Retour sur le « manifeste contre le nouvel antisémitisme », par François Heilbronn

Une semaine après sa publication, retour sur la signification, la portée et l’impact du «Manifeste contre le nouvel antisémitisme».

Comme de nombreux auteurs de La Règle du jeu, j’ai été parmi les 300 signataires de ce manifeste. Je voulais revenir, une semaine après sa publication, sur sa signification, sa portée et son impact.

Pour la première fois depuis ce 7 octobre 2000 où l’on entendit dans les rues de Paris hurler «Mort aux Juifs», des responsables politiques de tout premier plan, des religieux de toute confession, des artistes et des intellectuels ont affirmé que le voile pudique jeté depuis trop longtemps sur l’antisémitisme d’origine musulmane en France devait cesser et que l’Islam de France devait agir.

La marche blanche pour Mireille Knoll, le 28 mars 2018, à Paris.

Après les douze assassinats de Français juifs, depuis Sébastien Selam en 2003 jusqu’à Mireille Knoll en 2018, tous abattus par des Français musulmans soit militants de l’Islam radical, soit violemment antisémites, 300 personnalités ont exigé des actes. Depuis les meurtres de Juifs pour le simple fait d’être Juif en France et ces milliers d’actes antisémites souvent violents commis par des musulmans fanatisés par des doctrines d’un autre âge, il était temps de clamer collectivement notre colère.

Un ancien Président, trois anciens Premiers ministres, trois anciens ministres de droite comme de gauche, rejoints par des universitaires de tout premier plan, des intellectuels et des religieux de toute religion, y compris quatre imams, ont voulu nommer le mal, et exiger que l’Islam de France prenne enfin ses responsabilités. Tous avec Philippe Val, Pascal Bruckner et Elisabeth Badinter les principaux rédacteurs de ce manifeste, ont voulu définir le crime, ses auteurs et exiger des actes.

Dire tout haut que plus de 10.000 actes antisémites ont été commis en France depuis le début des années 2000, qu’un Juif sur deux a été victime d’une insulte antisémite et que 11% d’entre eux ont été victimes d’agressions physiques. Dans beaucoup de villes de l’Est et du Nord de l’Ile de France, des familles juives ont dû retirer leurs enfants de l’école de la République et ont dû déménager soit vers Israël, et s’ils en avaient les moyens vers l’ouest de Paris ou Paris même. Cette émigration ou cette fuite intérieure devant les insultes, les menaces, la violence sont en majorité dues à leurs voisins musulmans. Parmi ces derniers, certains ont été fanatisés par des prêches contre les Juifs dans certaines mosquées. D’autres ont été sensibles à la haine déversée en arabe sur les chaînes satellitaires, en premier lieu Al-Jazeera, contre Israël mais aussi contre les Juifs par leur prédicateur vedette, Yûsuf Al-Qaradâwî. Enfin depuis quelques années d’autres musulmans de France ont nourri leur violence grâce aux réseaux sociaux salafistes de tout genre.

Cet antisémitisme d’origine musulmane qu’on a voulu masquer et qui n’a cessé de se développer a pourtant fait l’objet d’études précises, notamment celle de Fondapol avec l’Ifop en 2014. A titre d’exemple, 67% des musulmans en France considèrent que les Juifs ont trop de pouvoir dans l’économie et la finance, là où la moyenne nationale est de 25%. Chez les musulmans les plus religieux ce pourcentage monte à 74%. Et là où 19% des Français sont d’accord avec l’affirmation «les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique», ce taux d’adhésion monte à 51% chez les répondants musulmans. Mais surtout : 46% des musulmans adhèrent à quatre préjugés antisémites ou plus, là où la moyenne nationale se situe à 15% et pour un proche du Front National à 38%. Parmi les musulmans le facteur explicatif du degré de préjugés antisémites est le niveau de croyance et de pratique religieuse, il monte à 60% alors, et pour ceux se revendiquant seulement d’une origine musulmane il descend à 30%. 

Dans une enquête Ipsos de 2015 auprès des Français juifs portant sur les raisons qui pouvaient les pousser à quitter la France pour partir vivre en Israël, la première raison citée à 67% était les meurtres de Juifs, la deuxième pour 56% était la progression de l’Islam radical au sein d’une partie de la population musulmane. Dans cette enquête, l’antisémitisme des réseaux sociaux ne comptait que pour 24% et la progression du Front National pour 18%.

Cette violence et cette perception de la violence d’origine musulmane ont donc provoqué ce que nous avons souhaité nommer «une épuration ethnique à bas bruit». Oui, «une épuration ethnique», l’expression est forte et a fait mouche. Comment donc qualifier la migration forcée de plus de 10% des Français juifs d’Ile de France, soit 50.000 personnes ayant dû quitter leur quartier, leur ville pour échapper à des voisins fanatisés et violents ? L’épuration ethnique est la violence faite à une population pour la chasser d’un territoire, ne plus l’avoir comme voisin. C’est bien de cette réalité qu’il s’agit. Ce terme a fait débat. Certains l’ont jugé trop fort mais on ne sonne pas le tocsin avec une clochette.

Nous avons aussi exigé un acte. Nous avons demandé à l’Islam de France «qu’il ouvre la voie», oui à l’Islam de France et non pas aux autorités obscurantistes qui lancent des fatwas depuis le Caire ou des menaces depuis la Mecque, Doha ou Téhéran : «Nous demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques.»

Pas «abrogés» comme certains lecteurs à la mauvaise foi habituelle ont voulu lire. Non. Seulement «frappés d’obsolescence». Nous savons bien que le Coran est sacré, qu’il ne peut être modifié et aucun des signataires ne ferait une telle demande. Nous avons juste souhaité que les plus grands théologiens musulmans français reconnaissent la nocivité de certains textes appelant au meurtre des Juifs, des Chrétiens et des incroyants et les déclarent obsolètes. Est-ce trop demander que de souhaiter que les Imams dans leurs mosquées ne lisent plus certains textes comme à titre d’exemple cette sourate 4 :

«160. C’est à cause des iniquités des Juifs que Nous leur avons rendu illicites les bonnes nourritures qui leur étaient licites, et aussi à cause de ce qu’ils obstruent le sentier d’Allah, (à eux-mêmes et) à beaucoup de monde,
161. et à cause de ce qu’ils prennent des intérêts usuraires – qui leur étaient pourtant interdits – et parce qu’ils mangent illégalement les biens des gens. A ceux d’entre eux qui sont mécréants Nous avons préparé un châtiment douloureux.»

Et à notre grande surprise, comme l’a si bien exprimé Pascal Bruckner, lui qui a signé tant de manifestes et de pétitions, ce manifeste-ci fut entendu. Il ne fut pas entendu par celles et ceux qui confondent le respect dû aux musulmans de France, à leur religion et une interdiction aveugle de toute critique. Il ne fut pas entendu de Jean-Pierre Chevènement, le président de la Fondation de l’islam de France, ni par l’AFP qui sortant de toute obligation d’objectivité adjoignit l’adjectif de «virulent» devant le mot «manifeste» en titre de sa dépêche. Celle-ci fut alors et avec ce qualificatif accusateur reprise textuellement par la plupart des grands journaux. Notre appel ne fut pas non plus apprécié par Philippe Poutou du NPA, l’homme qui recueillit 1,09% à la présidentielle de 2017.

Ce manifeste provoqua aussi des réactions violentes et si peu surprenantes. Tout d’abord «L’autorité religieuse égyptienne Dar el-Iftaa, chargée d’édicter des fatwas (avis religieux émis depuis le Caire et sous l’autorité du ministère la justice égyptien), a dénoncé dans un communiqué la mise en cause du Coran par 300 personnalités françaises ayant publié un manifeste “contre le nouvel antisémitisme”.» rapporte le Figaro. Ensuite le Président des Frères Musulmans français (ex-UOIF), Amar Lasfar, dont le mouvement est dénommé maintenant, les Musulmans de France, a accusé les signataires de ce manifeste de «blasphème».

L’édiction de fatwas par une autorité religieuse comme l’accusation de blasphème chez les Frères musulmans sont souvent à l’origine d’une future action violente. Donc ce manifeste, comme Les versets sataniquesde Salman Rushdie en son temps, et les positions d’autres intellectuels qui ont demandé une évolution de l’Islam vers les lumières s’attirent les foudres de l’obscurantisme et de la violence. Ces menaces contre de nombreuses personnalités françaises n’ont à ce jour pas été condamnées par le Gouvernement français.

Mais plus intéressant, sont certaines réactions inattendues.

La première fut celle du député de La France insoumise, Alexis Corbière qui a affirmé sur Radio J «Tout ce qui participe à dénoncer l’antisémitisme est le bienvenu». Il a surtout ajouté à propos de la formule sur «l’épuration ethnique à bas bruit» qu’il la trouvait «un peu dure, un peu forte» mais il a ajouté «Il y a parfois des formules un peu brutales dans lesquelles je ne me reconnais pas, mais sur le fond, c’est une réalité qu’il y a parfois un racisme exacerbé, un communautarisme fort», a développé le député de Seine-Saint-Denis. Qu’un député de la France Insoumise reconnaisse ainsi implicitement la violence antisémite d’origine musulmane en banlieue, dont la sienne, est un premier pas.

Mais surtout, et c’est là la conséquence absolument déterminante de notre manifeste, il fut entendu par ceux à qui il s’adressait : par un collectif d’importants imams français, emmené par l’influent imam de Bordeaux Tarek Oubrou. Et c’est là l’essentiel, la réussite entière de cet appel. Ces trente imams ont écrit et publié une tribune dans Le Mondequi fera date. Car au-delà des blessures évoquées et des critiques exprimées contre le manifeste, ils ont pour la première fois écrit trois choses essentielles.

Premièrement :

«Depuis plus de deux décennies, des lectures et des pratiques subversives de l’islam sévissent dans la communauté musulmane, générant une anarchie religieuse, gangrenant toute la société. Une situation cancéreuse à laquelle certains imams malheureusement ont contribué, souvent inconsciemment. Le courage nous oblige à le reconnaître».

Ils reconnaissent ainsi collectivement que certains imams par leurs prêches ont «généré une anarchie religieuse, gangrenant toute la société.» Cette reconnaissance de responsabilité est forte, attendue depuis longtemps et bienvenue.

Deuxièmement ils ont souhaité aller plus loin et reconnaître aussi une responsabilité dans le développement de l’islamisme politique et de l’antisémitisme au sein des fidèles musulmans :

«L’islam est d’abord une aspiration spirituelle et une quête de transcendance dans la générosité et l’altérité, et non une idéologie identitariste et politique avec tout ce que cela impliquerait comme revendications sociales, concurrence mémorielle, importation sur notre territoire de conflits géopolitiques, notamment israélo-palestinien, etc. Ce mélange des genres augmente la frustration d’une jeunesse exclue et qui se sent victime d’une promesse d’égalité non tenue.»

Ils rejettent donc une vision politique de l’Islam, la concurrence mémorielle (Shoah vs. colonialisme) et ne veulent plus de «l’importation du conflit… israélo-palestinien». Par ces recommandations précises, ils soulignent ainsi la responsabilité de certains imams dans la radicalisation de certains musulmans français et de la progression de l’antisémitisme.

Ils s’engagent enfin à lutter contre ces poisons de l’antisémitisme et du radicalisme qui gangrène de nombreuses mosquées.

«Elle nous engage tous dans les circonstances d’insécurité que nous traversons, y compris les acteurs religieux musulmans, dans la lutte contre le radicalisme et l’antisémitisme.»

Ainsi, malgré les pudeurs de certains et les condamnations d’autres, notre manifeste n’aura pas été vain. Des imams, et parmi les imams des mosquées les plus importantes en France, ont entendu notre message et sont prêts à agir. A ceux-là tendons la main, discutons, aidons-les à construire cet Islam de France respectueux des valeurs de notre République tout en respectant leur belle et grande religion. Un Islam de France enfin libéré des appels au fanatisme et à la haine des autres religions et des incroyants.

Source laregledujeu.org

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3 Comments

  1. « A ceux d’entre eux qui sont mécréants Nous avons préparé un châtiment douloureux. »

    Ce qui me fait bien rire c’est qu’il n’y a quasiment pas une page du Coran où Allah ne promette un châtiment douloureux… faites l’expérience vous-même.

  2. Il faudrait tout de même accepter d’ouvrir les yeux avec le livre documenté de Lina Murr Nehmé, « Tariq Ramadan, Tareq Oubrou, Dalil Boubakeur, Ce qu’ils cachent ». éd. Salvator, 2017. A lire de toute urgence.
    C’est pourquoi il faut cesser de demander aux théologiens de remplir une responsabilité qui échoit à l’Etat de la France et à nul autre, celle d’imposer des limites drastiques aux mosquées et aux prêches des mosquées qui mettent en péril la vie des citoyens en vertu de l’article 35 de la loi de 1905 qui n’est pas appliqué, comme si nous étions d’ores et déjà dans un Etat islamique.

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