Dora Maar, la femme rouge de Picasso

Le musée Picasso propose, jusqu’au 13 janvier, Picasso. Chefs-d’œuvre ! une exposition organisée autour d’une dizaine de toiles majeures du plus grand artiste du XXe siècle, le maître de Mougins, complétées par des sculptures, des collages, des papiers découpés, ainsi que des objets de la collection de Dora Maar vendue en 1998.

Ces objets, confectionnés à partir de bouts de fil de fer, de papiers et de capsules — ou même la Vénus du gaz, pour laquelle Picasso détourne un brûleur de fourneau à gaz planté à la verticale — sont un véritable hommage aux surréalistes, dont Dora Maar faisait partie.

Rouge, ses ongles étaient rouges, sa bouche aussi, comme le montre bien la toile Portrait de Dora Maar, et le collage Femmes à leur toilette, deux œuvres de 1937. A cette époque, cela faisait un an qu’ils s’étaient rencontrés au café des Deux Magots, à St Germain des Prés, grâce à Paul Eluard. Le film de Jean Renoir, Le Crime de monsieur Lange, pour lequel Dora Maar avait été engagée comme photographe de plateau, était terminé. La jeune femme, les paumes sur la table, s’amusait à planter un couteau entre ses doigts ensanglantés. Rouges.

Politique et passion

Plus tard, elle invita Picasso rue d’Astorg, dans son atelier, où elle fit une série de portraits de lui. C’est elle qui lui trouva aussi son vaste atelier au 7, rue des Grands-Augustins[1], où il passa en grande partie la guerre (il a souvent parlé des températures glaciales dans son atelier, refusant de recevoir du charbon de la part de l’occupant). C’est donc là que travaillait Picasso en 1937, quand les troupes franquistes prirent Malaga, sa ville natale, puis quand les Allemands bombardèrent Guernica.

Dora Maar, qui avait grandi à Buenos Aires, parlait espagnol et fut sans doute, de toutes ses femmes, celle qui fut la plus proche de Picasso sur le plan artistique, intellectuel et politique. Ainsi quand il entreprit un de ses tableaux les plus célèbres, Guernica, Dora photographia chaque étape de la création, l’accompagnant, l’inspirant, le guidant, et laissant pour la postérité un témoignage incomparable sur la genèse d’une œuvre.

Dora Maar, la femme rougearti

On l’a appelée La Femme qui pleure, mais Dora Maar était la femme rouge. Celle qui fut la maîtresse, la muse et l’égérie de Picasso de 1936 à 1942, faisait partie du groupe Octobre (proche du PCF). Dès septembre 1939, avant même la déclaration de guerre, Picasso fuit Paris, traumatisé par la sauvagerie de la guerre d’Espagne. Il se réfugia, comme André Breton, le pape du surréalisme, à Royan, descendit à l’hôtel du Tigre avec Dora, et loua la villa Gerbier de Jonc pour Marie-Thérèse Walter, son autre maîtresse, et leur fille Maya.

Il se trouva aussi un atelier, peignit quelques toiles comme les Baigneuses, mais aussi des maisons et un café avec les fenêtres passées au bleu pour occulter les lumières la nuit. Mais Royan ne l’inspira pas autant que le Midi. Après l’armistice, il repartit pour Paris, tandis que Breton et Jacqueline descendaient vers Marseille.

Humour et poésie.

« Ta peinture, c’est comme si tu voulais nous faire manger de l’étoupe ou boire du pétrole », disait Georges Braque devant les Demoiselles d’Avignon en 1907. Inutile d’insister sur les réactions diverses qu’a suscité ce « manifeste du cubisme » lors de sa présentation au Salon d’Antin de 1916, en pleine guerre. En fait l’exposition nous présente les Demoiselles sous la forme d’une grande tapisserie de 1958, avec la correspondance amicale et respectueuse entre l’artiste et les tisserands, les époux Dürrbach. « Mon cher Picasso, L’homme de métier est en quête de la lumière, du merveilleux, » lui écrivait René Dürrbach de Cavalaire quand il eut fini le travail.

Arlequin assis Picasso

Mais l’exposition, qui souligne l’admiration de Picasso pour Rembrandt, propose aussi une œuvre inattendue, Science et charité, une toile datant de 1897. Picasso, qui a 16 ans, fait preuve d’une maîtrise étonnante et d’une solide formation classique qu’on retrouve toujours avec plaisir, comme si elle expliquait le mystère Picasso. Prenant modèle sur un motif académique, il représente son père en médecin, au côté de sa sœur Conchita, morte quelques années plus tôt. On peut aussi mentionner les Arlequins, datés de 1923, La Chèvre, une imposante sculpture, souvenir d’un bref séjour à Antibes, et des dessins très émouvants, tels que Rembrandt tenant par la main une femme au voile (une eau forte de 1934). Poésie et humour. « Les yeux de l’artiste », un dessin au crayon de 1917 nous observe, grave et tendu, dès l’arrivée…

Edith Ochs

Musée Picasso, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris. M° St-Paul ou Chemin Vert. Bus : 20 – 29 – 65 – 75 – 69 – 96. Ouvert Ts les jours 10h30-18h (sauf le lundi). Plein tarif : 4€ – Tarif réduit 3€

Renseignements 33 (0)1 85 56 00 36 contact@museepicassoparis.fr

[1] Deux étages transformés en 2015 en résidence d’artistes, après un long combat, grâce, entre autres, à la Fondation Maya Picasso pour l’Education artistique.

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