Tribune Juive

Au marché d’Argenteuil avec mon amie Djamila, par Sarah Cattan

Expédition ce matin au marché d’Argenteuil, avec mon amie Djamila. On convient d’un horaire, elle, la lève-tard, moi la matinale. Je n’ai jamais assez de temps, mais il est des jours, tu sais bien, Ô Lecteur, que pour combler l’angoisse, l’attente, tu trouves … une parade.

Djamila est à l’heure, de jean et saharienne vêtue, une longue tresse noire achevant le look de mon amie kabyle.

Djamila, le marché d’Argenteuil, c’est son fief

Djamila, au marché d’Argenteuil, elle drive tout ça. Toi, tu suis : elle, elle sait.

J’ai la tête ailleurs et après avoir survécu aux échoppes de Vêtements Tissus Vaisselle Bijoux et autres curiosités, nous voilà dans la partie que j’aime : De toutes parts des mains te tendent des cerises, un abricot se fend sous tes yeux et t’est proposé avec grâce. Ici ? La pesée, elle est à l’avenant : 900 Grammes ? Attends, je te rajoute une aubergine. T’as pas la monnaie ? Et alors on va pas faire une histoire pour un euro. Goûte à mes olives Fais-moi plaisir

Le marché d’Argenteuil, c’est le fief de Djamila. Tous ces vendeurs, elle leur claque la bise. Elle s’enquiert de chacun : Et ta mère Ton fils Bref une conversation qui toujours se poursuit et qui s’interrompt momentanément par ce Inch’Allah si doux aux oreilles.

C’est le drame

Je suis adossée à un mur, regardant distraitement faire Djamila, lorsque le drame arrive. En mode pause, j’étais là, j’attendais mon amie, c’est là, je crois, que je me suis dit encore que sa tresse était si belle, et c’est exactement là, en même temps, que j’ai vu dans le regard du vendeur qui s’adressait à Djamila un éclair de haine.

Un éclair ? Non. Un éclair serait quelque chose de rapide. D’éphémère.

Non. J’ai vu le visage de la haine. J’ai entendu, sans les comprendre, des mots arabes. Violents. Qui sonnaient comme des coups.

Screenshot

J’avance vers Djamila. Qu’elle m’explique.
Il m’a dit Hamzilla, halète-t-elle.  Fille du cochon.
C’est là que mon amie, qui avait entrepris de tracer sa route, revient sur ses pas, blême.

La haine et la délicatesse

S’en suit un échange qui dure au moins une minute. Nous sommes sous le marché couvert : tout soudain est en suspens.

La Haine se lâche. Ose faire des gestes menaçants. Mimer, avec un naturel confondant, et effrayant, des coups. Croyant sans doute faire plier cette femme.

Djamila ne lâche pas l’affaire. Elle, cette femme gracieuse, la classe personnifiée, elle est prête à en découdre ? Elle sort son portable. Veut appeler la police. On ne me parle pas comme ça. J’exige qu’il me respecte. Qu’il respecte toutes les Femmes. Il est en France.


De part et d’autres, sont apparus 4 ou 5 jeunes hommes. Ils connaissent Djamila. Ils lui disent qu’elle a raison. Ils s’excusent au nom de ce barbare. Ils se confondent en excuses. Lui embrassent le front. Se désolidarisent tous de La Haine. Ils sont sincères. Le patron du marché est là. Un Zizou magnifique. Au regard clair. Loyal. Courageux. 5 minutes après, le mec qui a mal parlé à une femme est sorti du marché : Dégage.

Y a plus. Il ne dira plus à aucune femme Dégage. Il ne menacera plus de porter un coup.

La sentence de Djamila

Quelques instants après. Une terrasse de café.

Djamila : Tu sais quoi Sarah ? Je suis française : tous les hommes me respecteront.

Sarah Cattan

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