Ce projet est irréaliste et dangereux. Irréaliste parce que l’homme est un être de désir, de vocation et de convictions. Il donne du sens à sa vie en s’opposant, en développant des idées, en transformant son environnement, en influençant la société de ses empreintes idéologiques. Il pense et agit. Le forcer à se taire et à tout accepter serait le tuer, nier son existence. Aucune personne, si ce n’est en situation de dépression, ne peut se soumettre à une telle annihilation de soi. Mais ce projet est surtout dangereux. L’Histoire montre en effet qu’aussitôt appliquée cette vision du vivre ensemble, un bouc émissaire doit être déterminé pour représenter le mal, celui qui empêche l’harmonie. Supposer que tout le monde est d’accord sur une conception globale (ce qui est impossible) oblige ceux qui partagent la même vision à se séparer de tous les autres. Ces autres ne sont pas comme nous, ces autres doivent rejoindre notre conception ou nous devrons les combattre, voire les exterminer. Ainsi la paix se fera entre soi en même temps que la guerre soudera la conviction que le mal est à l’extérieur. Ce projet est celui de tous les totalitarismes, celui d’Hitler, celui des islamistes intégristes aujourd’hui et même à petites doses, celui de certains bien-pensants de gauche, anti-américains, antisionistes, antiracistes. Dans tous les cas, le mal est ailleurs et si l’on se débarrasse de ce mal, la paix doit advenir enfin.
Beaucoup d’hommes et de femmes convaincus d’un vivre ensemble de ce type se sont parfois transformés en démons humains. Ils ont offert leur raison en pâture à l’idéologie extrême et à la folie meurtrière. Ce thème du vivre ensemble n’est pas un thème pacifique, il peut contenir la destruction et la pathologie sociale, toujours susceptible de ressurgir. J’insiste, il faut construire une vision nouvelle du vivre ensemble, une vision humaine acceptant et prenant en compte chaque être humain, naturellement frère d’humanité. Accepter chaque homme, cela signifie accepter de vivre AVEC les conflits, en permanence pour nous préserver de la violence. Ce n’est pas une prescription angélique, c’est une condition de survie, un garde-fou contre les folies collectives.
Charles Rojzman
Rappel de la plus haute importance à l’heure où la platitude de l’ideologie omniprésente de la « bienveillance » sert à colmater les conflits réprimés et d’autant plus explosifs qu’ils sont ignorés et niés . Oui, le temps des boucs émissaires est revenu, comme l’enfer pavé de bonnes intentions.