Question : Cher Rav, les œufs de poisson, tels que la boutargue (œufs de mulet) ou les œufs de saumon, ont-ils statut de poisson, avec à la clé les deux questions subsidiaires suivantes : peut-on s’acquitter de la Mitsva de Oneg Chabbat impliquant la consommation de poisson en le remplaçant par de la boutargue, par exemple ? Et, d’autre part, est-on autorisé à les consommer avec de la viande ?
Réponse :
Commençons par aborder votre question en rapport avec le Oneg Chabbat. S’il nous est demandé de consommer du poisson durant Chabbat, c’est afin de nous procurer une source de plaisir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Halakha stipule qu’une personne n’aimant pas le poisson est totalement dispensée d’en manger durant Chabbat. Il me semble donc évident, si vous préférez la boutargue à du poisson ordinaire, que vous pouvez vous acquitter de la Mitsva de Oneg Chabbat en en consommant quelques tranches. Vous aurez donc compris que cette question n’est en rien liée à celle du statut des œufs de poisson que nous allons aborder à présent.
Il me semble qu’il n’est absolument pas évident que le statut de l’œuf soit identique à celui de l’animal duquel il provient. Le fait, par exemple, qu’il soit permis de consommer l’œuf de poule avec du lait démontre de manière fort claire, qu’au contraire de la poule, son œuf n’a pas statut d’aliment carné. Il convient cependant de se montrer prudent et de ne pas déduire forcément l’autorisation de consommer des œufs de poisson avec de la viande de celle qui nous est donnée de manger de l’œuf de poule avec du lait. Il est possible en effet d’établir une distinction importante entre ces deux cas de figure. Tandis que le mélange lait-viande relève de l’interdit pur et simple, l’interdiction de consommer un mélange poisson-viande relève quant à elle d’une mesure relative à la santé, les Sages étant d’avis qu’un tel mélange est dangereux (cf. Traité Pessa’him 76). Il est par conséquent possible que le mélange viande-œufs de poisson soit lui aussi dangereux pour la santé, et ce bien que ceux-ci n’aient pas statut de poisson.
C’est dans ce sens que s’exprime le Knésset Haguédola (Yoré Déa chap. 87 Hagahot Beth Yossef § 43) lorsqu’il stipule très clairement qu’il est interdit de consommer des œufs de poisson qui ont été mis à saler dans une peau d’animal, fût-il Cacher, car en ce cas ils se seront imprégnés du goût de la viande résiduelle attachée à la peau, ce qui constitue un mélange dangereux pour la santé. Nous pouvons en déduire qu’il sera a fortiori selon lui interdit lorsqu’ils auront cuit avec de la viande.
Pour sa part, le Halakhot Kétanot (‘Haguiz tome 2 chap. 10) rapporte avoir vu de nombreuses personnes consommer de la « Boutargo » (sic) au milieu d’un repas carné, et tente de légitimer cette coutume en expliquant d’une part « qu’il semblerait » que les œufs de poisson ne soient pas concernés par le danger précité, et en s’appuyant d’autre part sur l’autorisation de consommer des œufs de poule avec du lait pour démontrer que les œufs de poisson n’ont pas statut de poisson et qu’il serait donc permis de les consommer avec de la viande. Cependant, il est clair pour qui sait lire entre les lignes que l’auteur cherche ici à justifier a posteriori une coutume dont le bienfondé reste à prouver.
Je vous invite donc, compte tenu du principe selon lequel ce qui est dangereux pour la santé est plus prohibé que ce qui est interdit, à faire de votre mieux pour appliquer aux œufs de poisson les règles ordinaires régissant le mélange poisson-viande, et tout au moins de ne pas les manger vraiment ensemble.
Notez enfin qu’en ce qui concerne le mélange œufs de poisson-lait, il est possible de se montrer plus souple, principalement en raison du fait que nombre de décisionnaires autorisent même sans restriction aucune le mélange poisson-lait.
Rav Azriel Cohen-Arazi
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