ROUEN/ »Savants et croyants » raconte les Juifs français du Moyen Age

«Le sort des Juifs aux XIXe et au XXe siècles est connu. Ce qui reste largement ignoré, c’est l’importance de la présence juive en France au Moyen Age.» La phrase est empruntée à un entretien donné au «Monde» le 11 décembre 2017 par Paul Salmona, directeur du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris (MAHJ). La matérialisation de l’actuelle exposition «Savants et croyants» du Musée des antiquités de Rouen était alors déjà depuis longtemps sur les rails. Et il semblait clair que l’institution parisienne la soutiendrait tant sur le plan financier que logistique. La moitié du colloque prévu les 4 et 5 septembre se déroulera du reste au MAHJ.

Crédits: Musée des antiquités, Rouen 2018

Pourquoi Rouen ? Pour plusieurs raisons. La première est bien sûr la découverte en 1976, sous la cour du Palais de Justice (un imposant bâtiment gothique considérablement agrandi au XIXe siècle) de ce que l’on a vite baptisé «La Maison sublime». Il s’agit là d’une construction des années 1100, conservée sur plusieurs mètres de hauteur. Elle est clairement rattachée au monde judaïque. Les interprétations diffèrent cependant. Si certains voient là la plus ancienne école rabbinique («yoshiva») conservée au monde, d’autres pensent qu’il s’agit simplement d’une importante maison privée. Elle couvre tout de même 150 mètres carrés. Le débat continue, alors que le judaïsme connaît un peu partout une crispation identitaire inconnue il y a quarante ans

Une soixantaine d’objets

La Maison avait besoin d’une restauration. Elle-ci aurait dû s’achever en mai 2018. L’exposition organisée par Nicolas Hatot, directeur du musée rouennais, et Judith Olszowy-Schlanger, de l’Université d’Oxford, était prévue pour célébrer l’événement. Les travaux ont pris du retard. La manifestation demeure donc seule, dans son ancien couvent de Visitandines. Un bâtiment qui doit lui aussi subir un important chantier. Je vous ai déjà expliqué que l’édifice accueillerait dans un avenir plus ou moins proche un parcours archéologique et d’histoire naturelle fusionnés sur le thème de la nature et de l’empreinte humaine.

Pour le moment, le lieu conserve sa scénographie désuète. «Savants et croyants» se déroule dans une vaste salle en sous-sol. Il faut préciser qu’il s’agit d’une exposition de taille modeste. Une soixantaine d’objets en tout, parfois minuscules. Si la chose ne l’a pas empêchée de se voir décrétée «d’importance nationale», c’est en raison du sujet et à cause de la difficulté à rassembler des pièces très dispersées. Et pour cause! Au moment de son érection vers 1100, la Maison sublime arrivait pile alors que la situation des Juifs se détériorait en Europe du Nord. Le premier grand massacre de France se déroulera à Blois en 1171.

Expulsions et confiscations

Que s’était-il donc passé ? En 1100, la première Croisade venait d’avoir lieu. Il s’agissait de récupérer le tombeau du Christ à Jérusalem. Les Juifs devenaient du coup les grands responsables de sa mort. Des déicides, et non plus seulement des hérétiques. La condamnation du prêt à intérêt par le quatrième Concile de Latran en 1215 allait encore aggraver leur situation. Seuls les Juifs pouvaient désormais prêter. Mais nul n’a jamais eu envie de rendre, surtout à des ennemis du christianisme. D’où la tentation du pogrom pour les particuliers et de l’expulsion suivie d’une confiscation des biens pour les souverains. Saint Louis deviendra ainsi un redoutable anti-sémite. La rouelle discriminatoire, ancêtre de l’étoile jaune, apparaît comme par hasard en 1215.

Une communauté dont un scientifique comme Norman Golb de l’Université de Chicago a démontré qu’elle était présente dans la France actuelle depuis l’époque gallo-romaine (et que Guillaume le Conquérant avait introduite en Angleterre après sa victoire de 1066) allait donc se trouver irrégulièrement persécutée et chassée. D’où le peu de témoignages subsistants. Des livres hébraïques. Quelques bijoux. Un peu d’argenterie. Une Thora complète miraculeusement retrouvée il y a quelques années à Vercelli, dans le Piémont, il y a quelques années. Des pierres tombales fragmentaires. Des sceaux. Il faut aussi dire que les courtes périodes d’intégration compliquent la donne. Nombre d’objets exhumés pourraient aussi bien être chrétiens que juifs. Il suffit pour le comprendre de dire une chose. Si les hommes portent alors un nom franchement hébraïque, les femmes pas. Or il n’y bien entendu aucun mariage mixte.

Autour de l’astrolabe

Avec ces pièces aussi bien venues d’Angleterre ou d’Italie que des bibliothèques de Normandie même, les deux commissaires sont tout de même parvenus à raconter une histoire. Celle-ci n’a pas connu que des moments terribles. Il y a eu en Normandie des savants d’origine juive, et ce dans tous les domaines. Ils étaient bien sûr liés au monde hispanique comme Abraham ibn Ezra. Celui-ci était à la fois théologien et scientifique. Le spirituel et le matériel demeuraient liés à l’époque. On lui doit ainsi un traité sur l’astrolabe. Un instrument de précision dont l’exposition propose bien sûr un superbe spécimen médiéval.

L’exposition n’en exige pas moins un effort du public, surtout s’il reste peu au fait du calendrier juif et des ses exigences. Le musée propose par ailleurs dans son parcours permanent de belles pièces gallo-romaines ou moyenâgeuses, dont quelques chapiteaux romans spectaculaires. Il se situe dans une rue Beauvoisine bien conservée, avec ses maisons à colombages dont certaines abritent, mais oui, encore des antiquaires et des brocanteurs. Pourtant situé au centre de Rouen, le quartier a moins été victime des bombardements de 1944 que d’autres. Le colombage est inflammable et fragile. Il exige en prime un entretien constant. Celui-ci fait hélas souvent ici défaut. Alors, profitez pendant qu’il est temps!

Pratique

«Savants et croyants», Musée des antiquités, 198, rue Beauvoisine, Rouen, jusqu’au 16 septembre. Tél. 00332 76 30 39 18, site www.museedesantiquites.fr Ouvert du mardi au dimanche de 13h30 à 17h30, le dimanche jusqu’à 18h.

Photo (Musée des antiquités, Rouen 2018): La bague qui fait l’affiche.

Source : bilan.ch

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