En parcourant notre littérature religieuse nous devons nous poser une question essentielle: la vie juive est-elle une succession de miracles ou d’événements normaux dont certains représentent « beaucoup de chance ».
-Dans l’un de ses textes, Maimonide , le plus grand de nos penseurs, écrit en substance que celui qui pense que Dieu peut faire pousser des petits pains sur les arbres est un idiot.
Aujourd’hui admiré à plusieurs titres -fondateur de la médecine moderne (c’est le titre qui figure dans l’une des salles de l’hôpital de Villejuif), ami de nombreux Soufis,excommunié en son temps parce que trop ouvert et visionnaire-le Rambam est le principal pilier de la Loi juive , ayant préparé ceux qui allaient rédigé le Choulhan Aroukh , mais également le plus brillant rabbin face à l’obscurantisme et l’ignorance.
-Dans la même veine, une phrase populaire dit « al somkhim al haness » : on ne se repose pas sur un miracle . Ceci induit: on va voir un médecin plutôt qu’un rabbin,on travaille pour gagner sa vie plutôt que d’attendre que ça tombe du ciel, etc…
Lorsqu’on remonte aux premières scènes de miracle, comme l’interprétation des rêves par Joseph, puis sa condamnation par Putiphar, enfin sa sortie de prison et la délivrance économique de sa famille , on voit clairement que les naïf appelleront ça « miracle ».
Les gens moins créatifs diront qu’il s’agit de circonstances heureuses, terminéespar un happy end. Et je trouve que cela est bien plus rassurant.
Puis, lorsque Moise lance son bâton face à Pharaon , et qu’il devient serpent, puis que les mages d’Egypte en font de même en créant des serpents à partir de rien, c’est le serpent de Moise qui avale les reptiles des mages. Or, le texte ne parle pas de miracle . On peut bien se doute qu’il s’agit d’illusion, de choses « tangibles ».
En fait, toutes les histoires qu’on nous raconte ont ceci de merveilleux qu’elles sont possibles, très exceptionnelles mais possibles. Un peu comme si, contrairement à des traditions totalement irréalistes , le judaïsme exige d’être responsable, raisonnable , et de ne transférer aucune charge sur Dieu ou sur les manifestations impossibles. Au fond-désolé pour les « puristes »- nous faisons des choses qui seraient à faire même si Dieu n’était pas face à nous. En dehors des prières, du rituel élémentaire.
Notre Thora est avant tout un guide éthique, juste , de conseils avisés sur le monde et les hommes.
Si on regarde ce qu’a produit la vision contraire , c’est transformer la vie en phases de miracles espérés et de déceptions . Parfois, très rarement , de réussites qui transforment en naïfs absolus. A travers cela, des gens qui profite de cette crédulité au lieu d’enseigner ce qui convient. Mais surtout, les enjeux de la société est de gagner au nom au jeu du miracle, pour le travail, l’éducation, les relations hommes-femmes, etc…
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Deux fêtes sont à part dans notre calendrier: Hanoucah et Pourim.
La première fête célèbre un événement très fort, la victoire face aux Hasmonéens qui avaient décidé d’éradiquer l’esprit juif, la pratique de nos Mitsvoths. Deux choses marquent cette histoire: une fiole d’huile cachée qui permit de reinstaurer l’allumage du feu sacré dans le Temple pendant huit jours, malgré une contenance limite pour brûler un seul jour ; et la victoire au combat de l’armée des Macchabées.
Si certains mentionnent le caractère miraculeux de l’huile, le fondement de la fête selon les avis est la victoire par les armes, dont le seul miracle fut de gagner face à une armée bien plus importante, mieux armée, mieux organisée.
Mais lorsqu’on a vécu 1967 , et même 1973, on sait que tous les critères du monde ne résistent pas face à la motivation, à avoir le dos au mur pour sa survie.
Hanoucah n’a de miraculeux au fond qu’à des circonstances merveilleusement favorables; peut être mise chimiquement (pour l’huile d’olive).
Pourim célèbre le retournement d’une situation tragique pour toute la communauté de Suse en Perse : sur proposition du ministre Aman au Roi Ahachveroch, les juifs devaient être tous assassinés . Les événements ont connu des rebondissements tels que, au bout du compte, c’est l’affreux ministre qui fut condamné à mort avec sa femme et ses dix fils . Une fois de plus toute cette histoire reste vraisemblable, absolument pas miraculeuse. Et les juifs sont sauvés.
Le parallèle entre ces deux fêtes de Hanoucah et de Pourim est évident, puisque non inscrites dans le Pentateuque . Une fête parle de l’âme juive qui risquait de disparaître, l’autre que les juifs de Suse devaient tous mourir. Une des deux fêtes sera encore fêtées après l’arrivée du Machiah: Pourim ….La raison? la vie, même dégradée par l’absence de spiritualité, est plus forte que tout. A Suse, on a sauvé des vies, pas le respect des Mitsvoths pourtant si important . Nous sommes concrets, pas dans le Miracle ou la spiritualité.
Pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire de Pourim, qui na été rapportée qu’assez récemment (je l’ai lue la première fois dans le magazine « Kountrass » il y a environ 25 ans), je vous résume:
A la fin de la Meguila, un des paragraphes est écrit avec des lettres différentes de tout le reste du texte, avec trois lettres très petites et une lettre très grosse: il s’agit des « dix fils de Aman » condamnés à la pendaison. Le Roi demande après la pendaison ce que souhaite la Reine Esther. Elle demande à tuer les fils d’Aman (une deuxième fois?).Puis plus rien.
En 1946 à Nuremberg , 11 criminels nazis doivent être pendus . L’un se suicide avant .Lors de l’exécution des dix, Julius Steicher , le plus antisémite de tous probablement, s’avance en dernier et déclare « Pourim 1946 ».
En précisant que les trois petites lettres et la grande lettre font l’année de Nuremberg en calendrier hébraique. Et bien sûr la Reine Esther pouvait imaginer qu’il fallait tuer les autres dix, ceux de Nuremberg.
Voilà donc une jolie histoire , sans miracle, mais sacrément bien organisée par les hasards du monde.
Je vous souhaite à tous une très belle fête de Pourim: Pourim Saméah .
Que mes amis Gilles et Marc et leur famille retrouvent la santé, le sourire, le soulagement,
Amen
José Boublil
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