Les beaufs et Jean Quatremer. Par Jean-Baptiste Doat

Avant samedi et la première manif des gilets jaunes, on sentait que ce mouvement avait quelque chose à voir avec la fracture béante qui est en train de se creuser entre Paris et la province ou plus exactement, entre les gagnants de la mondialisation et ceux qui ont la nette impression de se faire enfler.
Et on avait raison de sentir ça.

Le déluge de mépris qui tombe depuis samedi sur ce mouvement inédit est venu le confirmer.

Jean Qatremer

Entre les déclarations de Jean Qatremer, journaliste et lécheur en chef d’une Macronie aux abois ne voyant dans les gilets jaunes qu’un gros tas de « beaufs » venant troubler la bonne marche du nouveau monde, les insultes relayées par les députés En Marche! et les quelques soutiens qui leur restent, les articles de la presse bobo craignant le retour « du français moyen » , question mépris de classe, on a été servi.

La France des gilets jaunes est forcément la France des beaufs. Une France qui a le mauvais goût de passer ses samedis à se cailler les fouilles sur un rond point d’une ville sans Starbucks au lieu d’aller comme tout le monde, à une expo de ce dernier artiste lituanien à la mode dont les œuvres si disruptives évoquent courageusement le combat des transgenres dans le milieu de la finance internationale. Une France qui sent le mauvais vin même pas bio, une France qui clope au lieu de faire du « running ». Une France qui ne comprend pas que la mondialisation est la promesse d’une vie meilleure, où chacun peut parcourir le monde à la recherche de nouvelles opportunités dans des avions bien polluants mais tellement pratiques pour aller visiter un musée d’art contemporain à New York ou un salon des nouvelles technologie à Las Vegas.

Pour les Jean Quatremer, la France des gilets jaunes est une France de crasseux égoïstes, qui refusent de rentrer dans la logique « des nouvelles mobilités » ou qui rechigne à faire sienne cette obsession du progressisme pédant dans laquelle n’est moderne que celui qui arrive à s’extirper de son mode de vie traditionnel, forcément polluant, forcément ringard, forcément xénophobe, forcément homophobe, forcément sexiste. et évidemment forcément d’extrême-droite parce que tout ce qui n’est pas eux est forcément d’extrême-droite.

Ces « ploucs » ont le sentiment de vivre moins bien que leurs parents et surtout la crainte de vivre mieux que leurs enfants. Les angoisses de ces bouseux de la base, grandissent sur des sujets importants comme l’immigration, l’éducation, la liberté d’entreprendre, la difficulté pour se soigner, l’emploi, le pouvoir d’achat etc. Ces angoisses se voient à chaque élection et elles sont analysées à longueur d’émissions lors des soirées électorales où les spécialistes se relaient, l’oeil hagard et la bouche pâteuse pour trouver des explications à cette crise démocratique que traverse le pays et qui fait que beaucoup de gens finissent aujourd’hui par penser qu’il est plus efficace de poser son cul sur un tas de pneus pour bloquer un rond-point que de le bouger les jours d’élection pour aller voter.

Mais la soirée électorale passée, plus personne n’en parle en attendant le scrutin suivant.

Alors le fossé se creuse encore et encore. Entre ceux qui trouvent que c’est vachement moderne de ne plus manger de viande et ceux qui aimeraient bien pouvoir s’en payer plus souvent.

Entre ceux qui crament l’équivalent du bilan carbone annuel d’un département à chaque départ en vacances tout en t’expliquant que leur façon de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, c’est d’aller au boulot en vélo et ceux qui ont l’impression de rentrer dans un magasin de produits de luxe quand ils vont dans une la station service. Entre les beaufs et les Jean Quatremer.

On a parlé de manifestation fourre-tout, de revendications proteiformes, de convergence des luttes ou de mouvement hétéroclite.

Et si c’était plus simple que ça ? Et si cette France des gilets jaunes malgré sa diversité politique en avait simplement plein le cul d’entendre des leçons de morale, qu’elles viennent des politiques mais aussi des médias qui ne leur ressemblent pas.

Et si ils en avait simplement ras le bol de sentir qu’on les fait passer pour :

Des responsables des famines en Afrique et de la fonte des glaces parce qu’ils roulent au diesel.
Des parents violents parce qu’ils mettent de temps en temps une fessée à leur gamin.
Des homophobes parce qu’il n’ont pas forcément été touchés, comme 90% du milieu médiatique par la campagne de promotion de Marc Olivier Fogiel en faveur de l’esclavage procréatif.
Des gens sexistes parce qu’ils rigolent aux blagues pourries de Tex ou de Bigard.
Des assassins parce qu’ils continuent à bouffer de la viande de temps en temps.
Des racistes parce qu’ils émettent l’hypothèse incongrue qu’un pays qui a 10% de chômeurs ne devrait pas continuer à accueillir 250 000 immigrés pas an.
Des beaufs parce qu’ils fument, jouent au quinté, aiment bien les émissions de Patrick Sebastien ou de Jean Pierre Pernaut.

Et si le point commun de tous ces gens était qu’il se sentent non seulement mal représentés mais surtout jugés par la mélasse informe qui sert de prêt-à-penser à l’immense majorité de ceux qui aujourd’hui s’expriment à la télévision, à la radio ou dans les journaux? Et si cette colère était autant une colère pour préserver leur mode de vie que leur niveau de vie?

Ce que veut « la base » (comme l’appelle avec une arrogance toute macronienne le très charismatique Christophe Castaner), c’est peut-être simplement que les poulets hors-sol qui peuplent les plateaux de télés comme Jean Quatremer ou les bancs de la majorité à l’assemblée prennent le temps de les entendre, d’arrêter de leur servir un discours moralisateur comme le fait Marlène Schiappa, la nouvelle prétresse du camp du bien, à chaque fois qu’elle l’ouvre. Qu’ils arrêtent de leur parler de progrès tous les matins alors qu’ils ont eux, l’impression de régresser.

Elle s’en tamponne des nouvelles mobilités, de la start’up Nation, des opportunités de la mondialisation, des nouvelles connexions interurbaines et des politiques de multimodalité des grandes métropoles. Cette France là n’a pas de leçons à recevoir sur la modernité, elle vit dans son siècle et les pieds dans le réel. Elle veut juste qu’on arrête de lui taper dessus à longueur de loi, qu’on cesse de la mépriser. Elle veut vivre sans être emmerdée et travailler sans avoir le sentiment de le faire pour engraisser un Etat déjà obèse. Point.

Et si possible, Elle veut aussi que Jean Quatremer se taise. »

Jean-Baptiste Doat

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2 Comments

  1. « Elle (cette France là) veut aussi que Jean Quatremer se taise » : ça, c’est pas gagné. Et je dirai tant mieux puisque la liberté d’expression, théoriquement pour tout le monde en france, permet encore à chacun de s’exprimer, et à J.Q. et aux « gilets jaunes ». Si les propos de J.Q. sont ce que vous dites, la liberté de ne pas écouter ce qu’il dit existe aussi, et alors à chacun de faire ce qu’il a à faire dans ce sens…

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