Beate et Serge Klarsfeld : Hitler est à nouveau un héros

Une exposition à Paris rend hommage aux luttes époux Klarsfeld qui ont permis la prise de conscience de l’horreur de la Solution finale.

Quelques photos de famille et d’animaux de compagnie jouxtent des piles de dossiers étiquetés « La rafle »« Klaus Barbie »« camp des Milles ». Les bureaux de ce bel immeuble parisien ont l’odeur des archives. Ici, les historiens Beate et Serge Klarsfeld conservent le fruit de milliers d’heures de travail sur l’Holocauste. Ils ont passé leur vie à traquer les anciens dignitaires nazis et à faire la lumière sur la déportation des juifs de France.

Une exposition leur est consacrée au Mémorial de la Shoah. « Pour plus de détails, il faut voir avec Serge. C’est lui qui a géré l’inventaire et les prêts d’artefacts », annonce d’emblée Beate. Son mari et elle sont inséparables. Indissociables presque. Si elle répond seule aux questions de Grazia, Serge n’est jamais loin. Il accourt sitôt qu’elle l’appelle pour une précision. Un couple aux destins croisés.

Cette exposition retraçant votre passé, est-ce un signe que votre combat s’achève ?

Le problème des criminels nazis est fini. Certes, en Allemagne, on identifie encore parfois un criminel. Ils sont vieux, malades. Ça devient ridicule. Il faut les traduire en justice jusqu’à la dernière minute, mais se rendent-ils encore compte qu’ils sont poursuivis ? Enfin, ces crimes contre l’humanité, imprescriptibles, servent de devoir de mémoire.

Ce devoir de mémoire est-il plus que jamais important, à l’heure où l’on remarque un regain d’antisémitisme en Europe ?

Le Front national au second tour de l’élection présidentielle française, un parti d’extrême droite qui entre au Parlement allemand : c’est incroyable, atroce. Hitler est à nouveau un héros. Les gens n’ont rien compris, ils oublient. Une petite crise et ils ne se contrôlent plus. La connaissance de l’Histoire n’empêche pas les passions humaines. Ce qui les empêche, c’est l’éducation et l’engagement.

Diriez-vous que c’est l’amour autant que la prise de conscience de la réalité historique, en 1960, qui sont à l’origine de votre engagement ?

Je suis née en 1939 en Allemagne, et pas dans une maison de résistants. Mon père était dans l’armée, forcé. Après-guerre, je vivais à Berlin. Je me doutais que quelque chose de terrible avait dû arriver mais on ne parlait pas de l’Holocauste là-bas.Les professeurs ne l’enseignaient pas. C’est quand j’ai gagné Paris comme jeune fille au pair, quand j’ai rencontré Serge, que j’ai appris ce que j’aurais dû apprendre à l’école.

Dans Mémoires , votre autobiographie à deux voix, avec votre mari, vous écrivez :« Si nous ne nous étions pas rencontrés, nous ne nous serions jamais engagés »

Nous nous complétions. J’étais une Allemande dont le peuple était responsable des 6 millions de juifs morts. Serge était un survivant, dont le papa s’était sacrifié pour sa famille. Sans me sentir coupable, j’avais une responsabilité morale et historique.Symboliquement, tout a commencé avec mon combat pour empêcher d’anciens criminels nazis de jouer un rôle dans la politique allemande. C’est pour cela que j’ai giflé le chancelier Kurt Georg Kiesinger en public, pour attirer l’attention sur cet homme. Et dénoncer son passé de criminel de guerre.

Certains s’en sont servi pour vous faire passer pour une hystérique…

La gifle a été très mal vue en Allemagne. On m’a accusée d’être une femme sexuellement insatisfaite. Mais ça a forcé les gens à parler de son passé nazi.

Cette gifle aurait pu vous priver de votre liberté, plus tard vous avez été la cible de menaces et de deux attentats. Avez-vous toujours été prête à tout sacrifier pour votre cause ?

La gifle aurait pu me coûter la vie aussi, les gardes du corps étaient armés. Je n’ai jamais pensé en termes de sacrifice. J’étais consciente des risques. On me déconseillait souvent des déplacements, comme en Argentine sous le régime des colonels. Mais il n’était pas question que je ne m’y rende pas. J’ai toujours été là où les victimes et les criminels étaient.

Que faut-il pour ne pas sombrer quand on compile des témoignages terribles, des documents qui traitent de l’horreur à l’état brut ?

Un ménage très, très, heureux. Quand on s’est mariés dans la mairie du 16e , le maire de l’époque nous a dit : « Vous êtes un couple pas ordinaire, un mariage franco-allemand, juif et non juif. De votre union, vous devez faire quelque chose d’exceptionnel. » C’est peut-être lui qui nous a donné un élan. Puis les enfants, Arno et Lida, sont arrivés, ce qui nous a apporté beaucoup de détermination et de force.

Comment avez-vous veillé à ce que ces traques ne soient pas animées par un esprit de vengeance ?

On n’a jamais agi motivés par la vengeance.On aurait transformé le criminel en martyr. La revanche, c’est un moment fugace. S’il n’y a pas d’autre moyen, pourquoi pas ? Je ne juge pas. Mais se battre pour la justice est beaucoup plus important.

N’avez-vous jamais eu l’impression que la figure historique que vous incarniez prenait le pas sur la personne ?

C’est un poids agréable à porter.

Avec le recul, de quoi êtes-vous la plus fière ?

Regardez les dictionnaires : on est dedans, Serge et moi. Moi, petite Allemande arrivée en 60 à Paris, je n’aurais jamais imaginé qu’un jour j’aurais fait autant pour mon pays. Pour que l’Allemagne soit d’une façon en paix avec son passé.

« Beate et Serge Klarsfeld, les combats de la mémoire (1968-1978) », jusqu’au 29 avril au Mémorial de la Shoah, Paris 4e.

Propos recueillis par Caroline Lumet 

Source Grazia

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