Bien sûr on a gagné la Coupe du Monde. Bien sûr c’est très chouette. Mais ce matin, à l’aube, permettez moi de penser à mon arrière grand mère Rosza Waldman raflée puis sacrifiée à Auschwitz. Voici un court extrait des « Volets bleus » le manuscrit posthume de mon père sur lequel le travaille…
16 juillet 1942.
« La rue dans l’alignement du balcon s’étire. Vide. Comme un trait vers l’inconnu. Il fait pourtant si beau. Mais les trottoirs sont déserts. Le bouquiniste est fermé. Disparus
les amoureux, les étudiants, les touristes, les ménagères. Une drôle d’ambiance entoure le silence du matin.
En haut de la rue de la Grange Batelière, subitement dépeuplé, apparaissent trois policiers en uniforme.
Ils se parlent à voix basse. Marchent lentement. Du pas de ceux qui vont accomplir leur devoir. Sur ordres. Le claquement des talons résonne sur les façades inquiètes. Rien ne presse.
Cinquième étage. Porte du fond à gauche. Personne ne se doute de rien. Il faudrait ignorer cette sonnette. Elle annonce le malheur. Restez immobile. Ne bougez pas. Taisez-vous. Arrêtez de respirer. Faites croire que l’appartement est vide. Nous ne sommes pas là. Il n’y a personne.
Deuxième coup de sonnette.
Elisabeth va ouvrir.
Pour l’instant, ils sont trois policiers. Sévères. Munis d’une lettre de mission. Dressés face à elle, Rosza et le garçon.
La famille est pétrifiée. Soucieuse. Sans doute résignée à la vue de ces trois hommes. Ils représentent l’autorité. Quelle autorité ? Celle d’entrer sans être invités à le faire ?
– Nous venons chercher Rozalia Waldman, annoncent-ils sans préambule.
Aucun sentiment ne filtre. Les ordres sont les ordres.
Pourquoi elle et pas les autres ? Pas de questions. Pas un cri de protestation. Pas même des larmes. Le silence. L’obéissance comme s’ils avaient su. Depuis longtemps. Cela devait arriver.
– Prenez quelques affaires, dit froidement l’un d’eux.
Toujours une absence d’émotion dans la voix. Après tout, ce n’est qu’une vieille femme. Elle a fait son temps.
Elisabeth remplit en vrac une petite valise. Le garçon, comme il le fait habituellement, se serre contre les jupes de Rosza. Et elle, elle lui passe la main dans les cheveux, disant doucement en hongrois :
– Ce n’est rien. Ne t’inquiète pas…
Ce furent ses dernières paroles. Ils l’emmènent prestement. Sans un regard en arrière. On ne la reverra plus. Petite silhouette voûtée. Elle trotte entre les uniformes bleus. Elle marche vers la mort en ce jour de juillet 1942. Un jour de honte. Il demeurera dans l’histoire sous le nom de la grande rafle du Vel d’Hiv. »
Jean- Jacques Erbstein
auteur de L’Homme fatigué. Prix Littré 2017
Nous redoutons toujours qu’une joie collective glisse vers un poujadisme nationaliste. Le régime de Vichy a toujours cherché une légitimité dans ses proclamations de redressement moral et la corruption du patriotisme par un nationalisme aveuglé qui recherchait des victoires dans l’efficacité de la collaboration.
Après avoir détruit la République et corrompu l’Eglise de France, Vichy revendiqua de confier la Rafle du Vel’d’Hiv à la police française, afin, en partie, de montrer aux allemands, l’efficacité du nouvel ordre français. Nous n’oublierons jamais les crimes antisémites qui savent utiliser toutes les raisons pour masquer la nudité de la haine.