 

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