Dans mon souvenir, ça remonte aux tout débuts de l’assassinat de Sarah Halimi. Dans ce silence effrayant qui entourait ce qui était tout sauf un fait divers, une petite voix prévint : un rojet de livre. Noémie Halioua s’engageait[1]. Deux mois seulement s’étaient passés.
Tout au long de cette difficile année, je savais qu’elle travaillait. Mes contacts mes sources me disaient : c’est quelqu’un de bien, vous savez.
Ça y est. La sortie presse a eu lieu et Noémie est invitée. Partout. J’en sais un qui a même saisi là l’occasion de présenter ses excuses : il regrettait son silence. Celui de sa rédaction : Jean-Jacques Bourdin himself.
Noémie Halioua, qui dédie son travail à Sarah, annonce d’emblée son projet, et entre une intro où elle l’explique et quelques remerciements, elle trace la route, en 10 étapes, et fournit à ses lecteurs une enquête solide confortée par une réflexion pertinente sur la France qui a permis qu’on tuât une de ses Juives, en plein Paris, en 2018.
A noter, l’unique mais fondamental point de désaccord entre l’auteur et Nous : Nous avons jugé, au fil du temps, indispensable de nommer et d’interpeler la Juge Anne Ihuellou, ce qui, au bout de 11 longs mois, n’était en rien une attaque ad hominem, mais l’expression d’un sentiment outragé face au traitement pour le moins particulier de cette affaire, face à ce qui paraissait un insupportable effort demandé à la Magistrate pour enfin acter la dimension antisémite du meurtre, qui, notons-le, n’est toujours pas requalifié d’assassinat et pour lequel la reconstitution est encore à ce jour refusée par la Juge ! Anne Ihuellou. Nous redirons ce nom, pour notre part, jusqu’à ce que Justice soit rendue à Sarah Halimi.
Sarah Cattan – Noémie, vous citez en exergue le Rabbin A. Y. Kook : « Je parle parce que je n’ai pas la force de garder le silence ». Fallait-il donc être Juif pour écrire ce livre ?
Noémie Halioua – Cette citation résonnera chez tous les indociles, les militants, les lanceurs d’alerte, chez tous ceux pour qui l’injustice est porteuse de révolte. Chez tous ceux pour qui elle constitue un appel à l’action. Juif ou non. Au fond, n’importe qui aurait pu écrire ce livre, si tant est qu’il soit sensible à l’injustice et capable de la sublimer. Par ailleurs, j’ai la conviction que la montée de l’antisémitisme est un phénomène qui n’inquiète pas que les juifs.
Sarah Cattan – Vous dites, Noémie, avoir oscillé sans cesse entre « impulsion émotionnelle » et « juste distance » ?
Noémie Halioua – Absolument. On sait combien il faut se méfier de ses émotions. Si elles constituent un moteur puissant, elles peuvent aussi s’avérer instables et trompeuses. Elles peuvent nous jouer des tours. Il a donc fallu que je m’en détache pour mener une enquête basée sur les faits, qui retrace de façon chronologique l’histoire. C’était l’unique façon d’échapper aux risques que mon livre soit perçu comme un simple « point de vue » et lui assurer une certaine crédibilité aux yeux des sceptiques.
Sarah Cattan – Vous évoquez, comme première difficulté, le manque d’éléments factuels.
Noémie Halioua – Lorsque j’ai commencé à écrire ce livre, l’enquête judiciaire n’en était qu’à ses balbutiements. Aucune enquête journalistique poussée n’était encore parue. Or, qu’importe les convictions, il fallait des preuves. Voilà pourquoi j’ai enquêté. Je me suis procurée le dossier d’instruction, qui comprend entre autre, les procès-verbaux des voisins, des policiers présents dans l’immeuble au moment des faits, mais aussi l’expertise psychiatrique, l’autopsie du corps de Madame Halimi… J’ai été dans l’immeuble de Sarah Halimi et ai interrogé tous les acteurs : les voisins, les avocats, la famille. Ces éléments racontent une histoire, celle de l’Affaire Sarah Halimi. Tout cela parallèlement au temps de l’écriture. Il a fallu sacrifier du sommeil durant des mois… mais c’est le jeu lorsqu’on se lance dans une telle aventure.
Sarah Cattan – « Tordre le cou aux rumeurs », écrivez-vous ?
Noémie Halioua – Oh oui, elles ont été nombreuses… Beaucoup ont par exemple remis en cause le fait que des agents de police étaient présents dans l’immeuble au moment des faits. Certains évoquaient aussi des coups de couteau qui n’ont jamais eu lieu… La plus importante « Fake News » a cependant duré un an : elle consistait à assurer que ce meurtre n’était pas antisémite. Qu’il s’agissait d’un simple « fait divers », c’est-à-dire que ce crime n’avait pas de caractère idéologique et politique. Qu’il ne disait rien de la société française. Un an plus tard, l’évidence s’est imposée.
Sarah Cattan – Noémie, le refus de Maître Bidnic de vous recevoir est plus attendu que celui de Daniel Zagury, expert psychiatre en charge du cas Traoré. Quelles questions auriez-vous posées à Daniel Zagury ?
Noémie Halioua – Hélas, j’ai dû me confronter au silence de la part de l’expert-psychiatre, mais ce refus est tout à fait justifié au regard de sa fonction. Celui-ci est soumis au secret d’instruction et je peux comprendre qu’il s’y tienne. Si j’avais eu l’occasion de le rencontrer, je lui aurais sans doute demandé des précisions sur le cas psychiatrique de l’assassin de Sarah Halimi, d’autres détails que ceux qu’il fournit dans son expertise et dont je rends compte dans le livre. Je l’aurais interrogé sur sa conviction profonde qu’il a pour l’heure, je pense, gardé pour lui.
Sarah Cattan – Vous évoquez, Noémie, le regard meurtri d’une des filles de Sarah : comment avez-vous procédé avec cette famille éprouvée et particulièrement « sur ses gardes » ?
Noémie Halioua – Il était fondamental pour moi de respecter la famille de Sarah Halimi. De ne pas la brusquer. Je ne voulais pas être ce que peuvent être certains journalistes : des sangsues malhabiles prêtes à tout pour obtenir des informations, y compris à blesser. J’ai essayé d’être le plus à l’écoute de leurs réclamations. Elisheva, la plus jeune fille de Sarah Halimi, a souhaité relire le chapitre « de Lucie Attal à Sarah Halimi », qui est une biographie de sa mère à laquelle elle a contribué en me recevant chez elle. Je lui ai naturellement permis de le faire. J’étais à l’écoute sur les précisions de l’image que je dessinais de l’être qu’ils aimaient. Je voulais que ce portrait soit juste car c’est celui qui s’inscrira dans la mémoire collective.
Sarah Cattan – Noémie, ces épisodes compilés, peut-on dire qu’ils suivent la chronologie de ce que vous appelez l’histoire, « celle qui précède le procès » ?
Noémie Halioua – Ce livre retrace la première étape de l’affaire Sarah Halimi. De même que vous avez pu le suivre de votre côté et dans le détail pour Tribune Juive. Depuis la reconnaissance du caractère antisémite, un nouveau chapitre de l’instruction s’est ouvert… c’est celui qui mènera au procès du tueur, qui aura lieu en 2019 selon les avocats.
Sarah Cattan – Noémie, votre livre a été donné à imprimer avant que la Juge Ihuellou n’eût acté la circonstance aggravante en raison de la religion… Avez-vous, Noémie, su mieux que nous qui était cette Juge d’instruction aux méthodes peu banales.
Noémie Halioua – J’ai pris soin de ne pas citer le nom de la juge dans mon livre et n’ai pas trouvé d’intérêt particulier à creuser sa carrière ou ses engagements personnels. Je pense, et c’est mon avis, que procéder à des attaques ad hominem contre un juge d’instruction est une action inefficace et contre-productive, surtout dans une affaire encore en cours. De façon plus générale, j’évite autant que faire se peut de traîner des individus dans la boue, je sais combien, à l’heure des réseaux sociaux, cela peut détruire. Ce ne sont pas mes méthodes de travail. Mon livre a d’abord pour objectif d’éclaircir les circonstances du meurtre de Sarah Halimi et de lui rendre mémoire. Le reste me semble accessoire…
Sarah Cattan – Noémie, vous n’hésitez pas, dès la page 9, à parler d’assassinat, présumant sur la préméditation et la dimension antisémite…
Noémie Halioua – Oui car le peu d’éléments dont je disposais étaient alors transparents quant au caractère prémédité du meurtre. Peut-on imaginer que l’on atterrit par le balcon, à 4heures du matin chez quelqu’un « par hasard » ? De plus, plusieurs informations quant à la signature islamiste m’étaient confirmées : les Allah Akbar et les sourates du Coran récités par l’assassin, la judaïté de Sarah Halimi, visible et connue des voisins etc.
Sarah Cattan – Vous élargissez votre réflexion et placez cet assassinat parmi les symptômes de la montée de l’antisémitisme en ce début de XXIème siècle, et parlez carrément de « décomposition française ».
Noémie Halioua – Absolument. Sarah Halimi est une victime de l’islamisme, de même que le Père Jacques Hamel a été assassiné dans son église à Saint-Étienne-du-Rouvray ou que l’attentat du Bataclan, visait la liberté d’expression. La même logique est à l’œuvre. Je pense que le nouvel antisémitisme est à appréhender dans une perspective plus globale, qui touche la société entière. De plus, cette affaire symptomatise différents maux de l’époque : la psychiatrisation des criminels, l’abandon des classes populaires, l’idéologisation de la justice, la difficulté des juifs à vivre dans les cités…
Sarah Cattan – Vous nous emmenez dans les coulisses de la presse communautaire.
Noémie Halioua –C’est « la » lecture du Chabbat dans encore beaucoup de foyers juifs français. C’est également au sein de ce journal, dans lequel je travaille, que j’ai reçu le coup de téléphone de William Attal, qui cherchait de l’aide pour médiatiser cette affaire. Il avait tenté de joindre différentes rédactions auparavant sans succès. Ce monsieur qui m’était alors inconnu m’a bouleversé, c’est ainsi que tout a commencé.
Sarah Cattan – Vous tentez de refaire le film : « Sarah aurait dû être prise en charge par une ambulance, emmitouflée dans une couverture de survie à surface dorée »…
Noémie Halioua – Lorsqu’une réalité est trop brutale, on se prend à en inventer une autre. Dans le livre, j’imagine brièvement celle où Sarah Halimi aurait été sauvée in extremis de son bourreau, et que du réconfort lui aurait été apporté à la place de la défenestration. J’aurais voulu que quelqu’un lui dise qu’elle n’était pas seule. Le récit permet ce luxe qu’interdit le réel : inventer une « happy end », même si elle n’a jamais eu lieu.
Sarah Cattan – Noémie, vous expliquez avoir, faute de mieux, transcrit sur Facebook une conversation en 314 mots : celle que vous eûtes lorsque William Attal, frère de Sarah, vous appela au secours.
Noémie Halioua – Deux jours avant la première conférence de presse, en effet. Je ne m’attendais pas à ce que ce post sur Facebook soit autant repris, diffusé, rediffusé. J’actais le premier coup de projecteur sur cette affaire en dehors de la communauté juive.
Sarah Cattan – Naomi, Sarah a-t-elle été tuée au mauvais moment ?
Noémie Halioua – Au pire moment possible, même : à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle. Au matin du premier débat entre les différents candidats : un contexte politique extrêmement sensible qui a sans doute joué sur le fait que cette affaire ait été dans un premier temps si peu médiatisée. Avait-on peur qu’elle crée un incendie médiatique qui profite au Front national ? Cette hypothèse n’est pas exclue.
Concernant la judaïté de Sarah, vous dites combien il fut dur qu’elle fût perçue autrement que comme « un élément superflu dont la mention serait relative. Comme si le fait de nier une réalité permettait de la faire disparaître », précisez-vous, en référence à l’Affaire Ilan Halimi.
Noémie Halioua – Je parle de toute la période où la juge se refusait à reconnaître le caractère antisémite.
Sarah Cattan – Sarah et la crèche privée, « l’œuvre de sa vie, » selon son fils.
Noémie Halioua – Il parle de « sa deuxième maison », aussi. Elle y a consacré plus de trente années de sa vie avant que celle-ci ne ferme ses portes pour des raisons indépendantes de sa volonté.
Sarah Cattan – Il n’y a pas de Thora, évidemment, chez Sarah…
Noémie Halioua – Non effectivement, ce qu’il appelle « une thora » est en fait un chandelier, une ménorah sans doute. Un symbole juif qu’il reconnait comme tel, le premier qu’il voit chez Sarah Halimi, avant que celle-ci ne le rejoigne dans son salon – sans doute réveillée par les bruits de l’intrusion – et qu’il n’envoie sa première salve de coups.
Sarah Cattan – L’antisémitisme is back ? Paré de nouveaux habits ? Il aurait « moins le visage de Marion Maréchal-Le Pen que celui de Mehdi Meklat ».
Noémie Halioua – Je ne crois pas qu’il porte « d’autres habits », mais qu’il est justement de nature différente. Je parlerai comme Georges Bensoussan de « nouvel antisémitisme ». Il signifie en cela non qu’il est récent, (on sait qu’il sévit en France depuis plus de vingt ans) mais qu’il est de nature différente de celui du passé. Il n’a rien à avoir avec l’histoire de France. Jusqu’alors, l’antisémitisme était principalement porté par l’extrême-droite, qu’il avait pour prétexte le déicide (« les juifs ont tué le christ ») et qu’on leur reprochait leur prétendu cosmopolitisme, aujourd’hui il est porté par une frange de la culture arabo-musulmane, il prend pour prétexte la détestation d’Israël et reproche au juif d’être un « super-blanc ».
Sarah Cattan – « L’inertie de la police et l’indifférence médiatique » concluent votre opus, avant une interrogation attendue sur … la justice.
Noémie Halioua – Quelques jours après l’impression du livre, la nouvelle est tombée : le caractère antisémite était reconnu. Il était hélas impossible de réécrire le livre, mais cette nouvelle venait accréditer l’hypothèse de mon livre : Sarah Halimi a été assassinée parce qu’elle était juive.
[1] L’Affaire Sarah Halimi. Noémie Halioua. Editions du Cerf. Mars 2018.
Je pense qu’affirmer que l antisémitisme n à “rien à voir avec l histoire de france” est un peu “court”. Hormis le cancer diffusé dans le corps social français depuis 2000 ans, avec les dégâts cerebraux et sanguinaires que l on sait, c est occulter, les bûchers d l inquisition, les pogroms, les déportations massives de juifs français, couverts et aidés par bon nombre de collabo français, c est publier l affaire Dreyfus.
Il devient de plus en plus impérieux pour le peuple juif et Israël, éternels exutoires de la haine antisemite millenaire des peuples européens de regarder la vérité en face, même si elle est affreusement révoltante et quasi structurelle de ces peuples.
La France et l ensemble des pays européens sont depuis 2000 ans un immense camp de concentration pour le peuple d Israel.
Rendons nous à l évidence nos tergiversations ne peuvent plus ni ne doivent masquer une évidence. L ‘ EUROPE (et la France ) est notre ennemie d hier et le restera éternellement. QUITTONS LA !!!
Merci Mesdames pour ces lignes.
J’ai toujours été très mal à l’aise avec la notion de “nouvel antisémitisme” -pas contre, juste mal à l’aise, et j’ai trouvé, signée Yann Moix, cette formulation, qui traduit bien mon regard sur la chose : «…une haine fixe en un changeant bourreau.»
Et à Monsieur Bensoussan, dont je partage totalement l’analyse, je voudrais juste dire, crier, implorer « Ne nous laissez pas seuls avec ces salauds ! » Mais qui suis-je, et est-il seulement possible, admissible ! d’en appeler à cette solidarité, nous qui avons été si impuissants dans la nôtre envers vous…
Cher Jean-victor
Merci pour la formule empruntée à Yann Moix . Si exacte. Je ne la savais pas.
Je transmettrai à georges Bensoussan toute votre solidarité.
Encore merci.
Il fallait citer la juge pour dissuader d’autres juges de recommencer