Jacques Semelin est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur de recherche au CNRS affecté au Centre d’études et de recherches internationales. Son dernier livre porte un regard neuf sur une histoire complexe.
Les travaux de Jacques Semelin sont très larges et étalés dans le temps. Depuis des décennies, Semelin poursuit sa vaste exploration de la violence en menant une réflexion approfondie sur ses formes les plus extrêmes, les massacres, les violences extrêmes, les violences de masse, les génocides. Justement, lorsque la violence de masse évolue vers l’institutionnalisation et qu’elle est relayée et soutenue par les/des discours publics, elle peut aboutir à un génocide. Mais, Jacques Semelin s’intéresse également à la non-violence et à la résistance civile. Ce sont des études complexes et difficiles mais indispensables pour comprendre des mécanismes, les mécanismes de l’horreur et de la barbarie; à l’inverse, la résistance, la résistance, la compassion.
Or, Jacques Semelin vient de publier au CNRS éditions, un livre remarquable de 371 pages intitulé « La survie des Juifs en France. 1940 – 1944. »
Comment et pourquoi 75 % des Juifs ont-ils échappé à la mort en France sous l’Occupation, en dépit du plan d’extermination nazi et de la collaboration du régime de Vichy ? C’est bien cette « énigme » qui constitue la matière de ce livre, précise l’auteur. Une recherche étalée sur plusieurs années, qui se fonde sur différents types de documents, rapports, allemands ou de Vichy, journaux intimes, mémoires et témoignages et illustrée par les trajectoires de juifs français et étrangers, individus ou familles, dont le lecteur suivra l’évolution de l’avant-guerre aux années d’Occupation.
Dans une interview publiée dans La Croix (21 mars 2018), Jacques Semelin revient sur ce qui l’a conduit à travailler sur le sujet. Il explique que c’est Simone Veil qui l’a décidé, en 2008, à se lancer dans cette vaste recherche académique, opérant ainsi un lien entre ses deux domaines de recherches, la résistance civile et les massacres de masse.
Mais, le propos de Jacques Semelin n’est pas, n’est ni de minimiser l’horreur du génocide de 25 % des juifs de France ni de raconter une « histoire rose » du sauvetage des juifs en France, précise-t-il. A ce titre, une comparaison s’impose : en Hollande 80 % des juifs sont morts, en Belgique près de 45 %, mais en France, 25 %. En définitive, au moins 200 000 juifs restés sur le territoire national ont pu échapper aux arrestations, à la déportation et à la mort.
Jacques Semelin montre alors toutes les stratégies individuelles ou collectives qui ont été déployées par les juifs pour se dérober à la mécanique hitlérienne. Des Juifs qui réussissent à se fondre dans la population, qui s’échappent, mettent leurs enfants à l’abri, se préparent à fuir, se cachent, se procurent de faux papiers, s’adaptent à la vie rurale, se font catholiques, en renonçant à l’expression de tout signe propre à leur religion, s’adaptent à la vie rurale…
Jacques Semelin insiste également sur l’aide spontanée qui a été apportée par les/des Français non-Juifs, surtout après les rafles de l’été 1942. Ces aides s’expriment par la compassion, la solidarité, une protection. D’autres facteurs sont déterminants, en vrac : l’espace rural français, l’existence d’une zone libre, la tradition chrétienne, l’héritage républicain, le patriotisme. Il faut ajouter ce paradoxe, la politique antisémite de Vichy a été souvent appliquée par des dirigeants et/ou des fonctionnaires non marqués par la tradition antisémite française d’extrême droite.
Semelin montre alors que les juifs ont trouvé en France un tissu social complice pour les aider, surtout à̀ partir de l’été 1942, malgré l’antisémitisme et la délation. Mais, en réalité, il y eut mille et une manières par lesquelles les Juifs ont fait face à la persécution et aux arrestations et le tout est expliqué et détaillé.
Au-delà de ce livre, l’auteur souhaite que se développe aujourd’hui une nouvelle école historiographique qui prenne en compte ce qui a la fois a conduit à la destruction des juifs voulue par Hitler et ce qui a freiné, limité voire bloqué son projet destructeur (p.302).
Marc Knobel pour le CRIF
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