Histoire et justice : Robert Badinter reçu par le CRIF

 

Invité par le président du CRIF,  Robert Badinter a traité lundi  d’un thème peu connu et douloureux : l’histoire de la commission de dénaturalisation et retrait de la nationalité française  de juillet 1940 à la libération.

Il fut comme toujours magistral, d’une très grande vivacité d’esprit. Son émotion et celle des amis du CRIF présents furent intenses. Contenant son émotion, il est resté jusqu’à la fin de la conférence un homme de droit,  un légaliste.

La commission de dénaturalisation fut crée en juillet 1940. Elle était composée de magistrats de la Cour de Cassation et de membres du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. Le texte constitutif ne prévoyait aucun critère, se contentant de la formule discrétionnaire «  s’il y a lieu ».

Dans la pratique furent visés par les décrets de dénaturalisation principalement celles et ceux qui avaient été naturalisés après 1927, singulièrement les Juifs venant d’Allemagne et de pays de l’Est, des communistes. L’inspiration était celle de l’idéologie national  -socialiste,  de son application en vertu  d’une loi de 1933 du régime nazi.

La nationalité fut ainsi retirée à des  enfants nés en France et à des enfants nés français de parents français.

Une déchéance de nationalité ne reposant sur aucun crime avéré, contraire à tous les principes généraux du droit, il n’y avait pas de recours possible, sauf un recours gracieux  devant cette commission, évidemment rejeté, sauf dans un cas qui avait donné lieu à une intervention.

Les membres de cette commission devaient savoir, en tous cas à partir de 1942, que les Juifs qui n’avaient plus la nationalité française seraient pris dans des rafles et déportés dans les camps de la mort. Ce fut le cas pour un grand nombre.

Robert Badinter rappela que le Maréchal Pétain se serait opposé, en tenant compte des interventions de représentants de l’Eglise catholique, au retrait de la nationalité pour  « les israélites de  France », souhaitant qu’il soit concentré sur les Juifs ayant été naturalisés après la vague de naturalisation postérieure  à 1927.

Il  cita  dans cette continuité la phrase de Pierre Laval à son procès : « Je voudrais que le jury soit composé d’israélites de France. »

Nathalie Saint Criq   ouvrit le débat avec deux questions essentielles :

La première relative à   la complaisance, la clémence à l’égard des membres de cette commission à la Libération, comme  les agents du ministère de la Justice ayant pratiqué selon l’expression de l’ ex Garde des Sceaux et président du Conseil constitutionnel «   un antisémitisme de bureau ».

Ce dernier se référa au corporatisme judiciaire, au positivisme  et au contexte historique de l’époque. Il précisa que le président de la commission avait été emprisonné, que M. Mornais devint premier secrétaire du stage des avocats, puis Procureur Général dans le procès du Maréchal Pétain. Il  fut honoré par des distinctions, notamment dans l’ordre de la Légion d’honneur. Il se retira à Vichy.

La seconde question porta sur  les «  dénationalisés » : comment ont pu vivre celles et ceux qui n’ont pas été déportés et  quelle a été la situation après la guerre de celles et ceux qui survécurent.

Robert Badinter rappela que la loi de juillet 1940 fut abrogée, suite au combat mené notamment par René Cassin, mais que les archives de la commission avaient disparu et qu’il fallut un certain temps pour procéder à des recherches individuelles.

Plusieurs questions et  témoignages vinrent de la salle. C’est celle posée par Henri Hajdenberg, avocat et ancien président du CRIF, qui  souleva à la fois la passion et de fortes oppositions dans la salle.

La réponse de Robert Badinter illustra  la prééminence d’une position légaliste contestable et contestée. Interrogé sur le discours prononcé par Jacques Chirac reconnaissant la responsabilité de l’Etat français entre 1940 et 1944 , sous le régime de Vichy, l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand dont on connaît l’attitude contrastée pendant l’occupation(1), tout en reconnaissant que le président Chirac  avait prononcé un beau discours,  considéra que la République française ne pouvait pas être tenue responsable des crimes  contre l’humanité commis sous Vichy puisque il n’y avait plus de République française.

Sans vouloir entrer dans le débat distinguant l’Etat et la République, je rappellerai que les pleins pouvoirs furent votés par des députés de la 3ème République et que leur responsabilité n’a jamais été mise en cause du fait de ce vote.

Ne pas en tenir compte reviendrait à exonérer de toute responsabilité les politiques allemands  qui directement ou indirectement favorisèrent l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler,  certes  validée ensuite par un vote démocratique.

Robert Badinter conclut en expliquant que de telles dérives ne pourraient plus se produire du fait de l’existence de l’Europe judiciaire et notamment du rôle de la Cour européenne des droits de l’homme( CEDH).

On aimerait partager son optimisme. Lui continuera à porter ce message tant auprès des élèves de l’école nationale de la magistrature que des élèves de l’ENA à Strasbourg.

Jean-Loup ARNAUD

(1) Un très vif débat s’est engagé entre amis du CRIF après  la conférence à propos  de l’attitude du président Mitterrand pendant l’occupation et de ses liens avec René Bousquet.

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1 Comment

  1. « Sans vouloir entrer dans le débat distinguant l’Etat et la République »

    Il n’y a aucun débat : un État ne se confond pas avec un mode de gouvernement. En France l’État, ses administrations et ses fonctionnaires, a existé puis fonctionné et s’est développé dans la continuité sous tous les modes : monarchique, impérial, républicain et même rien de tout ça avec Vichy…

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