«A la fin de la guerre, Theo décida qu’il ferait seul le chemin de retour jusqu’à sa maison , tout droit et sans prendre de détours.»
C’est la première phrase du dernier roman de Aharon Appelfeld « Des jours d’une stupéfiante clarté» et cet incipit annonce la suite du récit: la « road story » du héros sur fond d’Europe dévastée.
Ce n’est pas un soldat qui rentre chez lui, c’est un juif déporté qui sort d’un camp de la mort. L’avance de l’ Armée Rouge l’a libéré de ses bourreaux contraints à fuir. Il s’agit d’un homme jeune, 20 ans et il veut marcher depuis la Pologne jusqu’à Sternberg, la petite ville d’ Autriche où il vivait avec ses parents.
Le camp, le voici décrit :
«Les gardiens ukrainiens abattaient sur eux leurs matraques et leurs fouets. Il fallait se mettre en rangs aussitôt. Ceux qui n’avaient pas eu le temps d’aller aux latrines faisaient leurs besoins sur eux en marchant. Cette heure sombre et matinale mettait la solidarité à l’épreuve. Ils étaient nombreux à avoir besoin d’une main secourable, d’un mot d’encouragement , mais pour certains ce secours était vain. Ils s’effondraient, étaient abattus aussitôt et leurs corps jetés dans les fossés sur les bas-côtés de la route »
Theo va marcher longtemps, en choisissant les routes des collines pour dominer les plaines et apercevoir les obstacles qui pourraient le retarder ou le mettre en danger. Il fera des rencontres avec des personnages attachants ou des braillards alcoolisés. Les dialogues sont courts entre déportés taiseux et l’horreur vient des silences et des non-dits. Boire une tasse de café, manger un sandwich, se rapprocher d’un feu de bois, recevoir un verre de cognac, un paquet de cigarettes, ces activités sont décrites sans cesse, ce sont les moments importants des jours et des nuits.
On croise Madeleine, au visage martyrisé et des survivants qui ont choisi de rester sur place parce qu’ils redoutent de ne plus revoir leurs parents, leurs amis.
Le père de Theo était libraire et il essayait de faire connaître à ses clients les nouveaux poètes et les écrivains de talent. Sa mère, bien que juive, avait deux passions : la visite des monastères et la musique de Bach. Theo est obsédé par le souvenir de sa mère, femme d’une grande beauté et d’une sensibilité à fleur de peau qui l’entraînait avec elle à pieds ou en train pour visiter une chapelle où elle ressentait une présence divine.
Il arrive à la frontière et il est secouru par un peloton de Juifs de Budapest qui ont pour mission de venir en aide aux survivants et les conduire où ils souhaitent.
« Pourquoi le peloton s’appelait-il» MALGRÉ «s’enquit-il alors » . Le visage du commandant s’éclaira dans la nuit. « N’oublions jamais, ne serait-ce qu’un instant, ce que nous ont infligé les héritiers de la grande culture : à partir de maintenant tout acte sera sondé, tout acte qui n’est pas en faveur de l’homme, tout acte dans lequel il n’y a pas de compassion sera combattu. Malgré ce que nous avons éprouvé dans notre chair, nous nous battrons pour garder l’esprit lucide et la foi dans le bien. Et malgré la mort cruelle qui a voulu nous arracher nos parents et nos grands parents, nous continuerons de vivre avec eux. Nous avons abattu la séparation entre la vie et la mort. Tous ceux qui nous sont chers seront avec nous en ce monde et dans le monde à venir »
Aharon Appelfeld né en 1932 à Czernowitz en Bucovine est décédé à Petah Tigva le 4 janvier 2018. Il a publié une quarantaine de livres dont j’ai lu 7 depuis «L’ histoire d’une vie» prix Médicis étranger en 2004 jusqu’à « Ces jours d’une stupéfiante clarté » qui m’apparaît comme le testament de cet écrivain magnifique avec sa foi en l’homme et en la sagesse de nos pères. Lisez le et faites le lire.
Un talent rare mis au service d’une pensée sublime.
André Mamou
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