Antisémitisme, islamophobie, etc. Élisabeth Badinter réagit au sondage publié par « Le Point » qui témoigne de la montée des préjugés en France.
Le Point : Que vous inspire le niveau élevé d’adhésion, au sein de toute la société française, aux préjugés antisémites ?
Élisabeth Badinter : Il me surprend énormément et me déçoit. Quelle étrange contradiction… Les juifs sont perçus comme parfaitement intégrés, le sondage le montre bien, et en même temps ces vieux préjugés sur leur argent, leur pouvoir, leur omniprésence supposés dans les médias perdurent. Comme s’il n’y avait pas, sur les 500 000 Juifs de France, des riches et des pauvres, des individus habitant aussi, évidemment, dans des banlieues déshéritées.
Comment interpréter l’indifférence avec laquelle une large majorité de Français considère le départ, par crainte de l’antisémitisme, d’un certain nombre de juifs de France ?
E.B. :Voyez-vous les Français manifester quand des meurtres à caractère antisémite comme ceux d’Ilan Halimi et, plus récemment, de Sarah Halimi sont commis ou quand une famille juive est agressée à Livry-Gargan ? Lorsque les profanations de Carpentras ont eu lieu, la France était dans la rue, parce que l’antisémitisme qui se manifestait était présumé venir de l’extrême droite. Mais quand ceux qui se revendiquent musulmans assassinent des juifs, cela n’appelle aucune réaction populaire. Comme si les Français non juifs n’étaient pas vraiment concernés, qu’il ne s’agissait là que de l’exportation du conflit israélo-palestinien et qu’il était préférable de ne pas s’en mêler.
Le sondage démontre que c’est auprès des sympathisants d’extrême gauche que l’on trouve la critique la plus virulente de l’État d’Israël, mais que c’est aussi chez eux que les préjugés antisémites sont le moins répandus.
E.B. : L’antisémitisme, depuis la guerre, est tout de même difficile à exprimer ouvertement, surtout lorsqu’on est un sympathisant de gauche. Je crois que, pour une extrême gauche, certes, très minoritaire, mais très active et bruyante, l’antisionisme est une façon de libérer la parole antisémite. J’ajouterai qu’en refusant de voir et de nommer l’antisémitisme avéré d’une frange de la population musulmane, cette extrême gauche s’en rend complice. À titre d’illustration, je citerai le cas de Mehdi Meklat, aux propos violemment antisémites sur le Bondy Blog et dont une partie des médias s’est empressée de minimiser la faute.
Le sondage montre globalement une crispation très nette de la population, depuis trois ans, à l’égard des musulmans.
E.B. : Sauf dans les relations quotidiennes, qui, lorsqu’elles ont lieu, comme le montre ce sondage, se passent sans difficulté. C’est la perception générale qui se modifie. Dans le village où je vis une partie du temps, jamais aucune tension intercommunautaire ne s’était fait sentir, mais l’assassinat du père Hamel a altéré la confiance. Les gens se sont dit que c’était possible ici aussi. L’inquiétude a grandi depuis les attentats ; comment pourrait-il en être autrement ? Je persiste malgré tout à penser que les Français se sont dans leur ensemble comportés de manière exemplaire.
Propos recueillis par Violaine de Montclos
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