Dans ses Mémoires, Israël avant Israël, David Ben Gourion expose ses idées sur le projet sioniste. Il relate le deuxième entretien qu’il a eu avec les membres du Brit Chalom : « La discussion avec le Brit Chalom porte sur la question juive plus que sur le problème arabe. Nous nous sommes occupés des relations avec nos voisins bien avant la fondation du Brit Chalom. Si nous nous opposons à lui, c’est à cause de son attitude envers le sionisme. Sans plate-forme sioniste commune, on ne saurait concevoir un programme politique commun sur quelque question que ce soit. Le terme d’État bi-national, avancé par les membres du Brit Chalom, ne signifie rien car il est dénué de tout contenu politique. S’il s’agit de souligner un fait existant, l’existence d’Arabes et de Juifs en Eretz-Israël, je n’ai rien contre une telle définition, bien qu’elle ne contienne rien de nouveau. Mais même à ce sujet, je crains qu’il n’existe des divergences entre nous.
« Ce fait, que signifie-t-il ? Comparer Eretz-Israël au Canada ou à la Suisse est erroné. Le Canada est un État bi-national avec des Anglais et des Français. Les premiers sont en majorité et les autres, bien que minoritaires, ont des droits nationaux garantis et l’égalité politique. Mais ces droits nationaux ne sont garantis qu’aux seuls Français du Canada. Les autres Français ne jouissent d’aucun droit particulier au Canada et les Français canadiens ne s’occupent pas de faire venir leurs compatriotes de l’étranger car ils n’en ont pas le droit. De même en Suisse, pays tri-national. Les Italiens, les Français et les Allemands suisses sont égaux en droits comme citoyens et comme groupes nationaux. Le concept bi-national est-il le même en Eretz-Israël ?
« Le Pays appartient-il seulement aux Juifs et aux Arabes qui y vivent ? Le « problème national » y est centré sur « le droit des masses israélites dispersées » de monter au Pays pour s’y concentrer. Ce droit existe-t-il dans le plan du Brit Chalom ? Le concept bi-national ne répond pas à cette question.
« Qui aurait besoin d’un centre spirituel en Eretz-Israël « avec seulement une poignée de Juifs » ?
« Ce centre ne résoudrait rien. Et comment survivrait-il ? Un tel centre, c’est l’école talmudique de Hébron, dont la fin tragique résume « le destin d’un centre spirituel créé au sein d’une majorité non juive ».
« Aucune société juive exemplaire ne saurait naître sous un régime arabe oriental ».
« Ce serait alors un nouvel Exil, peut-être le plus malheureux et le plus misérable de tous !
« Le concept d’État bi-national signifie-t-il que la montée des Juifs dispersés et leur accroissement ne doit pas porter atteinte aux droits des Arabes ou les asservir politiquement ? Je suis d’accord avec cela et je dirai que nous ne saurions nous contenter d’une justice négative vis-à-vis d’eux. Ne pas leur causer du tort ne suffit pas. Il faut un plan constructif : hausser leur niveau de vie, améliorer leur économie et leur culture.
« On ne saurait édifier le Pays sans ses habitants ». La logique de notre action, la logique morale, politique, économique, oblige à égaliser le niveau de vie des Arabes et celui que nous créons pour nous.
« Mais si cette définition signifie que la valeur du Pays est identique pour les Juifs et les Arabes, vous commettez à nouveau une faute en falsifiant la vérité.
« Eretz-Israël n’a pas la même signification pour le peuple juif que pour le peuple arabe.
« La nation arabe dispose de nombreux pays très vastes, dont la superficie en Asie équivaut au tiers de l’Europe. L’existence économique et culturelle de la nation arabe, son indépendance nationale, son renouveau étatique, ne sont pas liés et ne dépendent pas de l’existence d’Eretz-Israël.
« Le Pays ne constitue qu’une petite partie d’un territoire immense peuplé d’Arabes, d’ailleurs d’une densité des plus réduites. Seule une petite partie du peuple arabe, peut-être 7 à 8 % si l’on ne tient compte que des pays asiatiques, vit en Eretz-Israël. Il n’en va pas de même pour le peuple juif.
« Pour toute la nation juive, à toutes les générations et dans tous les exils, ce fut le seul, l’unique Pays dont le destin et l’avenir historique restèrent liés à la nation juive.
« Dans ce Pays seulement la nation juive renouvelera sa vie indépendante, son économie nationale et sa culture propre. Seulement ici elle pourra instaurer son indépendance et sa souveraineté étatique.
« Qui tente d’empêcher cette vérité d’exister s’en prend à l’âme même de la nation juive !
« Nous avons l’obligation de préserver l’égalité des droits de nos voisins arabes. Mais il serait faux de dire qu’Eretz-Israël signifie la même chose pour le peuple arabe que pour le peuple hébreu.
« Si le concept bi-national projette cette égalité-là, c’est une contre-vérité qui récuse notre objectif final. Au lieu d’un terme bi-national si compliqué je propose : « Eretz-Israël est destinée au peuple hébreu et aux Arabes qui y vivent ». Aucun projet constitutionnel niant cette hypothèse de base ne saurait être jugé valable.
« Ce serait renoncer au seul espoir du peuple juif que de collaborer à un projet négligeant le « droit à l’existence de la nation hébraïque ».
« Je m’oppose au projet d’Assemblée législative et non seulement d’un point de vue juif. De ce point de vue-là, tout système édifié à partir du statu quo est contraire à la théorie et à la pratique du sionisme.
« Un tel régime ne signifierait pas un État bi-national mais « un État arabe » !
« Je m’oppose à un Parlement arabe mais non pas parce que les Arabes ne seraient pas capables de se gouverner eux-mêmes. Pour cette raison, on pourrait supprimer bien des Parlements en Europe !
« Le danger est plus grand : ce Parlement ne représenterait pas le peuple arabe !
« D’autres pays sont dirigés par un petit groupe de propriétaires fonciers et de capitalistes.
« Je refuse aux Arabes du Pays le droit de le diriger seuls.
« II convient de reconnaître pleinement les droits civiques des Arabes d’Eretz-Israël, leur égalité nationale et politique totale, mais non leur droit de régner sans partage.
« Je m’oppose à cette Assemblée du point de vue arabe. Elle ne serait qu’un trompe-l’oeil et une imposture politique. Je m’oppose à cette Assemblée pour des raisons d’ordre constitutionnel.
« Toute instance élue ne possédant que des pouvoirs consultatifs ou législatifs, et non le pouvoir exécutif, accroît l’irresponsabilité de ses membres.
« Des élus ne portant pas la responsabilité de l’application de leurs votes sont irresponsables !
« Quand Montesquieu a loué le système anglais pour sa séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, il a commis une erreur dans son appréciation de la constitution britannique, caractérisée justement par la concentration des pouvoirs législatif et exécutif entre les mains d’une institution élue par le peuple.
« Là est le secret de la grandeur et de la force du régime parlementaire anglais.
« La séparation des fonctions dans le Pays ne se ferait pas selon les institutions, et si l’on y ajoute la contradiction possible entre les deux éléments locaux, l’Assemblée deviendrait inévitablement une tribune de mécontents et de querelleurs. Ses élus n’ayant jamais à appliquer leurs propositions et leurs projets, rien ne les empêcherait de soumettre des projets de loi irréalisables. Leurs propos étant destinés surtout à leurs électeurs, chacun verserait de l’huile sur le feu des contradictions nationales. Seuls les irresponsables parmi nos voisins auraient la possibilité de s’y faire élire, et peut-être aussi les irresponsables parmi nous !
« II convient d’opérer des réformes profondes qui doivent correspondre à la situation particulière du Pays. D’une part, nous devons répondre aux exigences justifiées des Arabes, de l’autre garantir « les droits du peuple juif ». Il convient de démocratiser l’autonomie municipale à la ville et au village, d’accroître les pouvoirs des autorités locales. Il faut supprimer toutes les limitations et le cens électoral. Au lieu de collèges basés sur la religion, il faut instaurer des élections à la proportionelle, supprimer les municipalités mixtes dans la mesure du possible. Jérusalem doit nous servir d’avertissement. Les intrigues des fonctionnaires britanniques et des effendis arabes y ont transformé une majorité juive importante en minorité insignifiante.
« De même que je défends les droits de la population juive de Jérusalem, je défends les droits des non Juifs. Mon idéal n’est pas la domination de la majorité juive sur la minorité arabe de Jérusalem. Pour moi, la seule solution convenable serait une municipalité hébraïque administrant les quartiers juifs. »
En 1930, David Ben Gourion insiste sur la question de la sécurité d’Eretz-Israël et sur l’impératif du « renforcement de notre autodéfense au maximum ». Il observe : « Notre péché, c’est notre faiblesse ! »
« Le programme d’action sioniste : après les événements, nous sommes confrontés avec le problème de la sécurité. Nous devons exiger une police et une police-frontière juives. Nous ne pouvons vivre dans le Pays sous la protection des baïonnettes étrangères. Sommes-nous venus ici pour cela ? Nous devons résoudre le problème de la sécurité par nos propres moyens. Nous devons constituer une force qui ne sera pas inférieure à celle des Arabes. Ceci n’est pas difficile. Pour mesurer nos forces à celles des Arabes, nous n’avons pas besoin de l’égalité numérique. Si notre nombre atteint les deux tiers de celui des Arabes, notre force sera égale à la leur. Mais un point isolé ne peut se défendre. Notre installation dans le Pays progresse selon deux axes : la côte méditerranéenne, du sud de Jaffa jusqu’à Haïffa, et de la baie de Haïffa jusqu’à la vallée du Jourdain. Nous devons renforcer ces deux axes, constituer un bloc territorial sur la côte. C’est le secteur essentiel. En plus de son importance économique, il constitue la clef stratégique du Pays, le débouché vers la mer que nous devons conquérir. Outre ces deux secteurs, il convient de renforcer tout particulièrement Jérusalem. D’un certain point de vue, cette ville pèse aussi lourd que tout le reste du Pays.
Son importance historique, « sa situation de capitale », de centre touristique, où il y a déjà une majorité juive, nous obligent à en modifier l’aspect : la capitale du Pays doit devenir une succession de quartiers juifs. La structure économique de la population juive doit être réformée. Nous ne gaspillerons pas nos forces à Hébron pour y créer, dans le meilleur des cas, une minorité juive au sein d’une majorité arabe. Tous nos moyens doivent servir à renforcer Jérusalem. Ceci doit constituer la réponse du peuple juif aux événements » (sanglants de 1929, avec les massacres et les pillages des villages et des quartiers juifs par les Arabes).
(adapté de David Ben Gourion, Mémoires, Israël avant Israël, © Grasset, 1974)
Source : © Thierry-Ferjeux Michaud-Nérard pour Dreuz.info.
Ce texte incite à la prudence sinon à la méfiance.
Déjà le titre « Les idées de David Ben Gourion sur le projet sioniste » est trompeur, vu que l’ensemble des citations date de 1930 voire avant (d’autant qu’il y a manifestement une velléité de « flou artistique » sur l’époque).
Il s’agit surtout d’une discorde entre lui et la mouvance groupusculaire « Brit Shalom », qui n’a existé qu’entre 1925 et 1933. Ce débat obsolète remonte donc à 85 ans…
Or, entre 1930 et la mort de Ben Gourion en 1973 il a vécu (et provoqué…) moult bouleversements cataclysmiques ; ses idées de 1930 en furent sans doute radicalement modifiées ; cet article est donc caduque et son titre de surcroit.
Un autre flou règne sur l’authenticité des citations. L’article se dit « adapté de David Ben Gourion… ».
Adapté ? Jusqu’où ? On a trop vu des « adaptations » des dires de personnages célèbres qui se permettent des apports « personnels », pour les besoins d’une cause ultérieure dont le personnage ignorait l’existence…
Bref, méfiance est mère de sureté.
« Déjà le titre « Les idées de David Ben Gourion sur le projet sioniste » est trompeur, vu que l’ensemble des citations date de 1930 voire avant (d’autant qu’il y a manifestement une velléité de « flou artistique » sur l’époque). »
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Je ne vois vraiment pas le problème avec cette date et le titre : en 1930 le sionisme était encore en projet, certes plus avancé qu’à l’époque de Herzl, mais toujours un projet en construction.