Écarté du registre des commémorations nationales, Charles Maurras revient sur le devant de la scène avec la publication par les éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins jeudi prochain de certains de ses écrits dont le sulfureux « Mes idées politiques » où s’expriment son antisémitisme et sa haine de la démocratie.
« Le mal, ce n’est pas le fait d’une élection, c’est le système électif étendu à tout, c’est la démocratie », écrit Maurras qui ajoute « Oui, la République est le mal, oui le mal est inévitable en République ». Lorsqu’il évoque Léon Blum, Jean Zay et Pierre Mendès-France, trois figures du Front populaire, Maurras parle avec mépris d' »un petit ramas de Juifs ». « Mes idées politiques », ouvrage d’où sont extraites ces phrases a été publié en 1937.
Ce texte est repris presque in extenso dans le volume publié (à la veille du 150e anniversaire de la naissance de Maurras) par les éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Publié sous la direction de Martin Motte, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et spécialiste de l’oeuvre de l’écrivain controversé, ce volume de plus de 1.200 pages réunit les textes fondamentaux du directeur de l’Action française y compris d’inattendus (et inédits) « poèmes érotiques ».
« Il faut se garder d’observer une époque passée avec les lunettes contemporaines »
Outre des textes littéraires (« L’avenir de l’intelligence ») et autobiographiques (« Quatre nuits de Provence »), on trouve également une vingtaine d’articles de l’Action française et des extraits du procès de Charles Maurras, jugé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour intelligence avec l’ennemi.
Condamné à la détention perpétuelle (il sera gracié en mars 1952 quelques mois avant sa mort) et à la dégradation nationale, Maurras s’écrie en sortant du tribunal: « C’est la revanche de Dreyfus! ».
« S’il faut se garder d’observer une époque passée avec les lunettes contemporaines (…) Maurras et l’Action française ont sans aucun doute empêché un certain nombre de Français de basculer dans le fascisme ou l’hitlérisme mais ils ont aussi participé d’une atmosphère générale hostile aux Juifs qui favorisa l’accomplissement d’atrocités sous l’Occupation », écrit Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro magazine, qui signe la préface du volume.
Textes antisémites
Si effectivement Maurras insiste durant tout l’entre-deux-guerres sur son aversion pour l’Allemagne, il approuve dès 1940 la politique de collaboration entre l’État français et l’Allemagne nazie et la politique antisémite mise en place par le régime de Vichy qui conduira aux déportations et exterminations. Dans un article publié en février 1944 (et reproduit dans le volume), Maurras s’en prend à la fois à la Résistance et aux Juifs.
« La meilleure manière de répondre aux menaces des terroristes (les résistants, ndlr) est de leur imposer une légitime contre-terreur. L’axiome est applicable aux violences de parole et d’attitude dont se rendent coupables les hordes juives: le talion ».
Dans un autre article d’avril 1937 de l’Action française (non reproduit dans le volume), Maurras traitait Léon Blum de « détritus humain à traiter comme tel ». Cet article, cité par l’historien Pierre Birnbaum dans sa biographie de l’ancien président du Conseil du Front populaire, poursuivait: « c’est un homme à fusiller, mais dans le dos ».
Fallait-il rééditer Maurras?
« Au nom de quels principes des livres déjà existants devraient-ils se voir interdits de nouvelle publication », répond l’historien Jean-Luc Barré sur la quatrième de couverture du volume. Ne pas publier Maurras serait, selon l’historien, « abdiquer face à des diktats incompatibles (…) avec cette liberté d’expression dont notre pays reste l’un des meilleurs symboles ».
« Charles Maurras (1868-1952) fut au XXe siècle une figure centrale de notre histoire nationale », rappelle M. Barré en soulignant qu’il fut également « l’un des écrivains les plus admirés de sa génération ». « Proust, Apollinaire ou Malraux ont salué en lui un esthète exigeant et un poète métaphysique dont l’oeuvre puise aux sources gréco-latines, toscanes et provençales », écrit M. Barré.
Théoricien du « nationalisme intégral », antidreyfusard, membre de l’Académie française, le nom de Maurras figurait sur le Livre des commémorations nationales 2018 avant que la ministre de la Culture, Françoise Nyssen décide fin janvier d’effacer son nom de la liste des événements à commémorer cette année.
« L’avenir de l’intelligence et autres textes », Charles Maurras, préface de Jean-Christophe Buisson
(Bouquins – Robert Laffont – 1200 pages – 32 €) PARUTION le 19 avril 2018
Maurras a été réédité déjà bien avant ce nouveau livre. On empêchera pas les intellectuels et autres français de lire Maurras. Je prédis même que tous les écrivains d’avant-guerre, que certains considèrent comme les meilleurs, vont revenir l’un après l’autre. Beaucoup en ont assez de devoir se contenter de Sartre, Camus ou des sociologues de gauche du matin au soir. Le « révolutionnaire » Régis Debray se plaint aussi qu’à l’ENA, aujourd’hui, la future élite française lise plus Lévinas que Maurras…