Arrivé en Israël à l’âge de 5 ans avec ses parents juifs éthiopiens, le chanteur a su renouer avec sa langue maternelle et la musique de ses aînés pour prêcher une meilleure visibilité des réfugiés de la Corne de l’Afrique. Il présente son premier album d’éthio-jazz aux Transmusicales de Rennes.
C’est qu’Israël veut aujourd’hui mettre en avant les trajectoires de ces juifs d’Afrique, une communauté d’environ 120 000 personnes encore couramment appelées falashas. Un terme péjoratif, qui se traduit de l’éthiopien par quelque chose entre «immigrés» et «métèques», quand les intéressés préfèrent se définir comme les Beta Israël. Dans une société divisée autour du double clivage religieux-laïc et ashkénaze-mizrahi («orientaux»), les Noirs israéliens ont longtemps été – au mieux – relégués à l’arrière-plan, jusqu’à ce qu’une série de brutalités policières n’entraînent une spectaculaire révolte de ces derniers au printemps 2015, révélant ce que le président Reuven Rivlin a qualifié de «plaie ouverte». Et loin d’être refermée.
Toute sa jeunesse, Yalo a voulu être «un vrai Israélien» : «Je ne voulais pas entendre parler amharique à la maison ni écouter la musique de ma mère. Je rejetais les racines africaines pour embrasser la culture occidentale, ou du moins l’idée que je m’en faisais». Jusqu’à ce qu’un jour, il trouve dans la rue une cassette audio d’un best-of de Bob Marley. Le destin. C’est décidé, il sera chanteur de reggae. Mais pas tout de suite. Après l’armée, il tombe dans «cette mentalité matérialiste, typique de la deuxième génération d’immigrés, regrette-t-il. « Fuck music, I want money », voilà comment je pensais.» Avec trois amis, il débarque alors à Tel-Aviv et ouvre un club à la mode américaine – «la skyline de Manhattan sur les murs, une piscine intérieure qu’on avait construite nous-mêmes…» Ça marche du tonnerre. «On se prenait pour Tupac, Biggie, Snoop… C’était les seuls modèles noirs qu’on avait, ceux qu’on voyait sur MTV.» Vide existentiel et tiraillement identitaire s’installent. «Pour passer le temps», il fonde un groupe de reggae-ragga, le Zvuloon Dub System, et devient un personnage incontournable de la scène locale.
«Crier pour exister»
Le réveil politique et artistique survient en 2013. Le conseil municipal de la ville Kiryat Malachi passe un deal avec les bailleurs locaux pour ne pas louer aux juifs éthiopiens, jugés indésirables. Le scandale fait enrager Yalo, qui se replonge dans ses racines comme on sort d’un coma. Il réapprend l’amharique, qu’il décide de mêler à son reggae.«Pas évident, car c’est une langue nerveuse, rythmée, qui ne colle pas forcément à la langueur du reggae. Mais les gens ont adoré.» Il embrasse enfin sa vocation, commence à faire du crate digging dans les vinyles d’éthio-jazz, réécoute les cassettes de musique traditionnelle de sa mère, achète une guitare et apprend les accords de base pour composer ses propres titres. Surtout, il décide de vivre selon le mantra de Fela Kuti : «The secret of life is to have no fear» («le secret de la vie est de n’avoir aucune peur»).
Uri Brauner Kinrot, producteur dans tous les bons coups à Tel-Aviv et guitariste orientalo-balkanique, s’empare des compositions de Yalo. Il injecte coulées de Korg acides, guitares wah-wah ensablées et volutes de cuivres, qui donnent à l’album ce son léché et psyché, «tout sauf folklorique, de la fusion, mais pas dans le sens jazz du terme»,insiste l’intéressé, attablé au Port Saïd. Ce son, qui est aussi largement celui d’Ester Rada, cartonne en Israël mais aussi en Europe de l’Est – Yalo garde le souvenir hébété d’une ovation reçu à Cracovie, en Pologne. «Trente ans plus tard, le monde découvre notre existence, dit-il. La génération de mes parents, avec leur culture de la discrétion, n’a pas su s’imposer dans une société aussi dure qu’Israël. Ici, il faut crier pour exister. Ma génération l’a fait. Maintenant, on voit des Noirs dans les pubs télé, on nous entend à la radio. C’est cosmétique, mais le changement commence là.» Uri Brauner Kinrot : «On est une nation d’immigrants qui redécouvre ses racines. En même temps, on refuse d’être définis par notre nationalité – Israéliens – sans en avoir honte pour autant. C’est pour ça que notre son commence à sortir de nos frontières.» Il cite des gens aussi différents qu’Asaf Avidan ou Noga Erez. Gili Yalo : «Internet nous a beaucoup aidés. Quelque part, le monde rétrécit. Malgré tout ce qui arrive, c’est une chose merveilleuse à contempler.» Pour filmer le clip de son premier single, l’entêtant Selam, il est retourné pour la première fois en Ethiopie. «Finalement, ce qui m’a le plus marqué, c’est le fait de ne plus voir de Blancs. J’ai dit à mon équipe de tournage : « Voilà, maintenant vous comprenez ce que je vis en Israël. Mais c’est OK. »»
Extrait de Libération , article de Guillaume Gendron Photo Olivier FitoussiGili Yalo Gili Yalo (Dead Sea Recordings). En concert les 8 et 9 décembre aux Transmusicales, Rennes (35). Rens. : www.lestrans.com
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