C’est une tradition depuis maintenant 20 ans dans l’Aude. Le Département invite les lauréats du concours national de la Résistance et de la Déportation à visiter les lieux qu’ils ont étudiés.
Cette année, le voyage au nom de la Mémoire a amené une petite soixantaine d’étudiants, d’enseignants et d’élus à Cracovie à Pologne. À 80 km d’Auschwitz et Birkenau, ont été assassinés 1 200 000 personnes, dont 1 100 000 juifs.
Sinistres bouleaux
Durant quatre jours sous une pluie incessante et par 8 °C, il fallait une certaine forme de courage à ces jeunes audois pour affronter à la fois le vide laissé par une communauté exterminée entre 1942 et 1943 dans ce périmètre alors qu’elle représentait un quart de la population de Cracovie, et surtout pour arpenter le sinistre dispositif de mise à mort nazi, élaboré à Auschwitz et mis en œuvre à Birkenau. Birkenau, littéralement « la prairie de bouleaux », est d’abord bâti à partir des briques d’un village évacué par les Allemands, puis dotés de chambres à gaz et de fours crématoires. La cadence des assassinats supervisés par les SS est tellement élevée, que l’entreprise ayant conçu ces usines de la mort, initialement spécialisée dans les crématoriums, s’en plaint aux autorités qui déplorent trop de pannes. Les bouleaux sont toujours là, et ils font peur. Sous un monticule trop loin pour y déposer une gerbe, on apprendra que se trouvent les cadavres des premiers convois français. Des photos clandestines montrent ces mêmes forêts, jonchées de corps.
L’horreur est déjà palpable sur ce lieu des crimes innommables. Et pourtant c’est surtout dans l’après-midi, lors de la visite du camp d’Auschwitz à 500 mètres de là, une ancienne caserne où devaient être éliminées les élites polonaises avant que ne soit décidée à Berlin la « solution finale », que les visiteurs audois ont touché du doigt l’ampleur de la Shoah, l’élimination systématique des juifs d’Europe.
Traces indélébiles
Les cheveux des victimes, que les Nazis revendaient aux industriels, leurs valises, chaussures, effets personnels n’ont pas bougé depuis fin janvier 1945, date à laquelle le site a été libéré par l’armée Rouge. Les Allemands ont fui, détruit les chambres à gaz, les documents… mais n’ont pu effacer les traces indélébiles. Ces mêmes traces (en pleine reconstruction et valorisation) de la vie de la communauté juive de Cracovie que les Audois ont trouvé dans l’ancien quartier juif de Kazimierz et dans l’ancien ghetto de Podgórze, sur l’autre rive de la Vistule.
Autre trace saisissante : celle, discrète, parmi des centaines de portraits de juifs français débarqués à Auschwitz exposés dans le bâtiment français du camp d’Auschwitz, du jeune visage souriant de Simone Jacob, qui deviendra Simone Veil. Qui a survécu, témoigné, œuvré pour la réconciliation et la construction européenne. Ce que toutes les générations d’après-guerre sont appelées à faire, malgré le temps qui passe.
« Ce qui reste après, c’est le silence »
Grâce à l’expertise pédagogique du Mémorial de la Shoah à Paris qui avait dépêché à Cracovie son formateur Alban Perrin, les 4 jours de visites ont permis de prendre conscience de l’ampleur de la Shoah, de l’élimination systématique entre 1942 et 1944 de plus de 6 millions d’âmes, dont plus d’un million à Auschwitz-Birkenau. Dès le premier soir, Alban Perrin passe un film noir et blanc datant de 1939 sur la vie quotidienne dans le quartier juif de Kazimierz à Cracovie. « Il y avait 65 000 juifs avant la guerre à Cracovie, soit un quart de la population totale. Les gens que vous voyez sur cette carte postale cinématographique ont tous été assassinés. À Belzec, un centre d’assassinat à 10 km de la frontière ukrainienne. Soyez en conscients ». Deux tiers des juifs d’Europe éliminés Les mots ont leur importance.
Auschwitz n’a pas seulement été un camp de concentration pour prisonniers politiques, destiné à éliminer l’élite intellectuelle polonaise. Son annexe Birkenau était un centre d’assassinat. À peine débarqués des wagons, les juifs étaient dépouillés, gazés au Zyklon B, puis brûlés, par milliers. Le pavillon français d’Auschwitz retrace de façon poignante la chronologie des convois depuis la France. Des transports tous les 2 jours, de plus de 1 000 personnes, dont un très faible pourcentage est momentanément épargné pour entretenir la machine à tuer, être livré à des expériences médicales malsaines. Les autres sont éliminés à échelle industrielle.
Une usine d’assassinat de masse. « Ce qui reste après, c’est le silence. Il n’y a plus personne pour pleurer, commémorer, faire vivre des quartiers, des villages, une économie. Tout le monde à disparu », insiste Alban Perrin. Le silence on le perçoit sur le quai de débarquement de Birkenau, dans une exposition du musée Galicja en quête des traces de l’existence des juifs en Pologne : charniers marqués par des bosquets en plein champ, places de villages désertes, synagogues transformées en garages, magasins, habitations. Un grand silence, en forme de cri, qui résonne encore.
Céleste sur les traces de ses arrières grands-parents
Dans la famille de Céleste Arditi, élève aujourd’hui du lycée Lacroix à Narbonne, « on en parlait » mais semble-t-il avec pudeur. Son arrière-grand-père paternel et son arrière-grand-mère maternelle, « juifs de Turquie et de Biélorussie venus à Paris » ont été déportés en 1942 à Auschwitz. « Convoi n°32 depuis Drancy et N°8 depuis Angers ». Ils ne sont pas revenus. Ses grands-parents ont pour les uns vécus cachés dans un couvent, se sont réfugiés dans le Midi pour les autres. « On a marché là où mes arrières- grands-parents ont marché » Elle était au collège de Sigean lorsqu’elle s’est décidée à participer au concours national de la Résistance et de la Déportation. « Les témoignages de mes grands-parents ne suffisaient pas, alors avec 5 élèves on a contacté le Mémorial de la Shoah, le musée national d’Auschwitz… pour apprendre des choses que ma famille ne savait même pas ».
Pour cette jeune fille pétillante de 15 ans, au regard triste le soir de l’interview, la visite a été certes « l’aboutissement d’un projet » mais aussi un poids. « Je connaissais des détails que n’a pas dits le guide et… On a marché là où mes arrières grands parents ont marché » Céleste Arditi (l’élue écologiste Maryse Arditi est sa grand-tante) ne refera pas d’autre concours et ne revivra pas d’autre expérience comme celle-ci : « Ca m’a suffi de travailler pendant un an sur ça ». « C’était beaucoup…» conclut-elle. Et puis elle ne cherchera pas à « montrer des photos de son voyage » à ses grands-parents. « On aimerait penser que c’était des fous qui ont fait cela, mais c’était organisé, industriel. C’est ça qui fait peur, parce que la folie, c’est passager. Le génocide était réfléchi. Le matin, la visite de Birkenau restait en quelque sorte virtuelle pour beaucoup, pas palpable. Après (à Auschwitz I), le fait de voir les montagnes de valises, de cheveux, d’objets, ça a laissé des traces. J’ai le même ressenti que lors de la visite du Struthof, une prise de conscience » commente André Viola.
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