Il existe une légende selon laquelle le monde reposerait sur trente-six Justes, que rien ne distingue des simples mortels ; souvent, ils s’ignorent eux-mêmes. Mais s’il venait à en manquer un seul, le monde ne pourrait pas subsister !
“Ainsi commence “Le dernier des justes”, le livre d’André Schwarz-Bart qui reçut le prix Goncourt en 1959 et qui a contribué de façon majeure à faire connaître et transmettre cette légende.”
Mais est-ce vraiment une légende ? N’est-ce pas plutôt un rappel du fondement éthique sur lequel repose le monde ? L’auteur du livre des Proverbes ne dit-il pas ְצַדִּ֗יק יְסֹ֣וד עֹולָֽם, « le juste est le fondement du monde ? » Le monde n’a-t-il pas été sauvé à cause de Noé, « le seul juste de sa génération » : נֹ֗חַ אִ֥ישׁ צַדִּ֛יק תָּמִ֥ים הָיָ֖ה בְּדֹֽרֹתָ֑יו, et la société pervertie de Sodome n’a-t-elle pas été épargnée par la présence de 10 justes ? On se souvient aussi en Genèse 18 du marchandage d’Abraham avançant le nombre de cinquante Justes pour descendre progressivement à quarante-cinq, puis quarante, trente, vingt et enfin dix !
“Fondement éthique qui ne réside pas seulement dans l’énoncé de ses sources bibliques mais dans la traduction permanente que réalisent des femmes et des hommes à travers le monde par des actes de justice et de justesse, ignorant souvent l’importance et l’efficacité de leur gestes, mais sachant au plus profond d’eux-mêmes que sans cette justesse de l’humain, l’humanité ne pourrait survivre à elle-même.”
Justesse que l’on peut aussi appeler bonté !
Bonté qui a soufflé en de nombreux esprits lors de cette période terrible que fut la seconde guerre mondiale et au cours de laquelle la destruction et l’assassinat des juifs d’Europe fut le grand projet fou de l’Allemagne nazie et de ses collaborateurs. Bonté qui souffla particulièrement dans plusieurs de villages et lieux dits de la Haute Loire autour du Chambon sur Lignon, qui cachèrent et sauvèrent plus de 3.000 juifs, véritable « terre de justes » devenu un lieu de mémoire important de notre histoire.
“Lieu de mémoire mais aussi lieu de rencontres car sur ces dix kilomètres de rayon autour du Chambon sur Lignon, avant la guerre, après et pendant, des hommes et des femmes trouvèrent dans cette montagne particulièrement accueillante un refuge qui fut pour eux l’occasion de méditer, d’écrire, de traduire, de construire des théories, de repenser le monde et le transformer.”
Si je dis Albert Camus, Jules Isaac, Francis Ponge, André Chouraqui, Georges Vajda, Jacob Gordin, Raymond Aron, Charles Gide, Paul Ricoeur, Gilbert Simondon, Léon Poliakov, Pierre Vidal-Naquet, Louis comte, Georges Canguilhem, Alexandre Grothendieck, Georges Levitte, et Marcel Pagnol, on aura une petite idée, comme dit le Talmud avec une ironie joyeuse et bienveillante, de l’exceptionnel de ce lieu !
L’invitée
Nathalie Heinrich est Directrice de Recherche au CNRS, membre du Centre de recherches sur les arts et le langage à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, et membre associée au Laboratoire d’anthropologie et d’histoire sur l’institution de la culture, laboratoire associé au CNRS, Ministère de la Culture et à l’EHESS.
Ses travaux portent sur la sociologie des professions artistiques et des pratiques culturelles(identité d’artiste, statut d’auteur, publics de musées, perception esthétique…), sur l’épistémologie des sciences sociales (Elias, Bourdieu, la sociologie de l’art…), et sur la sociologie des valeurs, tout en développant une réflexion sur les crises d’identité (témoignages de déportation, accession à la notoriété, construction fictionnelle des modèles identitaires…).
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