Pourquoi les riches votent-ils à gauche ? C’est la question à laquelle répond l’intellectuel américain dans un essai drôle et savant.
C’était en 2008. Obama s’apprêtait à entrer à la Maison-Blanche et personne ne pouvait imaginer qu’une décennie plus tard Donald Trump serait son successeur. Sauf peut-être Thomas Frank! Dans un livre aujourd’hui devenu culte, Pourquoi les pauvres votent à droite, l’essayiste montrait l’émergence d’une nouvelle droite «populiste», douée pour capter la colère des classes populaires contre les élites. P ourquoi les riches votent à gauche * se situe dans le prolongement de cet ouvrage de référence et se révèle tout aussi incisif. L’auteur, pourtant marqué à gauche, y dépeint avec une ironie féroce l’hypocrisie et la condescendance du «progressisme de limousine» : cette gauche caviar, incarnée par Hillary Clinton, qui a beaucoup de compassion pour les personnes malheureuses qui sont loin, mais se pince le nez devant ce qu’elle considère comme le «panier des déplorables» – les électeurs de Trump-.
Chez Frank, le sarcasme n’exclut pas la profondeur historique et la puissance d’analyse. L’auteur décrit le mariage entre le politiquement correct et l’argent, les diplômés de Harvard et les financiers de Wall Street, les hipsters de la Silicon Valley et les technocrates de Washington, le cool et le capitalisme. Ou comment les clercs démocrates ont troqué les cols bleus contre les cols blancs, le gouvernement du peuple contre celui des experts.
Adieu New Deal et lutte des classes
Pour les socialistes français, il y a eu le tournant de la rigueur en 1983. Pour les démocrates américains, le basculement s’opère dès 1971. Il est théorisé par le stratège démocrate Frederick Dutton dans son manifeste Changing Sources of Power, qui n’est pas s’en rappeler le rapport Terra Nova. Dutton est convaincu que la société industrielle va céder la place à l’«économie de la connaissance». Et que le parti doit s’adapter en transformant sa base électorale: liquider les ouvriers et les syndicats au profit de la nouvelle classe des «professionnels» éduqués (jeunes diplômés, cadres, etc.), censés représenter le progrès et la modernité. Adieu New Deal et lutte des classes, bienvenue aux néolibéraux et à l’idéologie managériale.
La boucle est bouclée : les riches votent à gauche et les pauvres à droite
Pour Thomas Frank, ce réalignement stratégique est aussi lié à un mépris culturel d’une partie des élites démocrates pour les catégories populaires jugées pas assez raffinées. Après bien des revers électoraux, ce changement de cap se concrétise avec la présidence de Bill Clinton (1993-2001). Le président démocrate fera ce que même Reagan n’avait jamais osé faire: signature du traité de libre-échange de l’Alena qui facilite les délocalisations vers le Mexique, politique d’austérité au nom de la réduction des déficits, dérégulation de l’électricité et des télécommunications. Jusqu’au bout, Clinton sera le fossoyeur de l’héritage de Roosevelt. Sa «dernière grande œuvre», la déréglementation bancaire, conduira en 2008 à la plus grande crise depuis 1929. En 2016, les «ouvriers blancs» prendront enfin leur revanche sur les Clinton en votant massivement pour le protectionniste Trump. La boucle est bouclée: les riches votent à gauche et les pauvres à droite. Mais, conclut Thomas Frank, personne ne défend plus réellement les gens ordinaires.
* Pourquoi les riches votent à gauche, de Thomas Frank, Agone, 25 €
Alexandre Devecchio
Il faut lire le Figaro et Causeur pour trouver ce qui devrait être évident pour une gauche française, si celle-ci existait encore.
Bill Clinton, puis sa reproduction agressive sont vraiment des canailles et les responsables de l’élection du nouveau disciple de M. Macron. Cependant, je ne vois pas comment le parti Démocrate aurait pu abandonner la lutte de classes qu’il n’a jamais reconnu.
La première guerre permit aux Etats Unis de prendre des mesures de sécurité contre l’espionnage, mesures qui servirent rapidement à écraser les violences anarchistes, puis les simples menées anarchistes, les revendications des anciens combattants, et, grâce à la « Red Scare » toute activité revendicatrice de salariés. Tout cela sous administration démocrate. Plus tard, l’écrasement de l’IWW et le succès des syndicats réformistes et corporatistes sous le New Deal.
Le McCarthysme avait commencé bien avant le sympathique sénateur,
avec la commission des « UnAmerican Activities » de la Chambre des Représentants, pendant la 2° guerre, avant le triomphe de 1947, toujours sous activité démocrate. Il ne faut pas « rosir, dans les deux sens, le souvenir de Roosevelt.
Pour notre gauche française, avec ou sans caviar, nous avons une vieille expression: « social traître » qu’on ne peut laisser dormir.