Dans le douar d’Anraz, région du Haouz, est enterré le saint juif Rabbi Haïm Ben Diouane. Restauré en 2015, le sanctuaire accueille, chaque année, une foule de pèlerins. Autour de ce lieu, toute une légende s’est forgée, colportée jusqu’à nos jours par les habitants du village, dont il est difficile de trier la part du vrai et celle du fantasme. Le saint juif serait doté de pouvoirs miraculeux, d’une baraka telle que la population musulmane elle-même s’adressait à lui pour implorer sa bénédiction.
Dénicher un sanctuaire juif au milieu d’une population amazighe à 100% musulmane n’est pas aussi étonnant. Autrefois, les populations de confession judaïque se comptaient pas dizaines de milliers sur les hauteurs du Haut et du Moyen Atlas, et leur patrimoine culinaire, artistique et artisanal est encore vivace.
Nous sommes au douar Anraz, en pleine montagne du Haut Atlas, à une soixantaine de kilomètres de Marrakech, habité par une population totalement musulmane qui n’a jamais vécu avec des habitants d’une autre religion.
Transformation radicale
Derrière un portail bleu clair et des murs passés à la chaux est érigé dans ce douar un édifice flambant neuf à la mémoire d’un saint juif du nom de Rabbi Haïm Ben Diouane. Il serait, selon quelques historiens, le fils du célèbre Rabbi Amrane Ben Diouane de Ouazzane. Il témoigne de l’existence d’une population juive dans cette région du Haouz, comme il en existait partout ailleurs au Maroc.
C’est Omar, du douar même d’Anraz, qui fait office de gardien de l’édifice. Habitué à recevoir des juifs d’Israël, d’Europe et du Canada, il nous accueille, le regard ébahi d’avoir affaire cette fois-ci à des musulmans qui voudraient visiter le lieu. Mais son étonnement n’a rien enlevé de sa cordialité, c’est un événement, pour lui, de recevoir des visiteurs qui rompent sa monotonie.
«Les travaux de réhabilitation de ce sanctuaire sont terminés depuis trois ans, le cimetière n’a pas été touché, mais des chambres ont été construites pour accueillir les pèlerins…», nous renseigne notre guide, tout en nous faisant visiter le lieu.
Le sanctuaire a subi une transformation radicale. Auparavant, pour ceux qui le connaissent, il n’y avait que la tombe du saint juif, installée à proximité de deux autres, dans une chambre à part occupant un coin du cimetière, avec des inscriptions en hébreu gravées sur du marbre, portant son nom et d’autres informations qu’on a du mal à décrypter.
Désormais, c’est toute une construction moderne qui a été érigée, faisant de ce sanctuaire un vrai lieu de villégiature: des chambres, des douches, une cuisine bien équipée, un barbecue sur une terrasse, un réfectoire avec des tables et des chaises… Auparavant, les descendants et les amis de ce saint juif venaient se recueillir sur sa tombe. Cela n’a pas changé aujourd’hui, mais ils n’avaient pas où dormir.
Désormais, et depuis trois ans, « ils viennent plus nombreux et séjournent deux ou trois jours sur les lieux-mêmes, au milieu de cette nature verdoyante », poursuit notre guide. Les pèlerins viennent d’Israël, de France et du Canada, durant le moussem célébré au mois de mai de chaque année. « Certains préfèrent le mois de décembre », ajoute notre interlocuteur.
Nous voulions savoir davantage sur les tenants et les aboutissants de la rénovation de ce cimetière et de la mise en valeur du sanctuaire. Sont-elles inscrites dans la foulée de celle qui a concerné, en 2015, nombre de sites juifs au Maroc, entreprise par le Conseil des communautés israélites du Maroc? Notre gardien est incapable de nous livrer la moindre information à ce sujet.
Nous avons constaté des écriteaux portant le nom de la famille Sebbag, en français et en hébreu. Sur l’un d’eux on peut lire: «La rénovation du saint a été offerte par «Yohav Sebbag» et «Isaac Marelly», à la mémoire de la regrettée Simy Sebbag». Sur un autre est inscrit un numéro de téléphone à Casablanca, où l’on peut joindre la famille Sebbag. Nous avons appelé, personne ne répond.
On a même appelé la conservatrice du musée judaïque de Casablanca, Zhour Rhihil, elle, non plus, n’a jamais entendu parler de ce sanctuaire d’Anraz. Une chose est sûre, autour de ce sanctuaire abritant ce saint juif, toute une légende s’est forgée, colportée jusqu’à nos jours par les habitants du village, dont il est difficile de trier la part du vrai et celle du fantasme. Le saint juif serait doté de pouvoirs miraculeux, d’une baraka, raconte-t-on, que la population musulmane elle-même s’adressait à lui pour implorer sa bénédiction.
Mais la tombe fut l’objet, dans le passé, de violations commises par les musulmans, tous des amazighs dans cette région du Haouz. Il leur arrivait d’arracher la pierre tumulaire du marabout pour la jeter comme une ordure dans l’oued N’fis à côté, mais cette pierre, par miracle, revenait à chaque fois d’elle-même à sa place. Pour la protéger, un autre miracle se produisit un jour : des rochers se détachent de la montagne et viennent enlacer la tombe du saint pour le préserver de ces profanations.
Impressionnés, les musulmans cessèrent leur sacrilège et, depuis, ils commencèrent eux-mêmes à vénérer le saint juif qu’ils appellent «Moul Anraz». Selon les habitants du douar, les femmes musulmanes commençaient elles aussi à venir implorer la baraka auprès de lui, qui pour lui demander d’intercéder pour que cesse leur infertilité, qui pour trouver un mari, qui pour retrouver une santé physique et morale après un traumatisme dans leur vie…Certaines de ces demandes «ont été même exaucées», si l’on croit un guide habitué à faire visiter le sanctuaire aux touristes marocains et étrangers….
Petite histoire
Selon Issachar Ben Ami, dans un livre intitulé «Culte des saints et pèlerinages judéo-musulmans au Maroc» (Ed. Maisonneuve, Paris, 1990), Rabbi Haim Ben Diouane d’Anraz serait le fils du grand saint vénéré, Rabbi Amran Ben Diouane de Ouazzane. Il serait venu dans les montagnes du Haut Atlas au XVIIIe siècle pour «collecter les dons destinés au YeshiVot (établissement d’enseignement hébraïque où l’on étudie le talmud) et diffuser la Torah…Tombant malade, il meurt et fut enterré sur place. Comme d’autres sanctuaires juifs à travers le Royaume, tel celui Rabbi Amran Ben Diouane de la ville de Ouazzane, une foule de pèlerins juifs viennent se recueillir au mois de mai sur la tombe du sanctuaire d’Anraz. Cette tradition de la Hiloula se perpétue aussi dans d’autres sanctuaires à Oujda, Ben Ahmed, Azemmour, Essaouira, Errachidia, Salé, Taroudant, Sefrou…
Source : leconomiste.com
Poster un Commentaire