Président de l’Amitié judéo-musulmane de France, le rabbin Michel Serfaty sillonne la France depuis dix ans avec le bus de l’association. Il rapporte les préjugés antisémites les plus courants chez les jeunes, et explique aussi comment les combattre.
La Croix : Depuis dix ans, vous sillonnez la France avec le bus de l’Amitié judéo-musulmane de France. Quels sont les préjugés antisémites les plus courants chez les jeunes ?
Michel Serfaty : Ils sont de toutes sortes, dans les quartiers sensibles que nous visitons. Pour certains jeunes, « le juif, c’est le diable », il n’est donc pas bon de le fréquenter ou même de lui parler. Certains propos sont clairement à connotation religieuse. Comme cette fois où je montrais un panneau avec les noms arabes et juifs d’Abraham, de Moïse etc., et qu’un des jeunes m’a dit : « Je ne peux pas prononcer leur nom juif, sinon Dieu va me punir ».
Ce type de propos, nous les entendons chez des enfants de 9-10 ans : ce doit donc être par le milieu familial que passe cette culture du mépris, et même de la haine du juif. Mais on peut penser qu’il circule aussi dans les mosquées.
À partir de 13-14 ans, on entend souvent que « le juif est dangereux parce que c’est lui qui frappe les musulmans en Palestine ». Il y a une assimilation totale des juifs avec les Israéliens, et des musulmans avec les Palestiniens. Nous observons aussi une grande ignorance sur la Shoah. Parmi ceux qui en ont entendu parler, certains nous affirment que « ce sont les juifs qui l’ont inventée », ou qu’« Hitler a bien fait les choses ». Je ne crois pas que ce soit de la provocation : c’est plutôt un discours classique du monde arabo-musulman, et que les familles n’ont pas cherché à en expliquer le caractère criminel.
Observez-vous une différence entre garçons et filles ?
Michel Serfaty : Pas vraiment, je peux entendre des horreurs de la part de filles de 16-17 ans. L’une d’elles m’a expliqué un jour que sa mère lui avait dit qu’elle « pouvait coucher avec qui (elle) voulait sauf un juif, sinon elle resterait impure et interdite pendant 40 jours ».
À partir de cet âge circulent aussi les poncifs classiques sur « les juifs qui détournent les richesses dans tous les pays », « voleurs », etc. Un jeune originaire d’Afrique m’a demandé un jour de lui donner « la clé de la richesse », car c’est une croyance répandue qu’il faut pour cela s’adresser à « un rabbin »… Ceux qui ont travaillé dans une entreprise nous disent aussi que « la plupart des patrons sont des juifs », qu’ils « tiennent l’économie », etc. On entend même les préjugés les plus grossiers. Une fois, un jeune m’a assuré qu’« il était écrit dans le Coran que les juifs tiennent les sex-shops et que c’est pour cela qu’il faut les tuer ».
Parfois, avec mon ami l’imam Mohamed Azizi qui m’accompagne, nous nous amusons à les taquiner. Je lui passe mon chapeau, je le présente comme rabbin et moi comme imam. Ils prennent mal ce jeu de rôle, car « rabbin » est pour eux une insulte.
Devant une mosquée radicale, j’ai interrogé un jour un responsable pour savoir si la formule rituelle pour demander à Dieu « de faire disparaître les juifs et les chrétiens » y était récitée. Il m’a répondu faire en sorte de ne pas l’entendre. L’imam, lui, était convaincu que, « puisque c’est écrit, on ne peut pas le changer ». Et un fidèle qui s’est joint à la discussion a assuré que c’était même « indispensable ». Je leur ai indiqué qu’un décret du roi du Maroc interdit désormais de la prononcer, mais pour eux, il ne représente pas le « vrai islam ». Le « vrai islam », c’est que le monde entier devienne musulman.
Quelle évolution constatez-vous depuis dix ans ? Ces préjugés peuvent-ils être combattus ?
M. S. : Nous n’avons pas de baguette magique pour transformer des mentalités ! Il faudra sans doute attendre une génération ou deux pour que le travail de l’école de la République produise ses effets. Ce que je regrette, c’est que les gouvernements successifs aient englouti des sommes colossales dans la rénovation urbaine : s’ils avaient formé des bataillons d’acteurs comme nous, nous n’en serions pas là. Depuis l’année dernière, nous intervenons à Meaux (Seine-et-Marne) tous les mercredis devant des enfants, adolescents, et leurs parents, accompagnés par une bonne cinquantaine de médiateurs de la ville.
Propos recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner
Nous vous félicitons vivement, Rabbi Serfaty, pour votre engagement et votre courage. Nous apprécions le travail extrêmement important que vous faites pour la communauté juive et le peuple de France. Ye-yasher Koh’akhah !