Le Parti travailliste est accusé de ne pas combattre assez vigoureusement l’antisémitisme en son sein. Son chef, Jérémy Corbyn, tente de se défendre.
L’enquête publiée dimanche par le Sunday Times donne la chair de poule. L’hebdomadaire a fait état de plus de deux mille messages sur Facebookviolemment antisémites, voire parfois révisionnistes, écrits par des partisans du leader du Labour Jeremy Corbyn. Plus grave, des collaborateurs du chef de la gauche, et de son bras droit, le porte-parole aux Affaires financières, John McDonnell, ont participé à cette vaste campagne antisémite sous le couvert d’antisionisme. Pour ce faire, ils se sont attaqués également à l’équivalent britannique du Consistoire, The Board of Deputies, ainsi qu’à des personnalités juives de la vie des affaires.
Les révélations du titre de presse sont le dernier épisode d’un chapitre noir de l’existence du Labour : l’infiltration de ses instances – le parti, les syndicats, les organisations militantes – par une extrême gauche qui pratique l’antisémitisme pour prendre le contrôle du parti fondé en 1900. Pour certains, le principal parti d’opposition de Sa Majesté présidé par Jeremy Corbyn serait « judenrein », terme qui qualifiait sous le Troisième Reich et la Shoah un lieu nettoyé de sa population juive. Et face à cette chasse aux sorcières, donateurs, cadres et militants d’origine juive désertent en masse le Labour.
Dans un message vidéo publié le 30 mars sur son compte Twitter, le chef du Parti travailliste a tenté d’éteindre la polémique. Il s’est dit préoccupé par « la montée de l’antisémitisme dans le monde » et « la montée du Front national en France » et a évoqué « l’assassinat antisémite de Mireille Knoll ». Il assure que le « Labour ne sera jamais complaisant avec l’antisémitisme » et s’engage à faire des efforts et à s’assurer que son parti soit un lieu « sûr » et « accueillant » pour les Juifs.
L’hostilité à Israël de Corbyn
Récemment, une proche de Corbyn a dû démissionner pour avoir protégé un candidat local qui démentait dans ses tweets l’existence de la Shoah. Autre incident, lors d’une manifestation contre l’antisémitisme organisée la semaine dernière par le Board of Deputies devant Westminster, les participants ont été violemment pris à partie par des supporteurs du mouvement ultra gauche, Momentum, fidèle à Corbyn.
Dans les années 90, au nom de la protection de la liberté d’expression, Jeremy Corbyn s’était opposé à la destruction d’une peinture murale digne de la propagande nazie montrant des banquiers au nez crochu jouant au Monopoly. Pour s’emparer du Labour en 2015 après deux défaites électorales d’affilée et dans une volonté de rupture avec l’ère sociale-démocrate de Tony Blair et de Gordon Brown, il avait joué la carte du virage à gauche. Il avait été élu, puis réélu haut la main à la tête du parti. Ce défenseur des droits de l’homme n’a jamais caché son hostilité à Israël ni ses accointances avec le Hezbollah et le Hamas.
Sous la houlette de Corbyn, le Labour est revenu à ses vieux démons économiques, les nationalisations, l’explosion de la dépense publique et la taxation des riches. Sur le plan politique, ses partisans se sont lancés dans une vaste purge du seul bastion modéré, le groupe parlementaire. Face au travail de sape, les grosses pointures du centre gauche ont quitté le contre-gouvernement, voire la politique. Parallèlement, les « Corbynistas » ont utilisé l’antisémitisme sous le couvert d’antisionisme pour tenter de se débarrasser des pragmatiques.
Virage à gauche
En effet, le parti travailliste de Corbyn n’a rien à voir avec le New Labour de Blair. La montée de la précarité et de l’insécurité économique, l’érosion de la classe moyenne et la poussée anti-élites ont entraîné une radicalisation de sa base et de son programme. Le virage à gauche a porté ses fruits sur le plan électoral, comme l’atteste la progression du Labour lors des élections générales du 8 mai 2017 au détriment des conservateurs et des petites formations. Le scénario d’un Jeremy Corbyn Premier ministre à l’issue du prochain scrutin au plus tard en 2022 n’était plus exclu.
Mais les retombées des attaques antisémites ont changé la donne. Accusé de complaisance envers ses ultras, Corbyn est apparu hésitant, dépassé par les événements. Déjà sur la défensive à propos de son soutien à Vladimir Poutine dans l’affaire de la tentative d’assassinat par empoisonnement de l’ex-espion russe à Salisbury, le député d’Islington, anti-européen notoire, est critiqué pour ses tergiversations sur le Brexit.
Les déboires de Jeremy Corbyn font l’affaire de la Première ministre conservatrice Theresa May. Son attitude de fermeté envers la Russie alliée aux progrès de la négociation d’un accord sur le Brexit avec les partenaires européens ont fait monter sa côte de popularité.
Face à Corbyn, la droite a fait bloc, mettant momentanément entre parenthèses ses divisions sur le Brexit. Les accusations d’antisémitisme ont fait basculer une partie des sympathisants travaillistes modérés dans son camp. Aujourd’hui, la cheftaine de la droite, tenante du juste milieu, est largement en tête des intentions de vote.
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