Ramadan s’est adressé à Marc Bonnant et à Yaël Hayat pour attaquer les jeunes femmes qui l’accusent d’avoir profité de sa position d’enseignant afin d’abuser d’elles. La tâche s’annonce compliquée.

En 2006, ils s’étaient affrontés sur le plateau d’Infrarouge au sujet des caricatures de Mahomet. Aujourd’hui, Tariq Ramadan appelle Marc Bonnant à la rescousse afin de contrer la déferlante de témoignages anonymes le dépeignant comme un serial prédateur de jeunes élèves du temps où il était professeur au collège. La situation ne manque pas d’ironie, sachant que l’avocat genevois s’est régulièrement distingué par sa critique de l’islam conquérant et prosélyte et par l’affirmation, encore récente, que la peur de cette religion est «légitime et salutaire».
Gravité contestée
Tariq Ramadan ne tient visiblement pas rigueur à celui qui appelait, après les attentats de Paris, les trop naïfs Occidentaux, tout à leur idéal du vivre ensemble, à «désigner l’ennemi». Et Marc Bonnant ne voit pour sa part aucune contradiction à accepter ce mandat: «Ce n’est pas le théologien ou le théoricien que je défends mais l’homme à qui certains imputent des comportements inadmissibles.»
Référence est faite aux récits de quatre anciennes élèves, recueillis par la Tribune de Genève. Ces femmes dépeignent toutes un professeur séducteur et manipulateur, parvenant à ses fins grâce à son emprise, n’ayant pas hésité à tenter une approche avec la plus jeune, élève de 14 ans, alors qu’il enseignait encore au cycle d’orientation, et à entretenir des relations sexuelles avec les trois autres de 15, 17 et 18 ans, qui fréquentaient le collège.
«Tariq Ramadan conteste catégoriquement avoir eu un comportement pénalement répréhensible avec une quelconque de ses élèves», déclare Me Bonnant. L’avocat doit prochainement rencontrer son nouveau client pour élaborer une stratégie mais la perspective d’une plainte en calomnie ou en diffamation contre ces inconnues – et a priori pas contre le média – semble déjà acquise. Dans «un souci de vérité», ajoute Me Bonnant, Tariq Ramadan va saisir la justice afin de débusquer les protagonistes et comprendre leurs motivations. «On ne peut pas à la fois contester ces accusations et ne pas souhaiter que les soi-disant victimes s’expliquent.»
Bataille médiatique
L’islamologue suisse, mis en congé «d’un commun accord» par l’Université d’Oxford suite à ces allégations, s’est également adressé à Me Yaël Hayat pour mener cette contre-attaque. Avec deux ténors du barreau à ses côtés, qui plus est une femme et un «adversaire idéologique», Tariq Ramadan espère marquer des points dans une bataille qui sera aussi médiatique. Le combat s’annonce très difficile en raison de l’inflation dénonciatrice née de l’affaire Weinstein, de l’anonymat des accusatrices, de l’absence de plaintes de leur part et de l’apparente prescription des faits évoqués. Contrairement à la France, où la justice est saisie du cas Ramadan par deux femmes à visage découvert et se disant victimes d’agression sexuelle, rien de tel à Genève. Du moins pour le moment.
Aux yeux de Me Hayat, cette situation est particulièrement problématique: «L’accusation par voie de presse, masquée de surcroît, est pire que tout. Ce qui me fâche, c’est la place laissée à la présomption d’innocence dans ce mouvement de parole qui se répand publiquement. Est-ce qu’il libère ou est-ce qu’il vise plutôt à enfermer un individu livré en pâture? La démarche est très malsaine. Ces personnes contournent la justice et ses principes pour choisir un mode où on accuse librement, on condamne, on exécute. Sans appel. Avec des conséquences parfois irréparables. C’est une défiance intolérable à l’égard de la justice, qui désormais doit être saisie.»
Impasses prévisibles
Difficile de prédire ce que peut donner cette affaire sur le plan judiciaire. Une plainte en diffamation contre inconnu se heurtera très rapidement à un mur si les dénonciatrices ne veulent pas sortir du bois et que le quotidien respecte logiquement le secret des sources. Quant à l’ouverture d’une enquête par le Ministère public, ne serait-ce que pour constater la prescription des crimes sexuels attribués à Tariq Ramadan, la voie paraît assez impraticable sans les dépositions de ces mêmes anciennes élèves. C’est l’impasse de l’anonymat.