Arnaud et Mamoudou, par Daniel Farhi

Deux prénoms que rien ne prédestinait à voisiner dans un pays, la France, où les tensions ethniques défrayent souvent la chronique. Mais voilà que justement, à deux mois d’intervalle, la dite chronique a mis en lumière deux hommes qui portent ces prénoms, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont eu des parcours bien différents. Peut-être d’ailleurs pas si différents que ça, comme nous l’allons voir.

Arnaud Beltrame (1973-2018), est né à Etampes (Essonne) le 18 avril 1973. Il était le fils de Jean-François Beltrame (mort en mer en août 2017 et inhumé seulement le 16 mars 2018, une semaine avant sa propre mort, après qu’on ait retrouvé son corps) et de Nicole Nicolic, originaire de Trédion (Morbihan). Il avait deux frères, Damien et Cédric. Il était marié civilement à Marielle Vandenbunder et devait l’épouser religieusement à Trédion le 9 juin 2018… – Arnaud Beltrame était un homme de foi et de devoir.

Après des études brillantes en classe préparatoire au lycée militaire de Saint-Cyr-l’Ecole, il intègre l’Ecole des Officiers de réserve dans l’Artillerie, puis l’Ecole militaire interarmes dont il sort major en 2001 ; enfin l’Ecole des officiers de la Gendarmerie nationale dont il sort à nouveau major en 2002 ! En 2003, il fait partie des sept sélectionnés sur quatre-vingts candidats pour intégrer l’escadron parachutiste d’intervention de la Gendarmerie nationale (EPIGN), une des composantes du Groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale. Il y obtient notamment la qualification de « chuteur opérationnel ».

Il est promu capitaine le 1er août 2005, année au cours de laquelle il assure, durant une mission en Irak, l’exfiltration d’une ressortissante française. Cette mission conduite par Arnaud Beltrame au péril de sa vie lui vaut d’être décoré de la croix de la Valeur militaire avec citation à l’ordre de la brigade. Il est promu lieutenant-colonel en 2016. En août 2017, il devient officier adjoint de commandement (OAC) au groupement de gendarmerie de l’Aude.

La suite est toute fraiche dans nos mémoires : le 23 mars 2018, alors qu’il se trouve confronté à une prise d’otages dans le Super U de Trèbes — un terroriste venait d’abattre deux personnes — il prend la place des otages au terme de négociations avec l’auteur des faits. Il est 11 h 28 lorsqu’Arnaud Beltrame entre dans la salle des coffres du supermarché où le terroriste s’est replié. Il se substitue au dernier otage retenu, Julie, une caissière du magasin âgée de 40 ans. Son face-à-face avec le terroriste dure près de trois heures.

Puis, peu avant 14 h 30, le gendarme livre probablement un corps à corps avec le terroriste pour tenter de le désarmer tout en criant « Assaut ! Assaut ! » pour prévenir les forces du GIGN d’intervenir. Le terroriste ouvre alors le feu à plusieurs reprises sur l’officier avant de le poignarder. Le Lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est découvert dans un état très grave, touché par trois ou quatre balles. Il est transporté à l’hôpital de Carcassonne où il succombe à ses blessures dans la nuit du 23 au 24 mars 2018. La mère et l’épouse d’Arnaud Beltrame s’exprimeront en marge de l’extraordinaire hommage national rendu devant le Panthéon et dans la cour des Invalides par la nation tout entière unie derrière le président de la République.

Voici ce qu’a rappelé sa mère « il disait : je fais mon travail maman, c’est tout. […] ça ne m’étonne pas de lui, il a toujours été comme ça […]. Pour lui, c’est sa raison de vivre, défendre la patrie ». Quant à Marielle Beltrame, son épouse : « Il se sentait intrinsèquement gendarme. […] Mais on ne peut comprendre son sacrifice si on le sépare de sa foi personnelle. C’est le geste d’un gendarme et le geste d’un Chrétien. Pour lui les deux sont liés, on ne peut pas séparer l’un de l’autre. Arnaud est revenu à la foi de façon forte vers la trentaine. »

Mamoudou (ou Mamadou) Gamassa est un jeune Malien de 22 ans, en France depuis seulement quelques mois. Avant son arrivée dans un foyer de Montreuil (Seine-Saint-Denis) en septembre dernier, Mamoudou a traversé plusieurs pays après avoir quitté le Mali depuis un certain temps déjà. Niger, Burkina-Faso, Lybie… Mamoudou remonte jusqu’au Nord du continent africain pour ensuite traverser la mer Méditerranée et rejoindre l’Italie à bord d’un bateau de migrants. Une traversée « terrible » selon ses propres mots.

Après près de cinq ans de voyage et surtout de galères, le destin va brutalement tourner en faveur du jeune migrant sans papiers. Le 27 mai à 20 heures, il passe avec sa compagne rue Max Dormoy dans le 18èmearrondissement de Paris lorsqu’il « a vu beaucoup de monde en train de crier, et des voitures qui klaxonnaient ». Levant les yeux vers un immeuble, il aperçoit un enfant accroché par les bras à la rambarde d’un balcon du quatrième étage, au-dessus du vide. Il prend tout de suite la mesure de la situation et, sans réfléchir, il escalade la façade de l’immeuble, saisit l’enfant et le repose en sécurité à l’intérieur du balcon. Le tout n’a duré que trente secondes.

Mamoudou Gamassa est entré dans l’imaginaire du monde entier comme le « Spiderman » parisien, sauveteur d’un enfant de quatre ans. Ce jeune Malien qui, hier encore, n’était qu’un clandestin sans papiers, se retrouve héros, reçu à l’Elysée par le président de la République, par l’état-major des pompiers qui se le disputent déjà pour le stage qu’il souhaite effectuer dans ce corps si cher au cœur des Français et dont sa conduite prouve à l’évidence son courage, son abnégation et son sens des responsabilités vis-à-vis d’autrui, autant de valeurs amplement partagées par nos vaillants soldats du feu.

Qu’y a-t-il de commun entre Arnaud Beltrame et Mamoudou Gamassa ?

Apparemment rien si on se limite à leur naissance, à leur couleur de peau et à leurs parcours. Et pourtant, ces deux hommes ont été chercher au tréfonds de leur cœur le courage et la force d’empêcher une tragédie. Hélas, Arnaud Beltrame l’a payé de sa vie ; mais Mamoudou Gamassa a risqué la sienne sans hésiter pour sauver une petite vie. Deux personnes sauvées : une caissière de supermarché et un enfant de parents séparés dont le père s’est comporté de façon irresponsable en laissant seul son enfant dans son appartement. Deux vies humaines, c’est-à-dire selon notre tradition juive, deux univers complets, deux destins, deux espérances. La première le devra au sacrifice d’un homme ; la seconde à l’instinct d’humanité d’un jeune étranger qui a traversé tant de pays pour atteindre une inaccessible étoile : la France des droits de l’homme qui ne devrait pas, qui ne devrait jamais l’oublier.

Qu’est-ce qu’un héros, se sont interrogés les médias à propos d’Arnaud Beltrame et de Mamoudou Gamassa, comme précédemment à propos d’autres hommes qui ont fait acte de bravoure dans des circonstances exceptionnelles (hyper-cacher de Vincennes, attentats du Bataclan et du stade de France, tuerie de Nice, etc.).

Différentes définitions ont pu être proposées. Je crois qu’au bout du bout, il reste le sens profond de l’humanité auquel nous ne permettons pas toujours de se révéler, la prise de conscience fulgurante de nos responsabilités qui nous interdit toute hésitation, le courage bien sûr : entre autres celui de faire taire nos instincts égoïstes de survie, de lâcheté, d’indifférence.

Alors que j’écris ces lignes dans le confort de mon bureau, entouré de mes livres et de mes disques, écoutant avec ravissement la pluie tomber par trombes, regardant le ciel se déchirer en éclairs et en tonnerre en ces derniers jours de mai, bien à l’abri, je me dis qu’il est trop simple de discourir sur l’héroïsme et l’esprit de sacrifice, de porter des jugements sur les uns et sur les autres, de distribuer les bons et les mauvais points.

Je crois plus raisonnable de me contenter de saluer avec respect et admiration la conduite exceptionnelle d’Arnaud et de Mamoudou, le blanc et le noir, le Français de souche et le Malien qui veut faire souche en France, de les remercier au fond de moi et de prier que si l’occasion s’en présentait, j’aurais ne fût-ce que le dixième de leur courage et de la beauté de leur cœur. Chez les Juifs ashkénazes, on qualifie de mentsch des hommes (ou des femmes) tels que ces deux-là. Peut-être, finalement, l’héroïsme c’est de la « mentschitude ».

Daniel Farhi

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2 Comments

  1. Cher Daniel,
    Définition de « mentsch » (cf « Les Joies du Yiddish ») :
    de l’allemand, « mensch » : une personne » MAIS :
    Un être humain, pas un animal. Une personne droite, honorable, décente;
    celui qu’on admire, qui est un exemple, qui a un noble caractère.
    Bien des pauvres gens, bien des ignorants, sont des « mentschen »
    Rien à voir avec le statut social.
    En quelque sorte, la légion d’honneur des juifs ashkénazes.

    VICTOR KUPERMINC

    • Dans ce cas, mon cher Victor, vous êtes nombreux dans mon entourage, et particulièrement dans l’association « Les enfants et amis Abadi » à mériter cette Légion d’honneur ashkénaze! Bien amicalement, Daniel.

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