Discours de Myriam Peretz prononcé à la cérémonie de remise des prix d’Israël 70ème Yom Haatsmaout traduit par Daniel Haik : » Nous sommes tous frères…. Ce qui nous rassemble est autrement plus fort que ce qui nous divise « .
Jeudi soir, Myriam Peretz qui était déjà appelée la Mère des Enfants ( Em Habanim) après avoir perdu deux de ses six enfants au combat dans les guerres d’Israël, est devenue la » Mère de la Nation d’Israël « , en prononçant lors de la cérémonie de remise des Prix d’Israël, un discours qui a forcé l’admiration de tout un peuple et qui a clôturé de la manière la plus admirable qui soit les festivités du 70ème anniversaire de l’Etat d’Israël.
J’ai décidé de traduire à l’intention de ceux qui ne parlent pas encore l’hébreu, l’intégralité de cette brillante allocution d’espoir, d’émotion et d’unité. A lire et relire.
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Monsieur le président
Monsieur le Premier ministre
Monsieur le président de la Knesset,
Madame la présidente de la Cour Suprême,
Monsieur le ministre de l’Education Nationale,
Monsieur le maire de Jérusalem,
Chers amis,
Moi, qui suis vide d’actions, je suis émue de me trouver devant vous aujourd’hui et de m’exprimer au nom des lauréats du Prix d’Israël.
Je prie pour ne pas commettre d’erreurs dans mes propos, et que mon langage simple puisse exprimer, de la manière, la plus juste notre profonde reconnaissance envers l’Etat d’Israël qui nous a jugé aptes à recevoir ce prix et, envers les membres de nos proches familles qui nous ont encouragé sur la voie que nous avons décidé de suivre.
Dans le public, ici présent aujourd’hui, des êtres chers nous manquent. Ils n’ont pas eu la joie de nous voir honorés ainsi.
Deux d’entre eux sont mes parents , Yaacov et Ito Ohayon qui sont nés au bas des Monts de l’Atlas marocain. Ils ne savaient ni lire ni écrire et ne parlaient pas l’hébreu. S’ils étaient là ce soir avec nous, ils n’auraient compris que quelques mots de mon vocabulaire. Des mots qui étaient pour eux des noms de code: Yérouchalaïm, Shalom, Torah et Toda.
Chaque soir mon père me parlait d’une ville qu’il ne connaissait pas, dont il n’avait pas de photos, mais dont la description s’était transmise de père en fils: Yérouchalaïm, qui possédait des arbres d’où coulaient le lait et le miel, et au pied desquels les lions cohabitaient avec les moutons. Et à chaque fois que mon père parlait de Yérouchalaïm, chaque fois qu’il murmurait avec sainteté son nom, il embrassait ses deux doigts comme s’il baisait chacune de ses lettres.
Une soirée d’été de 1963, mon père m’a dit que le Machia’h allait arriver ce soir. Lorsque je lui ai demandé: « Comment saurais-je l’identifier? ». Il m’a répondu: » Tu verras: il aura un pantalon court, une chemise ouverte et portera des sandales aux pieds ».
J’ai effectivement rencontré le Machia’h! C’était le Shaliah (l’émissaire) de l’Agence juive qui nous a fait sortir du Mellah de Casablanca, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 10 ans et qui nous a conduit à Jérusalem, ou plus exactement dans le camp de toile de Hatzérim à Bersheva dans lequel j’ai vécu jusqu’en 1969. Nous y avons vécu sans gaz et sans réfrigérateur. Les lits étaient en fer et nous découvrions une nouvelle langue. Nous avons eu des difficultés d’intégration, mais nous étions heureux d’être en Eretz Israël.
J’ai appris à aimer ce pays à travers ses chansons car je n’avais pas de livres. Ce n’est que grâce à un transistor que mon père avait reçu grâce à son emploi de balayeur que j’ai découvert cette terre. Chaque mercredi, j’attendais avec solennité, un crayon à la main, prête à écrire les mots des chansons qu’Efi Netzer nous enseignait dans son émission. C’est ainsi que j’ai découvert le Mont du Hermon, Bethléem, et la Vallée de Jezréel. Mais une chanson est restée gravée dans ma mémoire: celle de Nathan Alterman « Chir Boker » le chant du matin . Et dans ce chant, une strophe n’a cessé de m’impressionner: » Que ne t’avons-nous pas encore donné, alors que nous le pouvions « ?
Car déjà lorsque j’étais enfant, je sentais que je n’avais pas fait assez pour ma terre. Je sentais que j’étais arrivée dans un pays déjà prêt et je ne pouvais imaginer qu’un jour, je donnerais à ce pays ce qui m’était le plus cher: mes fils Ouriel et Eliraz. Mais on ne construit pas une patrie dans la douleur et les larmes, mais aussi dans un effort et une contribution permanente.
Je suis fière d’appartenir à un groupe qui a choisi de se consacrer à l’Education par idéal et par intime conviction que c’est là la voie à prendre pour briser les murailles de l’ignorance et de l’indigence, et parce que je suis convaincue que l’éducation offre l’opportunité de se développer et de se concrétiser sur le plan personnel, comme cela s’est produit dans mon cas.
J’ai apporté, dans cette activité éducative, les valeurs puisées au sein de mon foyer familial.
Ce sont les fondements sur lesquels nous avons fait grandir, avec mon regretté mari Eliezer zal, nos six enfants Ouriel, Eliraz, Hadass, Avihaï, Assaf et Bat El.
Mes amis,
Je me tiens ici devant vous ce soir, quelque peu gênée: Me voici aux cotés de personnalités de très haut rang, qui ont créé, écrit, cherché et découvert…des visionnaires, des hommes et des femmes d’action, des êtres de conviction. Que suis-je face à eux? Je n’ai rien créé, je n’ai rien découvert, je n’ai pas résolu la moindre équation.
Je n’ai qu’un cœur , un cœur qui s’est, par trois fois, brisé à la suite de terribles annonces: mon fils Ouriel tombé au Liban, mon mari Eliezer mort ensuite de chagrin, et la mort de mon fils Eliraz, tombé au combat à Gaza.
C’est avec ce cœur que je suis allée au-devant de mon peuple. C’est avec le langage de ce cœur brisé que j’ai parlé de cette Terre et de son legs; que j’ai appelé à choisir le Bien, que j’ai parlé de Joie, de détermination à vivre, de responsabilité et d’implication sociale.
Et c’est de ce cœur qui bat au rythme de la foi en cette Terre et en son peuple; c’est des profondeurs de la douleur, qu’ont jailli des sources d’amour.
Et lorsque le cœur est empli de foi, d’Emouna, il peut relever les défis les plus durs. Il peut créer de grandes œuvres.
C’est là mon œuvre. Elle est implantée dans les cœurs. J’ai transformé ma douleur en une mélodie nouvelle.
C’est ainsi que chacun et chacune de ceux qui sont assis ici sur cette scène respectable, ce soir; chacun de nous à un cœur qui bat à son rythme. Chacun de nous à pour modèle les paysages de sa jeunesse; chacun possède sa propre formation, chacun a sa propre Jérusalem; chacun a sa propre réalisation.
Parmi les lauréats, certains ont vécu dans leur chair, la perte d’un être proche. Et pourtant, leur esprit ne s’est pas brisé. Ils continuent d’agir au sein de la société afin qu’elle soit meilleure. Et les autres oeuvrent non seulement pour eux, mais pour l’Etat d’Israël, pour son développement et son renforcement dans de divers domaines.
J’ai eu le privilège de rencontrer la société israélienne dans toutes ses composantes. Des rencontres face à face, des entretiens édifiants qui m’ont permis de réfléchir autrement.
J’aurais été heureuse si nous pouvions tous aller au devant de notre prochain et rencontrer la diversité, rencontrer les « autres »; faire connaissance; ressentir; voir les yeux éplorés et les yeux de joie; écouter les voix distinctes.
Et même s’il y a entre nous des fossés , nous pourrons construire, au-dessus, des ponts. Il faut seulement, pour cela, admettre et reconnaitre que ce qui nous rassemble est autrement plus fort que ce qui nous divise.
Nous sommes tous sur cette Terre épris de Vie. Nous sommes tous sur cette terre épris de Paix.
C’est notre foyer à tous. Et personne, ni aucune partie, ne peut revendiquer l’exclusivité de l’amour du peuple et de la patrie. Nous voulons avoir le mérite de voir nos petits-enfants construire ici sur cette terre leur maison, se promener en toute sécurité dans ce pays et profiter de ses paysages. Nous aspirons tous à instaurer ici une société d’excellence, dans l’esprit des prophètes d’Israël.
Et c’est cela qui nous engage à être responsable du cachet de cet état, de ses valeurs et de l’avenir de notre foyer.
Nous ne pouvons pas en faire abstraction: dans ce puzzle qu’est l’Etat d’Israël, il y a une place pour tous.
Pour toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Et si une seule pièce manque à ce puzzle, l’image sera incomplète.
Voilà pourquoi je ne suis pas prête à renoncer à la moindre partie de ce peuple, de mon peuple. Et même si la composition de ce puzzle doit prendre du temps, je ne renoncerais pas.
Et pour réussir à former cette mosaïque, nous devons nous respecter; dans nos discussions nous devons faire preuve de retenue, de patience et laisser exprimer tous les avis sans crainte et sans menace.
Nous devons instaurer un dialogue qui laisse une place au pardon et au repentir, un dialogue qui renforce notre engagement à aimer notre prochain car il a été créé à l’image de D. .
Nous devons instaurer un dialogue qui respecte notre patrimoine, un dialogue qui amplifie le Bien, la Lumière , et l’Espoir, et non un dialogue qui se focalise sur l’obscurité, comme l’a dit le roi David dans ses Psaumes: » Qui aspire à la Vie? Celui qui éloigne sa langue du Mal et ses lèvres de la médisance. Celui qui s’éloigne du Mal et fait du bien. Celui qui aspire à la Paix et la poursuit. «
Choisissons tous la voie qui augmente la lumière comme j’ai décidé de choisir la voie tracée par mes enfants Ouriel et Eliraz et par leurs camarades. Les valeurs de fraternité sont celles qui me guident. Et le slogan « A’hi », « mon frère » avec lequel ils s’interpelaient est devenu le mien. Nous sommes tous frères.
Et comme le disait mon fils Ouriel: « Avec toutes les ronces qui m’ont piqué, on pourrait tisser une tapisserie d’un mètre carré. Mais ce ne sont pas de simples ronces. Ce sont les ronces d’Eretz Israël et je préfère les ronces de mon pays à toutes les plus belles fleurs du monde ».
Mes chers amis,
Nous avons eu le mérite d’assister à la création de l’Etat, à son développement, à sa prospérité. Maintenant, alors que ce pays fête ses 70 ans, notre mission est de révéler au grand jour les lumières que renferme l’unité des tribus d’Israël comme le disait Bialik: « Révélez la lumière, enfants des Maccabim, découvrez la lumière »
Hag Saméa’h
Myriam Peretz
Traduction, de Daniel Haik
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