Vive, pleine d’anecdotes et d’un humour décoiffant, un brin espiègle, Hannah fait partie de ces personnages que l’on croise et qui marquent.
Du haut de ses 93 printemps que ses jambes trahissent parfois, la jeune femme n’en reste pas moins allègre, bavarde et très présente. Intellectuelle, artiste et polyglotte, elle fut la première à annoncer de Londres en hébreu l’Indépendance d’Israël sur les ondes. Rencontre avec une Israélienne née en Palestine et convertie au catholicisme, une femme au destin peu banal…
Dans le quartier central de Tel-Aviv, près de Basel, Hannah nous reçoit à bras ouvert dans l’appartement où elle vit depuis six ans. Chevelure coton, boucles d’oreilles clip esprit damassé vert et or, petit foulard léopard noué au cou, Hannah n’a rien perdu de sa coquetterie. Elle prend place sur son fauteuil en tissu sur lequel est disposé un délicat travail de broderie.
Hannah est née à Jérusalem en 1924 « en Palestine » précise-t-elle avec aplomb, d’une mère également née en Terre Sainte, de parents ukrainiens parlant le Yiddish et ayant eu huit enfants. « Quand ma mère est née ici, c’était encore l’Empire turc, et le Français était communément parlé. Ma mère parlait donc parfaitement cette langue et me l’a apprise », explique-t-elle dans un Français quasi-impeccable. Fondateur de la ville de Rishon Le Zion, le grand-père maternel d’Hannah, Eliezer Schalit, était un notable du pays. Louis Weinberg, le père adoré d’Hannah, Juif Allemand, exerçait, quant à lui, la profession d’avocat. S’étant découvert une passion commune pour le sionisme avec d’autres Juifs Allemands qu’il fréquentait régulièrement, ils décidèrent en 1913 de tous partir en voyage à Tel Aviv. A son retour, le père d’Hannah exprima le souhait de s’installer en Palestine, ce qui provoqua un véritable séisme familial. « Louis aurait-il perdu la tête ? ». Aussitôt dit, aussitôt fait, la petite famille arrive en Palestine la même année. Le père d’Hannah trouve un travail, mais la guerre éclate en 1914. Etant Allemand, grand allié de la Turquie, et vivant sur cette terre alors turque, Louis rentre en Allemagne pour y devenir officier. Au même moment le grand-père maternel d’Hannah, Eliezer, tombe gravement malade. La mère d’Hannah doit donc l’emmener en Allemagne pour y subir une opération, dont il ne se réveillera malheureusement pas. Malka parvient néanmoins à se faire quelques amis, parmi lesquels la famille du père d’Hannah puis Louis Weinberg lui-même en 1916, qui confiera avoir été immédiatement séduit par la beauté de la jeune femme. « Mon père évoquait toujours le magnifique chemisier rouge qu’elle portait alors et qui lui a immédiatement tapé dans l’œil ».
Le coup de foudre puis un mariage et la naissance de deux filles, Racheli en 1918 en Allemagne à Bernburg, puis Hannah en 1924, en Palestine de l’époque, à Jérusalem. La famille déménage ensuite à Tel Aviv, où le père d’Hannah exerce comme avocat. « A l’époque, Tel Aviv était tout petit, il n’y avait qu’une seule banque, une banque anglaise », raconte Hannah avec mélancolie en évoquant les plus belles années de sa jeunesse. De belles années passées dans cette maison de style colonial du 14 rue Nahmani dans un quartier truffé de petits artisans faisant partie du quotidien familial. « Cette maison était magnifique, on aurait dit un palace : on avait des oranges, des bananes et des palmiers à l’ombre desquels je me reposais. Je garderais toujours en mémoire ces belles images ». De jolis souvenirs qui tranchent avec la tristesse des relations qu’Hannah entretient avec sa mère : « A 14 ans, j’ai dit à ma mère qu’elle ne m’aimait pas. Aujourd’hui, je suis désolée pour elle mais à l’époque j’avais sincèrement le sentiment qu’elle ne m’aimait pas. Mon père était adorable mais très faible, il était merveilleux ». Une relation douloureuse avec une Maman peu encourageante qui expliquera une thérapie de dix ans lorsqu’elle en avait trente. Hannah, l’amoureuse de la photographie, n’a d’ailleurs dans l’appartement qu’elle occupe aujourd’hui aucune photo de sa mère ; son père et ses oncles ont, en revanche, une place de prédilection sur ses murs.
Hannah revient avec un rictus de colère sur sa blessure : « Ma mère n’était pas une très bonne mère, elle a beaucoup œuvré pour détruire ma confiance en moi. Ma vie professionnelle a été un doux mélange de confusion et une succession d’échecs. Ma mère m’a découragée alors que je dessinais bien, elle me rabaissait en permanence. J’étais talentueuse en théâtre, j’ai passé un examen d’entrée dans la meilleure école d’art dramatique à Londres, j’y interprétais la Reine d’Angleterre pour le casting ! Mais j’ai échoué car elle m’a cassée. Je voulais être actrice, je chantais aussi, je chantais même très bien. Dès le plus jeune âge, je divertissais les invités », enchaîne-t-elle en entonnant un air d’Edith Piaf.
Après la deuxième guerre mondiale, Hannah s’envole donc du haut de ses vingt ans pour Londres. A défaut d’y poursuivre ses grands rêves de théâtre au Royal Academy of Dramatic Art, elle intègre la Central School of Speech and Drama, où, soyons honnêtes, elle est davantage reconnue pour son travail et sa passion que pour tout réel talent ou quelconque génie d’actrice. Elle rejoindra ensuite la célèbre BBC Radio où elle est, à l’époque, la seule à parler Hébreu. Pour la première fois « on the air », cette langue sera utilisée pour annoncer la déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël ! « Un moment fort de ma carrière », assure-t-elle avec la douce fierté qui la caractérise.
A Londres, elle reprend contact avec des membres de sa famille, dont un oncle alcoolique dont elle ignorait l’existence, et pour cause. “Oncle Max était le mouton noir de la famille, on ne m’en avait jamais parlé. Je savais vaguement que ma mère avait eu un frère jumeau”. N’ayant ni adresse ni numéro de téléphone, mais un fichu caractère obstiné, elle parvient à rentrer en contact avec lui. “Il portait ce qui autrefois devait être un vieux costume chic et un chapeau, et avançait en titubant”. Hannah apprit par la suite que le pauvre homme ne s’était jamais remis de la perte de son fils tué à la guerre. Elle développa une belle relation avec cet oncle et sa femme qui l’accueillirent généreusement chez eux. “J’avais enfin un vrai lit et des draps épais, bref de quoi surmonter les fraîches nuits d’avril”.
Maniant la langue de Shakespeare à la perfection, et sous la pression de sa mère qui veut que sa fille gagne correctement sa vie, Hannah, qui dit aurait préféré poursuivre à la radio, trouve ensuite un poste à l’ambassade américaine de Tel-Aviv, où elle s’occupe de traductions au sein du département des affaires politiques.
Ce moment coïncide avec la grande rencontre amoureuse de sa vie, un certain Winston Burdet, correspondant et chef de bureau de CBS à Rome. Alors marié mais assurant à Hannah qu’il serait bientôt libre, la vieille dame dit aujourd’hui qu’il lui a fait perdre de nombreuses années. « Au moins, j’aurai connu le vrai amour » se rassure-t-elle tout en regrettant de ne pas avoir eu d’enfant à qui transmettre cette affection. Car Hannah est une femme de cœur, d’amour et de passion, un amour débordant dont quiconque la rencontre peut attester. « Mais rassurez-vous, je ne suis pas triste et je n’ai pas pitié de moi, aujourd’hui je sens que j’ai de la force et de l’énergie, je me sens sereine par rapport aux blessures de ma vie. Je suis heureuse de celle que je suis et figurez-vous que j’ai encore un certain succès avec la gent masculine », conclue-t-elle avec un sourire complice.
Une Juive devenue Catholique
Si Hannah ressent cette paix et nous assure de cette sérénité, c’est probablement car elle a trouvé la foi, sa foi. Hannah est en effet née juive dans une famille peu pratiquante. Fréquentant régulièrement l’Eglise d’Abu Gosh près de Jérusalem où elle se lie d’amitié avec une sœur elle-même convertie à quatorze ans, Hannah découvre le Christ et, à soixante ans, demande le baptême. Elle devient ainsi catholique, un acte qu’elle garde relativement secret puisqu’une partie de sa famille n’est pas au courant. « Ils ne comprendraient pas : la conversion, pour les juifs, ça revient à vendre son âme au diable vous savez ! »
Hannah confie avoir découvert beaucoup de bon sens dans le christianisme. « Tout cela me rend heureuse, je me suis sentie proche de Dieu, j’ai comme l’impression de vivre une histoire d’amour secrète avec Jésus. C’est aussi simple que cela. C’est secret, c’est privé. Avec Lui, je me sens rassurée, je ne suis pas seule. Ce qui m’importe ce n’est ni la résurrection ni les miracles auxquels je ne crois pas vraiment, c’est plutôt ce qu’était Jésus, rien d’autre. J’ai surtout besoin de réconfort. Quand je vois la crucifixion je le sens, je me sens proche de Lui », partage-t-elle avec une authenticité touchante mêlée d’une grande pudeur.
Hannah et le roi Farouk
Hannah ne s’épanche pas davantage sur sa foi, dont elle préfère garder l’intimité. En revanche, celle qui a grandi dans un milieu intellectuel et culturel élitiste et relativement privilégié s’amuse à raconter les nombreuses anecdotes d’une vie riche en rencontres. En 1942, âge de sa majorité, Hannah se rend en Egypte pour des vacances au Caire où sa mère gère un hôtel pour expatriés. Et comme elle aime à le raconter en ne manquant jamais une occasion d’ajouter une petite touche française à ses récits anglais, elle explique : « Mother knew tout le monde of the well-to-do Jewish community ». Malka connaissait donc tout le gratin de la diaspora juive et, ayant bien en tête de trouver un riche mari à sa fille lors de ce voyage prémédité, elle avait mandaté son ami homosexuel, le Baron de Menasche, de sortir dîner avec Hannah pour qu’elle fréquente le beau monde. Chose promise, chose due, la jeune femme se retrouve attablée à la Mena House, l’hôtel le plus chic d’Egypte, voire du Moyen-Orient. Grande surprise, à quelques mètres d’eux, elle aperçoit le Roi Farouk, entouré d’un groupe d’officiers américains. Connu pour sa sensibilité aux charmes féminins, on disait de lui qu’il n’hésitait pas à ramener chez lui toute jeune femme à son goût.
« Certaines femmes n’avaient d’autre choix que d’accepter ses avances. Mais ce soir-là, il était bien trop occupé à boire des verres avec les officiers américains pour s’intéresser à moi. J’ai senti un grand soulagement de ne pas avoir dû devenir une énième proie du Monarque égyptien, et j’ose penser qu’il a peut-être malgré tout remarqué la jeune et jolie femme de la table voisine ! », ose-t-elle avec un sourire complice.
Pleine d’esprit, de verve et d’humour, Hannah relit sa vie avec fierté et sérénité. Elle dit avoir rêvé d’être photographe, peintre ou chanteuse, mais elle comble aujourd’hui cette soif artistique en continuant chaque jour à écrire des poèmes et esquisser des croquis sur son petit carnet quadrillé. Scènes du quotidien et visages expressifs emmaillés par la vie… Amoureuse des mots et de ses jeux, Hannah écrit également des nouvelles où elle y raconte sa vie. Consciente de sa valeur, elle assure : « I am a genious of detail, you know ». Génie du détail et réel talent pour la communication, une chose est sûre, Hannah est un sacré petit bout de femme pétillante et attachante, que l’on ne pourra jamais oublier.
Raphaëlle Choël
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