Le scénario d’une intervention militaire israélienne apparaît aujourd’hui plausible. Mais reste à savoir où et quand…
Cela fait plus de six ans qu’Israël regarde les grandes puissances du Moyen-Orient s’entredéchirer sans pour autant participer à la danse de mort. Certes, l’État hébreu est intervenu plus « d’une centaine de fois en Syrie depuis 2012 », selon le ministre israélien de la Défense Avigdor Liberman, en visant principalement des convois d’armes destinés au Hezbollah. Il a également mené une opération d’envergure, durant l’été 2014, dans la bande de Gaza pour casser le bras armé du Hamas.
Mais contrairement à l’Arabie saoudite, à l’Iran, à la Turquie, ou encore au Qatar, il n’a pas été un acteur de premier plan dans la reconfiguration géopolitique de l’ordre régional qui se joue depuis 2011. L’État hébreu a plutôt alterné entre une position de spectateur aussi attentif que concerné, et une autre d’acteur, susceptible d’intervenir à tout moment pour protéger ses intérêts, sans pour autant bouleverser la donne.
La lecture israélienne des événements a été jusqu’ici plutôt pragmatique : le chaos régional ne le concernait pas à partir du moment où il ne débordait pas sur son territoire et, surtout, qu’il ne renforçait pas l’axe iranien. En Syrie, Israël voyait d’un bon œil le maintien d’un régime Assad affaibli. Mais il n’avait sans doute pas prévu que cette situation profiterait essentiellement à ses ennemis, l’Iran et le Hezbollah, désormais en position d’ouvrir un second front contre l’État hébreu, à partir du Sud syrien.
Israël se mord peut-être aujourd’hui les doigts d’avoir été relativement passif ces dernières années sur la scène régionale. Car si le nouveau Moyen-Orient post-État islamique (EI) n’est pas encore complètement dessiné, force est de constater que ce sont ses principaux ennemis qui ont renforcé leur position au Liban, en Syrie et en Irak au cours de ces dernières années.
La République islamique a étendu ses tentacules via la présence de plusieurs dizaines de milliers de miliciens chiites qui lui ont voué allégeance et qui sont capables de se déplacer d’un territoire à l’autre. L’Iran est dans le même temps sorti de son isolement international en concluant l’accord nucléaire avec les 5+1 (États-Unis, Russie, Iran, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) en juillet 2015, au grand dam de Benjamin Netanyahu qui considère que ce texte permet à l’Iran de se renforcer sans pour autant compromettre ses plans de développer un arsenal nucléaire.
Mais il y a pire encore pour l’État hébreu, avec le renforcement de celui qu’il considère comme la principale menace à sa sécurité : le Hezbollah. Le parti de Hassan Nasrallah n’a jamais été aussi fort, même s’il a perdu une grande partie de son crédit politique dans le monde sunnite et plusieurs milliers d’hommes dans la guerre en Syrie. Le Hezbollah disposerait aujourd’hui de plus de 100 000 roquettes selon les experts, alors qu’il en avait une dizaine de milliers lors du précédent conflit en 2006. Mais le parti chiite a surtout acquis une nouvelle expertise du combat urbain, du fait de son intervention en Syrie, où il a dû affronter de multiples mouvements miliciens et où il a combattu aux côtés des pasdaran, des Russes et de l’armée syrienne. En cinq ans, le Hezbollah est devenu un véritable acteur régional, capable de se déplacer rapidement du Liban à l’Irak, et jusqu’au Yémen.
Israël peut-il alors se permettre de continuer de rester passif quand ses principaux ennemis qui le menacent régulièrement ne cessent de se renforcer ? L’État hébreu n’est-il pas tenté d’intervenir sinon pour anéantir ses adversaires, du moins pour les affaiblir considérablement ?
Feux verts
La question est plus que jamais d’actualité. D’autant que tous les voyants sont au vert. Les États-Unis de Donald Trump considèrent les ingérences de la République islamique comme la principale source de déstabilisation pour la région. Le locataire du Bureau ovale considère que l’accord nucléaire avec l’Iran est le « pire deal de l’histoire », et ne cache pas sa volonté de faire rentrer Téhéran dans le rang, sans toutefois développer une stratégie lisible pour parvenir à ce but.
Donald Trump a déjà clairement rompu avec la politique de son prédécesseur dans la région, en réaffirmant le soutien américain aux deux alliés traditionnels de l’Oncle Sam au Moyen-Orient : Israël et l’Arabie saoudite. Les deux étant animés par une même volonté d’en découdre avec l’Iran pour mettre fin à son expansion au Moyen-Orient. Et c’est ce qui change complètement la donne. Autant l’administration Obama essayait de contenir, autant que faire se peut, les velléités israéliennes, tout en restant sourde aux préoccupations saoudiennes. Autant l’administration Trump apparaît prête à soutenir ses deux alliés dans toute opération susceptible d’endiguer l’influence iranienne dans la région.
Pour Israël, le feu vert américain est capital, même s’il l’a quelquefois occulté. Mais l’État hébreu profite surtout d’un alignement des axes qui le rapproche, plus que jamais, des pays arabes. « Lorsque les Israéliens et les Arabes sont d’accord sur une chose, il faut que le monde soit attentif », a rappelé dimanche Benjamin Netanyahu. Autrement dit : en cas d’intervention israélienne contre le Hezbollah, les pays arabes resteront silencieux. Ce qui, d’un point de vue diplomatique et psychologique, est loin d’être négligeable.
Reste à savoir où se mènera cette guerre, si toutefois elle a lieu. Deux options sont aujourd’hui possibles. Tout d’abord dans le Sud syrien, où Israël a dit à plusieurs reprises qu’elle ne laisserait pas le Hezbollah et l’Iran s’implanter. L’État hébreu a multiplié ces derniers mois les rencontres diplomatiques avec Moscou, l’autre parrain de Damas, pour le convaincre d’empêcher les Iraniens et leurs obligés de s’aventurer dans le Sud. Israël semble encore penser qu’il est possible de convaincre Moscou de prendre ses distances avec Téhéran, du fait de leurs divergences d’intérêts sur la scène syrienne et régionale. Mais rien n’indique, pour l’instant, que Moscou soit prêt à remettre en question son alliance avec l’Iran en Syrie, malgré une méfiance historique réciproque entre la Russie et l’Iran.
Couper les mains
Une intervention israélienne dans ce contexte serait assez risquée. Cela pourrait permettre de créer une zone de sécurité dans le Sud syrien, et de couper une partie de l’autoroute chiite, qui relie Téhéran à la Méditerranée en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban. Mais compte tenu du nombre d’acteurs extérieurs impliqués sur le terrain syrien – Russie, Iran, Turquie, États-Unis – cela renforcerait surtout les risques d’escalade militaire. À moins que les lignes de démarcation soient clairement décidées à l’avance. À moins, donc, d’un accord avec Moscou.
Si elle n’a pas lieu en Syrie, l’intervention israélienne ne peut avoir lieu qu’au Liban. Mais l’État hébreu voudra probablement éviter de répéter le scénario de 2006 et mettra cette fois-ci toutes ses forces dans la bataille pour essayer d’en finir une fois pour toutes avec le Hezbollah. Un scénario encore une fois risqué, qui devrait impliquer une intervention terrestre significative et un engagement dans la durée.
Benjamin Netanyahu pourrait être tenté de profiter de ce contexte exceptionnel pour essayer, enfin, de couper les mains de ses ennemis. Riyad en rêve. Saad Hariri, probablement sous la pression saoudienne, n’a pas dit autre chose pour justifier sa démission samedi après-midi. Mais le royaume wahhabite semble oublier que l’État hébreu n’est pas du genre à faire la guerre pour les autres. S’il y a conflit, c’est bien lui, et lui seul, qui décidera où et quand.
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