Une synagogue vide et un livre disent le destin des Juifs de Sarajevo

Membre influent de la communauté juive de Sarajevo, Eli Tauber attend inquiet en ce vendredi soir l’arrivée des fidèles dans la synagogue: il faut dix hommes pour commencer la prière de début de shabbat.
Synagogue Sarajevo

Au soulagement de cet historien, ils seront onze, souvent âgés, et une femme, pour suivre l’office assuré par Igor Kozemjakin, représentant de la communauté au Conseil oecuménique de Bosnie: le rabbin de Sarajevo vit en Israël d’où il ne vient que pour Pessah et le Nouvel An.

Les Juifs de Sarajevo sont désormais 700 à 800 selon Jakob Finci, 74 ans, président de la communauté. Avec 12.500 personnes, ils pesaient pour 15 à 20% de la population avant la Seconde guerre mondiale.

Malgré les guerres et l’Holocauste, ils sont toujours là, dans cette ville dont ils ont bâti l’identité multiculturelle avec les Bosniaques musulmans, les Serbes orthodoxes et les Croates catholiques.

Récit de l’histoire des Hébreux lu à la Pâque juive (Pessah), c’est aussi leur destin que narre le vieux cuir de leur célèbre Haggada du XIVème siècle: cet ouvrage inestimable est exposé depuis fin février deux fois par semaine au Musée national.

Les flammes de l’Inquisition

Expulsés d’Espagne en 1492, ces Séfarades avaient trouvé refuge à Sarajevo, sous tutelle ottomane. Les signes les plus immédiats de cette présence séculaire sont les vieilles stèles du cimetière juif de Borak, que l’écrivain yougoslave Ivo Andric décrivait comme les « lions » veillant sur Sarajevo.

La Haggada en est un autre, plus discret. Rédigée vraisemblablement près de Barcelone, elle serait arrivée en Bosnie au XVIIème, échappant à l’Inquisition. En difficulté financière, une famille juive la vend à la fin du XIXème au Musée national.

Au début de la Seconde guerre mondiale, la ville est soumise à la terreur des Oustachis pronazis, rejoints par de nombreux musulmans de Bosnie. Un officier allemand se présente au musée, raconte l’historien Enver Imamovic, 77 ans: « Son directeur, Jozo Petrovic, homme habile, lui répond qu’un autre officier l’a emportée la veille ».

L’ouvrage est caché sous le seuil d’une cabane de montagne, où il passe la guerre. Quant aux Juifs, ils sont regroupés dans les synagogues « avant d’être transportés vers les camps », raconte Zanka Dodig, conservatrice du Musée juif.

Les quelque 12.000 noms de ceux qui ne sont jamais revenus s’alignent dans un livre suspendu au plafond de ce bâtiment installé dans le « Grand Temple », première synagogue de Sarajevo, construite en 1581 à quelques pas de la mosquée du Bey.

En 1954, un employé endetté vole la Haggada, mettant en émoi la Yougoslavie titiste. Elle est « retrouvée à la frontière avec l’Italie », dit Enver Imamovic. C’est lui qui en juin 1992, sous les bombes serbes, met la Hagadda à l’abri dans un coffre de la banque nationale.

La paix revenue, la Haggada n’est exposée que pour les grandes occasions. Mais désormais, une vitrine sécurisée et climatisée financée par la France, permet de l’offrir aux regards.

‘Moins de 1.000’

« Je considère vraiment Sarajevo comme une ville juive, parce que les Juifs ont trouvé ici une certaine paix », dit Eli Tauber.

Les portes de la synagogue, bâtiment de 1902 aux quatre tours rondes sur les bords de la Miljacka, « sont toujours ouvertes », insiste-t-il. « Personne ne vous demande votre carte d’identité, contrairement à Zagreb ou Belgrade, pour ne parler que de la région ».

Andric a écrit que la Bosnie, « où vivent entassées quatre religions différentes aurait besoin de quatre fois plus d’amour, de compréhension mutuelle et de tolérance que les autres pays ». Ce rêve a souvent été piétiné.

Malgré la synagogue qui se vide, Jakob Finci veut croit que l’histoire des juifs de Sarajevo se poursuit. Selon lui, la Bosnie serait un pays « quasiment affranchi de tout antisémitisme », étranger aux 342.000 habitants de la ville, dont 82% de Bosniaques musulmans.

Il ne dira rien de cette décision, fin 2016, des autorités locales de rebaptiser une école de banlieue de Sarajevo du nom de Mustafa Busuladzic (1914-1945), écrivain bosniaque antisémite, fusillé par les partisans pour collaboration avec l’occupant.

Certes, reconnaît Jakob Finci, « pour la première fois après plus de 450 ans, il y a moins de 1.000 Juifs à Sarajevo ». Et lors du conflit de 1992-95, les deux-tiers des quelque 1.500 Juifs avaient fui.

Mais 40% sont revenus et il n’y a plus de départs, insiste-t-il. « En 2016, il y avait douze nouveaux-nés. En 2017, un peu moins… Mais c’est bon signe ».

Source tv5monde

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