Après les deux plaintes pour viol déposées contre l’islamologue, les institutions, les associations et les personnalités de la communauté restent silencieuses.
Les institutions, associations et acteurs musulmans ont été remarquablement discrets depuis l’annonce du dépôt de la première plainte pour viol et agression sexuelle contre l’islamologue Tariq Ramadan, le 20 octobre. « Il y a eu une stupeur, une sidération » après les plaintes déposées par deux femmes et les récits qu’elles ont livrés de leur agression, résume Saïd Branine, directeur d’Oumma, le seul site musulman d’information à en avoir rendu compte, dès le 20 octobre. « Si les faits sont avérés, cela va être un tremblement de terre », observe le sociologue et intellectuel musulman Omero Marongiu-Perria.
L’embarras est flagrant du côté des dirigeants de l’ex-Union des organisations islamiques de France, aujourd’hui nommée Musulmans de France. Depuis des années – à l’exception de 2017 –, le prédicateur était l’un des orateurs vedettes du Salon annuel organisé au Bourget (Seine-Saint-Denis) par cette fédération dans la mouvance des Frères musulmans, remplissant immanquablement le chapiteau qui lui était dévolu. Son président, Amar Lasfar, n’a pas réagi.
« Pas d’intérêt aujourd’hui à en parler »
Contacté samedi 28 octobre, Ahmet Ogras, le président du Conseil français du culte musulman, l’organisme chargé de représenter le culte musulman auprès des pouvoirs publics, a estimé pour sa part que cette affaire « n’est pas une priorité des musulmans de France ni des Français » et qu’« il n’y a pas d’intérêt aujourd’hui à en parler ». « S’il y a quelque chose de plus sérieux au plan juridique, on verra », a-t-il ajouté.
Ce malaise, souligne Saïd Branine, tient d’abord au fait que beaucoup de ces acteurs, qu’ils soient associatifs ou religieux, « connaissent personnellement ou ont été en relation avec Tariq Ramadan » à un moment donné de leur parcours, notamment parce qu’ils ont eu recours à lui comme conférencier. Il tient aussi au discours même de Tariq Ramadan, « qui renvoie à la pudeur, à l’éthique islamique », complète le journaliste.
« Les leaders religieux musulmans bâtissent toute une partie de leur discours sur la notion de pureté, confirme Omero Marongiu-Perria. Si ces accusations étaient avérées, elles briseraient la façon dont des musulmans se structurent dans leur rapport à la religion. On comprend que cela déstabilise et que certains cherchent un exutoire dans la calomnie et la thèse du complot. »
Cette thèse, Tariq Ramadan l’a lui-même nourrie en écrivant samedi, sur sa page Facebook : « Je suis depuis plusieurs jours la cible d’une campagne de calomnie qui fédère assez limpidement mes ennemis de toujours. » Il a annoncé le dépôt dans les prochains jours d’une nouvelle plainte « puisque [s]es adversaires ont enclenché la machine à mensonges ».
« La logique qui prévaut est celle de l’omerta »
Omero Marongiu-Perria ajoute que le discours proprement religieux qui s’esquisse autour de cette affaire « ne facilite pas la prise de parole des femmes ». Vendredi 27 octobre, par exemple, un imam de Roubaix, Abdelmonaim Boussenna, tout en jugeant « inacceptable » d’insulter les femmes qui ont porté plainte contre Tariq Ramadan, a rapproché ces plaintes aux calomnies faites sur le compte d’Aïcha, l’une des épouses du Prophète de l’islam, comme le montre une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
« Cette rhétorique s’inscrit sur fond de menace eschatologique, de menace d’excommunication du groupe, estime Omero Marrongiu-Perria. La logique qui prévaut est celle de l’omerta. »Le second témoignage évoqué par Le Monde et Le Parisien samedi a cependant ébranlé ce mur de silence. « On sent un début de frémissement, note Saïd Branine. Le silence n’est pas tenable. Mais c’est encore très difficile. »
Des groupes féministes pourraient ouvrir une brèche. L’association Lallab annonce un texte pour cette semaine. « Les derniers jours ont été particulièrement difficiles car beaucoup d’entre nous sont ou ont été touchées par des agressions sexistes, explique sa fondatrice, Sarah Zouak. Nous avons reçu énormément de témoignages. La première chose à laquelle nous pensons, ce sont les victimes. Nous savons à quel point c’est dur pour elles de parler, surtout contre quelqu’un de connu. Mais nous voulons aussi rappeler que le patriarcat n’a ni religion ni classe sociale, et que l’on ne doit pas instrumentaliser des affaires de ce type. »
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