Maurras, ce héros qui nous fait honte, par Sarah Cattan

Ça fait beaucoup en si peu de jours. Encore une injure à notre République. Une injure à la Résistance. Aux martyrs juifs de la haine antisémite.
Maurras dans le box des accusés, à Lyon

Après la pitoyable et scandaleuse tentative de Gallimard de republier les textes antisémites et génocidaires de Céline, après donc ce qui restera L’Affaire Céline, L’Affaire Maurras.

Quand même. Faut-il avoir l’esprit mal tourné pour s’interroger sur d’éventuelles complicités ou empathies de fort mauvais goût chez Gallimard ou cette fois-ci au Editions du Patrimoine.

Devant le tollé immédiat, la Ministre de la Culture a dû faire marche arrière et retirer le Livre qui souhaitait inclure l’antirépublicain, traître à sa patrie et militant antisémite Charles Maurras  des Commémorations Nationales 2018.

Quand même. Pouvez-vous donc me dire comment donc il se fit qu’un tel nom eût pu y figurer ? C’est quoi encore ce bins ?

Est-ce un malheureux hasard si Philippe-Georges Richard, Conservateur général du Patrimoine et responsable de l’établissement de cette liste, lui le responsable administratif de cette publication, fut l’invité de Radio Courtoisie ce 23 janvier 2018. Radio Courtoisie, en principe ils t’invitent pas si t’es un mec clean. Et puis, s’ils se risquaient à cet impair humiliant, toi, t’y vas pas.  Radio Courtoisie, c’est cette radio que tu surveilles d’une oreille. Qui se réclame de l’Action Française. Sa Présidente, Dominique Paoli, c’est la petite-nièce de Charles Maurras. Au titre de quoi elle collabora à la Nouvelle Action Française. Radio Courtoisie, que dirigea Henry de Lesquen, tu sais, le mec condamné en justice pour racisme et antisémitisme.

Tu te croirais dans Le Sous-Préfet aux Champs. Tu t’interroges. Mais qu’allait donc faire le Conservateur Général du Patrimoine sur une telle radio. Et décidément tu as du mal à croire à une innocence dupée. Même que tu peux pas t’empêcher, esprit tordu que t’es devenu, de questionner sur un éventuel choix déterminé : se pourrait-il que le dit haut fonctionnaire eût des sympathies maurassiennes.

Allons y voir. En somme, avec Maurras, ils voulaient, en commémorant avec faste les 150 ans de sa naissance, célébrer un ennemi de la République. Un  antisémite aussi.

Allons y voir. Edition 2018 du Livre des Commémorations Nationales. Sous l’égide du Ministre de la Culture. Avec préface de la Ministre. Mais oui : ce sont bien les 150 ans de sa naissance qui y sont chantés. L’air de pas y toucher. Glissé, incognito. Et si ça passait : Charles Maurras, Martigues (Bouches-du-Rhône), 20 avril 1868 – Saint-Symphorien-lès-Tours (Indre-et-Loire), 16 novembre 1952

Charles Maurras c’est qui me demande l’enfant. Charles Maurras, c’est un écrivain qui défendit à tel point le patriotisme qu’il le qualifia lui-même de nationalisme intégral. Son nationalisme à lui, il repose sur la condamnation sans appel des erreurs commises depuis la Révolution et le rejet de tous les principes démocratiques, qu’il juge contraires à l’inégalité naturelle. Charles Maurras, il prône le retour à une monarchie héréditaire et à cet effet, crée le groupe des Néo-monarchistes puis fonde, en 1899, la revue L’Action française où il chanta à loisir ses thèses odieuses.

Certains le tinrent pour un grand polémiste. Et la Commission nationale, elle, elle te chante à toi, issu de la jeune génération, qu’il fut un polémiste redouté.

Attends. Que je t’explique à mon tour. Charles Maurras, il fut tout d’abord le concepteur de L’antisémitisme d’Etat. En 1941, il le distinguait de l’antisémitisme biologique des nazis : On pose bien mal la question. Il ne s’agit pas de flétrir une race. Il s’agit de garder un peuple, le peuple français, du voisinage d’un peuple, qui, d’ensemble, vit en lui comme un corps distinct de lui […]. Le sang juif alors ? Non. Ce n’est pas quelque chose d’essentiellement physique. C’est l’état historique d’un membre du peuple juif, le fait d’avoir vécu et de vivre lié à cette communauté, tantôt grandie, tantôt abaissée, toujours vivace.

Charles Maurras, il appela au meurtre des Juifs. Regarde ce qu’il écrivit à propos de Léon Blum : C’est en tant que Juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. Ce dernier verbe paraîtra un peu fort de café : je me hâte d’ajouter qu’il ne faudra abattre physiquement Blum que le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu’il rêve contre nos compagnons d’armes italiens. Ce jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer.

Charles Maurras, il s’attaqua en février 1944 au résistant Roger Stéphane-Worms. Il dénonça son père,  Pierre Worms, expliquant qu’il fallait s’attaquer aux hordes juives et appliquer la loi du talion. 5 jours plus tard, le 7 février, Pierre Worms fut retrouvé mort. Tué d’une balle dans la nuque. Par la Milice.

Certes, Charles Maurras fut condamné en 1945 par la haute cour de justice de Lyon à la réclusion à perpétuité et à la dégradation nationale, échappant de peu au peloton.

Ce sinistre individu, qu’en dis-tu, Lecteur ? Doit-on honorer officiellement les 150 ans de sa naissance ? Doit-on, comme je l’entends de ci de là, savoir distinguer l’écrivain de l’homme. L’écrivain qui fustigea ce qu’il appela les excès irrationnels du romantisme, qu’il considérait comme une forme de décadence.

Je vais avoir l’honnêteté de te dire que si tu veux aller lire Les Amants de Venise : George Sand et Musset, Quatre poèmes d’Eurydice, ou encore son Anthinéa, va y voir. Charles Maurras, il s’attira les les foudres de l’Église, mais moi, je refuse de lire celui qui pour parachever le tout salua en 1940 comme une divine surprise l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain. Celui qui, pendant l’Occupation, se fit  l’apologiste du gouvernement de Vichy et l’inspirateur de la politique de Collaboration.

Le 9 novembre 2011, Boris Cyrulnik donna au Figaro une interview[1] à propos de Maurras. Il y confia les raisons de son intérêt pour Maurras. À cause de mon enfance. Toute ma famille a été exterminée pendant la guerre de 40. J’ai moi-même été arrêté à l’âge de six ans et demi et me suis évadé au cours d’un transfert pour Auschwitz. J’avais tout de suite compris que j’allais être condamné à mort parce que j’étais juif mais je ne savais pas du tout ce que c’était qu’être juif. Mes parents ont été déportés à Auschwitz, où ils ont disparu. Après la guerre, j’ai voulu comprendre ce qui a pu se passer dans la tête des persécuteurs. […] Pourquoi un homme de cette envergure en était-il arrivé à être obsédé par les Juifs alors qu’il pouvait avoir de l’amitié et du respect pour certains d’entre eux, voilà la question qui m’a poussé à le lire […]

Quand il lui fut demandé comment il expliquait l’antisémitisme propre à Maurras, Cyrulnik répondit : Par la rencontre entre des traumatismes de son enfance et un contexte politique particulier. Le contexte personnel d’abord : enfant, Charles Maurras voulait faire l’école navale et militaire. Sa surdité […] l’en empêchera. […] C’est ici qu’intervient l’idéologie nationaliste assez particulière qu’il va forger et qui aura une grande influence sur le monde des idées en France. Très anxieux et ce d’autant plus qu’il a perdu la foi catholique, Maurras éprouve un besoin obsédant d’ordre dans un monde qu’il ressent comme menacé de dissolution […]Or les Juifs sont, depuis l’origine, des agitateurs culturels. Ils sont les inventeurs d’un monothéisme que Maurras, fasciné par la Grèce et Rome, réprouve. Qui plus est, partout où ils vont, les Juifs ont plutôt tendance à s’assimiler, ce qui les rend, aux yeux de certains nationalistes, d’autant plus redoutables. […]. Pour [beaucoup de Juifs], la France c’était le Paradis de la culture et de la liberté, en somme le pays du bonheur de vivre. […]

[…] Quand le jeune Maurras arrive à Paris […] il est choqué par les enseignes qu’il voit dans les rues avec des noms juifs ou étrangers et il éprouve le sentiment d’être lui-même ailleurs dans la capitale d’une France qu’il vénère. Personnalité obsessionnelle, il va développer une véritable passion antisémite à un moment donné où l’antisémitisme imprègne la société. Maurras, comme d’autres nationalistes, pense que les Juifs sont facteurs de désordre, de corruption et donc de mort. Il faut les combattre pour les empêcher de nuire […]

Maurras défendit bec et ongles sa doctrine d’antisémitisme d’Etat par rapport à un antisémitisme de peau, déclarant en 1937 : L’antisémitisme est un mal, si l’on entend par là cet antisémitisme de peau qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d’une amitié naturelle pour les Juifs bien nés.

Enfin, Cyrulnik nous rappelle qu’au cours de son procès en 1945, Maurras affirma avoir ignoré totalement l’existence des camps d’extermination et témoigna même d’une certaine commisération pour les malheureuses victimes. Il n’aurait jamais compris qu’il s’agissait d’un génocide.

Toi tu me dis qu’il fut reçu à l’Académie française ? C’est parce que j’étais pas là. J’rigoooole. Sache que sa  condamnation entraîna sa radiation et que son fauteuil fut déclaré vacant le 1er février 1945. Je sais : sa radiation ne fut pas votée. Il fallut attendre sa mort pour que son fauteuil fût remplacé.

Voilà. Tu t’étonnes moins du tollé que provoqua la vue de son nom dans le registre des commémorations planifiées en 2018. La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, elle a beau jeu de monter au créneau et de te répéter combien était total son rejet des thèses et de l’engagement de l’écrivain d’extrême droite. Elle tenta bien de justifier ce choix malheureux, s’appuyant sur un travail d’historiens qui recensent des anniversaires clés de l’histoire de France. Il ne s’agit évidemment pas de célébrer le penseur de l’extrême droite qu’était Maurras, mais au contraire de connaître son rôle dans l’histoire de France.

Mais au Gouvernement, y a un Monsieur antiracisme, Frédéric Potier, et lui il a demandé samedi le retrait pur et simple de Charles Maurras de ce recueil, car de retrait, elle n’en parla point, la Ministre !

Commémorer, c’est rendre hommage. Maurras, auteur antisémite d’extrême droite, apologiste du régime de Vichy, n’a pas sa place dans les commémorations nationales 2018, tweeta le préfet à la tête de la DILCRAH.

A lui, se sont joints SOS Racisme et la Licra, relayés par des protestations sur les réseaux sociaux. Ne laissons quiconque opérer une opération de réhabilitation de celles et de ceux qui, par leurs écrits et leurs actions, ont contribué à assombrir le siècle dernier, a mis en garde SOS Racisme dans un communiqué, tandis que la Licra tweetait que Charles Maurras était frappé d’indignité nationale. Il avait été condamné à la perpétuité pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi.

Bien sûr, la polémique déchaîna la haine anti-juive sur tweeter, où on put lire que Maurras était le plus grand penseur de la France du XXème siècle et l’un de ses tous meilleurs écrivains. Qu’il avait nourri la réflexion de très nombreux esprits brillants appartenant à plusieurs générations. Que François Mitterrand, Charles de Gaulle et bien d’autres avaient été inspirés par son œuvre. Que ce déni était  inconvenant. Qu’encore une fois cette Communauté avait gagné. La confrérie du tiroir-caisse, la fraternité de la pleurnicherie sonnante et trébuchante, bref le peuple élu au premier tour sans ballotage. Et patati Et patata. Certains demandant : Céline, Maurras, qui sera le prochain à subir votre censure ? Et d’autres ironisant : Allez jusqu’au bout ! Soyez courageux, demandez que l’on retire la dépouille de ce chien de Voltaire! Qui lui pour le coup était un judéophobe et un antisémite carabiné!! Chiche?

Moralité : être toujours vigilant. Monter au créneau. Ça paye : Le Ministère de la Culture fait marche arrière et va retirer la référence à l’écrivain d’extrême droite Charles Maurras dans le livre des commémorations nationales 2018, pour lever l’ambiguïté sur des malentendus qui sont de nature à diviser la société française, qu’on nous dit. Le livre est donc rappelé et sera réimprimé après retrait de la référence à Maurras. La ministre recevra très prochainement les membres du Haut-comité qui a rédigé le dit recueil afin de questionner, ensemble, la pertinence de cette démarche mémorielle conduite au nom de l’Etat par des experts. Hmmmmm. Pourquoi cette réflexion après coup.

Sache, Lecteur, que la collection Bouquins doit sortir en avril un volume rassemblant les œuvres principales et des écrits jamais réédités de Maurras, dont ses diatribes antisémites dans la presse collaborationniste.

Sache encore, pour ta gouverne, qu’en 2011 déjà, des protestations concernant Louis-Ferdinand Céline avaient conduit le Ministre de la culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, à retirer le nom de l’écrivain du calendrier des célébrations nationales. Sache encore que l’ouvrage, renommé depuis Registre des commémorations, chargé de répertorier une centaine de naissances susceptibles d’être célébrées au nom de la Nation,  est préparé par un comité d’experts présidé par l’Académicienne Danielle Sallenave et composé d’historiens : Pascal Ory, Jean-Noël Jeannenney, Claude Gauvard entre autres. Ce volume de plus de 300 pages est publié par les Éditions du Patrimoine. 10 euros.

[1] Boris Cyrulnik face à l’énigme Maurras. Par Paul-François Paoli. In Le Figaro. 9 novembre 2011.

Sarah Cattan

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2 Comments

  1. LA FRANCE, CETTE PATRIE QUI NOUS FAIT HONTE.
    JAMAIS, l’église catholique n’a vraiment voulu apaiser l’antisémitisme.
    JAMAIS, les manuels scolaires n’ont expliqué les ghettos au Moyen-Age, les pogroms lors des grands événements comme la peste noire.
    JAMAIS le monde culturel n’a vraiment prohibé les écrivains antisémites et géniteurs idéologiques de la Shoah.
    JAMAIS la France n’a vraiment reconnu de facto et dans sa pensée “Arafatienne” le droit intégral de l’état d’Israël.
    JAMAIS la France ne s’est opposée officiellement contre la haine de l’état hébreu dans les institutions internationales.
    JAMAIS le peuple français n’a aimé les “youpins”, de la bourgeoisie catholique au “barbier coiffeur” du quartier.
    C’est ainsi Sarah, vous avez raison de vous battre mais gardez vos forces …

  2. Faut calmer l’hydre islamo-maghrébine en France qui fait de plus en plus de victimes. Le Juif est bon pour reprendre du service ! D’où la volonté de rééditer Céline, Maurras, Rebatet sans oublier l’édition “critique” de Mein Kampf juste au moment où l’antisémitisme d’extrême-droite est moribond et marginal. Faut dire qu’il y a aussi un nouveau lectorat et nombreux : Hitler est un best-seller dans tous les pays musulmans…

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