Comment l’antisionisme est devenu le nouvel antisémitisme

L’antisionisme se présente comme une forme à la fois ancienne et nouvelle d’antisémitisme.

Le 2 novembre 1917, Arthur Balfour, ministre des Affaires étrangères de Grande-Bretagne qui avait alors un mandat sur la Palestine, écrivit une lettre ouverte adressée à Lionel Walter Rothschild, membre éminent de la communauté juive britannique, lui annonçant que son gouvernement était favorable à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Cette lettre, connue désormais sous l’appellation de la Déclaration Balfour, constitue comme le sous-bassement juridique de la présence juive de fait de longue date en Palestine, renforcée à l’époque par un mouvement migratoire important de Juifs d’Europe, notamment victimes de pogroms à l’Est, vers cette région où ils achetèrent légalement des terres. Cette année 2017 du centenaire de la Déclaration, Theresa May a annoncé qu’elle célébrera « avec fierté » cet événement historique. Le leader du Parti Travailliste Jeremy Corbyn quant à lui, a fait savoir qu’il n’assistera pas au dîner officiel marquant la commémoration.

Le refus de Jeremy Corbyn de commémorer les 100 ans de la Déclaration Balfour vient en écho à la déclaration de l’Autorité palestinienne qualifiant la Déclaration de « tragédie », et celle du Secrétaire général de l’OLP affirmant que « les Palestiniens ont besoin que le Royaume-Uni reconnaisse d’abord et avant tout sa responsabilité historique et présente ses excuses » (tribune dans le magazine Newsweek). L' »antisionisme » de Jeremy Corbyn, revendiqué à de nombreuses reprises depuis son arrivée à la tête du Parti Travailliste, n’est donc, manifestement, que le rejet obstiné de l’existence même de l’Etat d’Israël dont l’origine juridique, avant sa création le 29 novembre 1947 par le vote de l’ONU a en effet été posée par la reconnaissance du « foyer national juif en Palestine » au début du 20ème siècle.

Qu’il avance masqué par la critique (recevable au demeurant) des implantations illégales récentes réalisées par des extrémistes israéliens et/ou de la politique droitière de Benjamin Netanyahou, le dit antisionisme consiste bien en fait, dans la négation radicale d’un quelconque droit pour les Juifs à posséder un Etat. Et la ritournelle de la revendication des « deux Etats » n’est chez les antisionistes qu’un faux-semblant eu égard au refus de sa mise en œuvre concrète, réitéré au moins trois fois depuis 1947 par les parties arabes en présence.

Or, cette négation de la légitimité d’Israël à exister exprime plus profondément une haine des Juifs: pourquoi ceux-ci ne mériteraient-il pas d’avoir un Etat? sinon parce qu’ils devraient être punis pour leurs supposés crimes et réduits de ce fait au statut de paria apatride ou de dhimi (sujet inférieur du califat puis de l’empire ottoman, soumis à des taxes, obligations et interdits spécifiques du fait de sa non appartenance à la communauté musulmane). L’antisionisme contemporain articule en effet plusieurs types de judéophobie exprimés depuis le moyen-âge jusqu’aux temps modernes, notamment un antijudaïsme religieux, une critique anticapitaliste, anti-impérialiste et anticoloniale, et une idéologie complotiste dont l’archétype est posé par Les protocoles des sages de Sion (ouvrage fantasmatique produit en 1901 par des agents russes sous le tsar Nicolas II, réédité régulièrement depuis malgré son statut de faux avéré, et auquel la charte du Hamas fait explicitement référence à son article 32).

L’antisionisme se présente donc comme une forme à la fois ancienne et nouvelle d’antisémitisme : ancienne parce qu’il recycle de vieux discours anti-Juifs, nouvelle parce désormais centrée sur la confrontation avec le monde arabo-musulman et le conflit israélo-palestinien, l’Etat d’Israël étant accusé de tous les maux et en premier lieu de mettre en œuvre « une guerre d’extermination du peuple palestinien ». Tandis que par le passé, l’antisémitisme racial opposait dans une lutte à mort, la « race pure », blanche, arienne ou germanique aux Juifs caractérisés négativement comme métissées, métèques, orientaux, l’antisémitisme antisioniste tend aujourd’hui à confondre Juifs et Israéliens eux-mêmes assimilés au dominateur blanc, au colonialiste, au capitaliste impérialiste, à l’occidental.

Articulé étroitement à la défense de la « cause palestinienne« , l’antisémitisme antisioniste construit une chaîne d’identifications, du Palestinien à l’Arabe, au musulman, à l’immigré, à l’ex-colonisé prétendument néo-colonisé. Cette nouvelle judéo-phobie anti-israélienne articule alors antisémitisme et racisme anti-blanc: le Juif étant considéré comme un suppôt de l’impérialisme américain, un colonialiste, ancien supplétif des colons français, nouveau « colon » des « territoires occupés », capitaliste, mondialiste, super-blanc en somme. Et de part son assignation à une position anti-arabe et anti-musulmane, le Juif est renvoyé à cet ennemi principal du musulman désigné à la vindicte du « bon croyant » par nombre de versets du Coran (« une telle vie ne le sauvera pas de la punition », « Ce sont ceux-là les pires ennemis ») et de passages des hadiths (« Vous combattrez les juifs », « Périssent les juifs et les chrétiens. Il n’y aura pas deux religions en Arabie »).

Or ce « nouvel antisémitisme » qu’est l’antisionisme, est devenu l’un des piliers idéologiques non seulement des islamistes à l’offensive, mais aussi de la gauche radicale: des pro-palestiniens maoïstes arborant le keffieh dès les années 70 aux justiciers de Nuit debout faisant une large place au stand anti-Israël BDS (« Boycott, Désinvestissement, Sanctions ») et aux élus de la France insoumise défendant les islamistes comme autant de « nouveaux damnés de la terre ». Les néo-féministes puritaines ne sont pas en reste quant à elles, contre le « mâle blanc » harceleur et violeur par définition, allant parfois jusqu’à défendre le port du voile au motif que la libération des femmes aurait été promue par des occidentales de puissances colonialistes. Et comment ne pas soupçonner des relents d’antisémitisme jusque dans l’acharnement à faire condamner Dominique Strauss Kahn ou Roman Polanski par la justice populaire de rue et des réseaux sociaux, comme tous les « porcs » (animal honni auquel les musulmans assimilent souvent les Juifs d’ailleurs)…

La « convergence » entre un antisémitisme de gauche originel (anticapitaliste et anti-impérialiste), un antisémitisme traditionnel musulman (ennemi religieux) et un néo-populisme nationaliste anti-mondialisation (on aurait dit autrefois « cosmopolite »), trouve son assomption dans l’antisionisme. La « question juive » formulée aujourd’hui autour de l’existence de l’État d’Israël fait en effet partie intégrante du discours contre l’impérialisme américain, le néocolonialisme occidental et les élites mondialisées, qui est au cœur de la mobilisation populiste. La revendication justicialiste vécue sur le mode de la revanche, de la vengeance populaire, de la libération de la domination qu’exercent les élites, est alors fantasmée comme une décolonisation et le racisme anti-blanc est ainsi justifié au même titre que l’antisémitisme antisioniste.

Renée Fregosi

Philosophe et politologue française. Directrice de recherche en Science politique à l’Université Paris-Sorbonne-Nouvelle, elle a récemment publié Les nouveaux autoritaires. Justiciers, censeurs et autocrates (éd. du Moment 2016)

Source huffingtonpost

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1 Comment

  1. Quels que soient les oripeaux sous lesquels il se dissimule, l’antisionisme fédère aujourd’hui tous les antisémitismes. C’est bonnet blanc et blanc bonnet, comme on disait jadis.

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