Charles Rojzman est un des contributeurs du réseau TEDxVaugirardRoad. TEDxVaugirardRoad est un événement sous licence TED résolument centré sur l’humain. Retrouvez en l’actualité sur TEDxVaugirardRoad.com
Deux expressions sont devenus banales aujourd’hui et sont l’expression d’une mythologie de l’époque : le vivre-ensemble et la peur de l’Autre. On ne doit pas discuter de la nécessité de vivre ensemble – avec nos différences ajoute-t-on volontiers – et on doit combattre les démagogues d’extrême-droite qui, selon une autre expression consacrée, « surfent sur les peurs », sur la « peur de l’Autre ». Haro donc sur ces mauvais et méchants esprits qui répandent la peur du différent, de l’étranger, du Rom, du musulman, du jeune de banlieue ! C’est tout juste si ces « apeurés », bardés de leurs préjugés, ces racistes, ces homophobes ne sont pas considérés comme les héritiers de la barbarie nazie.
En effet, une des conséquences des horreurs commises en Europe pendant la deuxième guerre mondiale fut la création d’une idéologie pacifiste qui déclara : « Plus jamais ça » et plus tard d’un antiracisme qui affirma dogmatiquement qu’il ne fallait pas avoir peur de l’Autre, en réaction aux affirmations monstrueuses des nazis qui signifiaient par leurs paroles et leurs actes l’altérité irréductiblement mauvaise des juifs, des slaves, des homosexuels, des handicapés.
Ainsi on déclara que les « autres »- ex-colonisés, habitants des pays du tiers-monde, immigrés, clandestins ou non, ne devaient en aucun cas faire peur car ils étaient, tout comme les victimes de la barbarie nazie, innocents par essence. On culpabilisa la peur comme expression de sentiments méprisables et dangereux, pouvant même conduire au crime racisme, tel celui commis par le fameux Dupont-Lajoie des années 80. On adora les héros de l’antiracisme, Che Guevara, Malcom X, Martin Luther King, Mandela, Gandhi et on applaudit à la naissance de l’utopie multiculturaliste qui prônait la diversité, comme source de richesse et de progrès humain et qui annonçait un monde plus libre et plus fraternel.
Désormais, le mot d’ordre est : » il ne faut pas avoir peur de l’Autre « . L’adepte du multiculturalisme se regarde avec complaisance dans ce miroir et il y voit le reflet de sa bonté, de sa générosité et de sa tolérance. Il voit aussi, évidemment comme nous tous, à quel point la diversité est une richesse en important des modes de vie qui nous aide à sortir du cocon de nos routines, de nos certitudes et élargissent notre vision du monde.
Mais justement le problème n’est pas la diversité qui est une donnée incontournable du monde contemporain. Le problème, c’est la violence. Le moine bouddhiste que je rencontre dans le métro. Il a beau être terriblement autre avec sa tonsure et sa robe orange, sa religion exotique et différente, il n’inspire pas la fameuse peur de l’autre. Pour quelle raison ?
L’autre comme le proche, l’étranger comme le membre de notre famille, nous inspire dans la peur quand il risque de nous faire violence. Quand il peut nous agresser, nous ignorer, nous humilier, nous culpabiliser, quand il exerce toutes ces formes de violence. Ou bien sûr quand j’imagine qu’il peut les exercer. La peur est en effet présente quand il y a une forme ou une autre de violence : indifférence, manipulation, agression, humiliation…
Nous faire croire à ce mythe de la peur de l’autre vise à nous empêcher d’être en conflit, à nous obliger d’accepter, relativisme culturel oblige, l’autre dans sa différence même si cette différence entre en contradiction avec nos valeurs les plus intimes.
La polémique autour du foulard née à Creil en 1989 tournait autour de cette question justement : le foulard fait-il violence aux valeurs de la société française ou est-il simplement une expression de l’autre qui a le droit en tant qu’autre de choisir comment il désire s’habiller et se montrer en société.
L’autre doit-il être accepté dans sa différence et devons-nous « vivre ensemble » dans une société diverse et multiculturelle ?
Ou bien l’autre est-il vraiment autre ? N’est-il pas plutôt un reflet de moi-même avec son histoire, personnelle ou collective, ses peurs, ses préjugés, sa haine ? Tout comme moi. Tout comme nous.
Alors plutôt que de sombrer dans la violence qui rejette, qui méprise, qui est indifférente, ne vaudrait-il pas mieux être en CONFLIT ? Ce qui signifie qu’en face de moi, j’ai un être humain avec qui je peux partager mais aussi contre lequel je dois combattre, si c e qu’il fait est contraire à ma vision de monde, à mes valeurs et à ma sensibilité.
Nous devons rétablir le conflit dans les relations sociales, pour justement éviter la violence. Il n’y aura pas de véritable vivre ensemble sans conflits. L’idéologie du « vivrensemblisme » qui veut gommer tous les conflits aboutit à diminuer les résistances face à ce qui est inacceptable. La peur justement, c’est cette émotion qui permet de se prémunir des dangers réels qui ne doivent pas être confondus avec des dangers fantasmés.
Est-il vraiment anormal d’avoir peur de perdre son identité propre ? D’avoir peur de perdre son travail ? Est-il anormal que des personnes fragiles et exposées aient peur des agressions, de cette délinquance si présente dans de nombreux endroits désormais ? Est-il anormal d’avoir peur d’emprunter les transports publics tard dans la soirée ? D’avoir peur de manger un sandwich pendant le Ramadan quand on est musulman ? D’avoir peur d’être une femme dans certaines rues de nos villes quand on est habillé comme une femme ? Est-il anormal d’avoir peur de l’avenir, de cette banqueroute généralisée dont on nous annonce l’imminence tous les jours ? Est-il anormal d’avoir peur de certaines manifestations de l’Islam dans le monde ? Est-il anormal d’avoir peur de cette révolte contre l’autorité qui malmène des enseignants, des travailleurs sociaux, des pompiers, des policiers ? Est-il anormal d’avoir peur des réactions parfois violentes de ceux-là mêmes ?
Oui, réhabilitons la peur. Réhabilitons le conflit. Pour vivre ensemble, sans illusion, sans ces idéologies qui masquent le réel et qui empêchent les confrontations nécessaires entre ceux qui ne partagent pas les mêmes opinions ou les mêmes valeurs. Sans conflit, sans espaces pour le conflit, sans apprentissage du conflit, notre société se fragmente dangereusement, chaque groupe se contentant d’images simplistes et diabolisées des autres groupes. Le conflit permet précisément de poser les problèmes là où ils existent et si ce n’est de trouver un terrain d’entente, du moins de reconnaître l’humanité de ses adversaires. La cohésion sociale est à ce prix -au prix du conflit- pour éviter des violences qui risqueraient d’être toujours plus graves et de dégénérer dans une forme de guerre civile larvée ou non.
Source : huffingtonpost.fr
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