J-5. Le procès qui à l’évidence devait être filmé et ne le fut pas en est aux plaidoiries. Après ce jeudi où déposèrent les parties civiles, ces heures où Salle Voltaire peu retinrent leurs larmes.
Après la bombe lancée par l’existence de cette liste qui nous fut à tous cachée. Cette liste qui aurait pu permettre que le carnage fût arrêté. Après l’indignité de la prise de parole de Zoulikha. L’indignité des avocats de la défense qui osèrent évoquer la mère d’un mort. Osèrent appeler l’autre Mohamed. Après que l’on eût écouté Abdelghani ou l’espérance. Après que l’on ait vu, jour après jour, le frère de l’autre, sur son banc impassible. Celui-là qui n’eut pas même la pudeur d’avoir appris à dire leurs noms. Imad . Abel. Mohamed. Jonathan. Arié. Gabriel. Myriam.
Le procès des deux comparses touche à sa fin. Et jeudi parole était donnée aux avocats des parties civiles.
Ils sont entre 15 et 20. Leurs noms vous sont étrangers ? Retenez-les : les media ne vous ont parlé d’eux, pièces essentielles à la défense de notre nation. Media trop occupés pour s’adonner au dit procès, ou, lorsqu’ils s’y livrent, croient avoir en Dupond-Moretti la fleur.
Cette plaidoirie-là je vous la livre car elle comptera pour beaucoup. Il s’appelle Maître Frédéric Picard. Avec deux autres, il représente la famille d’Abel.
Monsieur le Président,
Mesdames de la Cour,
Monsieur le Conseiller
Les faits objet du procès auquel nous participons depuis maintenant presque quatre semaines sont des faits terribles, vous l’avez rappelé, Monsieur le Président lors de l’ouverture, mais ils revêtent aussi une dimension, nous le savons maintenant, particulièrement terrifiante.
Terrifiante d’abord parce que des enfants et un père de famille juifs ont été tués en France parce que Juifs devant une école.
Terrifiante ensuite parce que des soldats français ont été tués dans leur pays à quelques dizaines de mètres de leur caserne, en période de paix.
Terrifiante enfin parce que notre état et ses dirigeants ont été incapables d’anticiper la menace terroriste qui planait sur nos têtes déjà à l’époque.
En effet, à notre sens et celui de la famille que nous avons l’honneur de représenter, le périple assassin de Mohamed Merah revêt une dimension que nous pressentions mais dont nous avons eu confirmation par la suite, une dimension annonciatrice de la vague d’attentats que nous vivons et vivrons encore pour une durée qu’il nous est impossible d’anticiper.
Mais trêve de politique, portons-nous au 15 mars 2012 dans la petite ville de Manduel, située dans le département du Gard.
Albert Chennouf-Meyer et son épouse Katia sont dans leur maison, par cette journée paisible et ensoleillée. Albert a fêté son anniversaire en famille deux jours auparavant et, au terme d’une belle et longue carrière dans le domaine commercial, s’apprête à vivre une retraite amplement méritée. De plus, Albert et Katia vont être à nouveau grands-parents.
Le troisième enfant du couple, Abel, ainsi que l’a rappelé mon Confrère Béatrice Dubreuil, est caporal au 17ème Régiment de génie parachutiste à Montauban. Il est déjà parti en mission notamment au Sénégal et en Afghanistan. Sa compagne attend un enfant pour très bientôt.
Albert et Katia ne peuvent s’empêcher de nourrir quelques inquiétudes quand Abel est en opération extérieure. Les fameuses OPEX, pour reprendre l’expression militaire, leur font peur mais leur crainte se mêle à cette fierté de voir Abel porter haut les couleurs de la République à laquelle toute la famille est attachée.
Albert allume la radio. Lui et Katia sont pris d’une immense frayeur en entendant que trois soldats du 17ème RGP de Montauban ont été pris pour cible. Au même moment le téléphone sonne. C’est leur fils Tony : « Papa, allume la télé, il y a du grabuge à Montauban ».
Albert tente immédiatement de joindre Abel sur son portable. Ils essayent également de le joindre depuis le portable de Katia. Abel rappelle toujours sa mère. Mais à ce moment-là, aucune nouvelle.
Albert, pétrifié et une boule dans la gorge, a alors compris que lui et Katia venaient de perdre leur enfant.
Un appel téléphonique vient d’abord ranimer l’espoir : le préfixe en est 05, comme le numéro d’Abel. Mais il s’agit d’un appel en provenance de la caserne qui vient confirmer la nouvelle. Leur monde s’effondre. L’univers familial, calme et harmonieux, vient d’être frappé par un tsunami.
Les faits sont particulièrement terrifiants quand on prend connaissance du mode opératoire : une attaque éclair. Celle d’un tueur sûr de son geste, celle d’un terroriste formé et préparé. Le mode opératoire, tel que l’on peut le lire sur le rapport d’expertise des vidéos de la caméra gopro que l’assassin terroriste portait, comble du narcissisme, sur lui, est particulièrement terrifiant. L’attitude est décrite par la vendeuse de la boulangerie qui dépeint quelqu’un de « froid, serein, déterminé.»
Un autre témoin : « Il était comme une machine. C’était mécanique, calculé depuis longtemps, il était venu là pour faire sa mission. »
Mohamed Merah indiquera par ailleurs avoir effectué des repérages la veille sur les lieux-même. Ainsi que nous le voyons, la préméditation est portée à un niveau quasi-maximal.
Nous avons là un individu froid, d’une détermination poussée à son paroxysme, qui prépare ses passages à l’acte en en montrant tous les détails à la caméra, dans le but d’une sinistre postérité.
Mohamed Merah est ce que l’on appelle un tueur organisé. Il ne laisse rien au hasard, et fait preuve d’une maîtrise de lui-même quasi-absolue. C’est ce que l’on appelle de l’intelligence opérationnelle acquise durant plusieurs années de délinquance et de rue.
Mais, ce qui a manqué à Mohamed Merah, c’est une charpente idéologique. Il était totalement déstructuré, impulsif et manipulable. C’est ce qui ressort d’un jugement du juge des enfants en 2003 après qu’il eût été placé un court moment : « Attendu que le mineur adopte un comportement inadmissible en placement, se montrant injurieux et violent comme il a pu le faire dans le cadre d’autres placements, Qu’il fugue et que sa famille très ambiguë, Qu’il convient de donner mainlevée du placement et de renvoyer tant le mineur que sa famille à adopter une position cohérente. »
Outre le côté « lettre au père Noël » de la motivation de ce jugement, nous ne pouvons que constater que les services sociaux étaient en échec total face au comportement de Merah alors qu’il a quatorze ans et demi. Il a persisté ainsi dans cette attitude de toute puissance et d’immédiateté, ainsi que d’intolérance totale à la frustration.
A partir de son incarcération de 2009, il se tourne vers une « pseudo-religiosité », mi délinquant, mi-militant fanatisé, il adhère à une idéologie de mort. On ne peut même pas parler de spiritualité ou de croyance, Mohamed Merah n’est alors intéressé que par les vidéos de décapitation et les histoires du tristement célèbre Oussama Ben-Laden. Des occupations qu’il partage notamment avec son frère Abdelkader et sa sœur Souad.
Mais son impulsivité est encore intacte. Ainsi amène-t-il un adolescent chez lui pour lui projeter durant plusieurs heures des vidéos d’exécution et de décapitation.
Quand la mère et les sœurs de ce jeune homme vont protester auprès de lui, il les violente. L’évolution est déjà très inquiétante, mais nous retrouvons l’impulsivité et l’agressivité propres aux profils « antisociaux ».
Son attitude est faite de haine et de rage. Comment a-t-il évolué vers le monstre froid qui accomplit le sinistre périple de mars 2012. A l’évidence sa haine et sa rage se sont trouvées canalisées vers le but de semer la mort. Pour comprendre comment ce délinquant incontrôlable a changé pour devenir un tueur méthodique et calme, nous ne pouvons que nous tourner vers son frère Abdelkader.
Sa personnalité ne donne plus l’impression d’être désordonnée. Il apparaît totalement structuré. Une charpente idéologique a été méthodiquement construite par Abdelkader qui au fil des ans s’est érigé en petit idéologue au sein de la mouvance toulousaine.
Parmi les nombreux éléments établissant que celui-ci est l’élément structurant, nous pouvons formuler, les observations suivantes : Au départ du père de la fratrie, Abdelkader fait tout pour prendre la place de celui-ci auprès de son petit frère. Et il y parvient en le cognant, en le cassant et en l’humiliant comme pour mieux le contrôler Par ailleurs nous savons par l’aîné de la fratrie, Abdelghani, que la famille baignait dans une atmosphère délétère, où figurait en bonne place un climat de haine notamment vis-à-vis des Juifs et des Américains.
Ainsi Anne Chenevat, alors compagne d’Abdelghani, en a-t-elle fait les frais, subissant des injures sur ses origines françaises et de lointaines ascendances juives.
Mohamed Merah a grandi dans une telle atmosphère. Son frère ainé Abdelkader s’était tourné vers le même type de religiosité en 2006. Au fil des ans il a acquis des bases de connaissances d’un islam qu’il qualifie lui-même pudiquement « d’orthodoxe » suffisantes pour les groupes toulousains issus de la mouvance dite Artigat, où se retrouvent les frères Clain et Sabri Essid : Monsieur Balle-Anduin décrit son rôle dans le groupe des frères Clain à la Rainerie. Il ne fait à ses yeux aucun doute qu’il s’agit d’un rôle de propagandiste.
Abdelkader Merah joue même le rôle de recruteur auprès de jeunes dealers qu’il n’hésite pas à accoster.
Aujourd’hui, espérant probablement tromper le tribunal, Abdelkader Merah prétend qu’il serait l’adepte d’un islam orthodoxe. En vérité, les connaisseurs et les spécialistes appellent cela non pas l’orthodoxie, mais le salafisme djihadiste.
Alors que veut-dire cette fameuse orthodoxie dans la bouche d’Abdelkader Merah quand on sait qu’il n’existe pas d’islam orthodoxe. En vérité, il s’agit de ce fameux islam prétendument purifié de toute innovation selon les extrémistes, de cet islam hostile aux valeurs universelles et violent.
Abelkader Merah nous a avoué ici même que le djihad, c’est-à-dire le terrorisme, était consubstantiel à cet islam si orthodoxe dont il se réclame, même s’il l’assortit de règles aux contours particulièrement flous.
L’islam particulièrement orthodoxe dont parle Abdelkader Merah est en vérité ni plus ni moins que l’islam des frères Jean-Michel et Fabien Clain, ses amis de Toulouse. Ses frères en religion, comme il les appelle, ceux-là mêmes qui ont revendiqué à travers un chant guerrier, les attentats du 13 novembre 2015.
L’islam prétendument orthodoxe dont parle Abdelkader Merah est aussi celui de Sabri Essid, son autre frère de religion comme il l’appelle, qui a fait assassiner un arabe israélien par un enfant de douze ans le fils de sa propre compagne, l’ensemble accompagné par un discours antisémite et par une mise en image particulièrement macabre, largement diffusée sur les réseaux sociaux.
L’islam prétendument orthodoxe dont parle Abdelkader Merah est l’islam de son frère Mohamed, tueur de militaires et de Juifs, qualifié lui aussi de frère de religion.
En vérité, en assumant que tous les terroristes toulousains sont ses « frères de religion », je cite, Abdelkader Merah ne fait rien d’autre qu’avouer faire partie d’une mouvance terroriste, chargée d’appliquer une doctrine, celle en laquelle se reconnaissent Sabri Essid, les frère Clain, Mohamed et Abdelkader Merah, liée à l’époque à Al Qaeda devenu Daesh dans l’intervalle.
Personne d’autre n’est digne d’être le frère d’Abdelkader à ses yeux, ni même son propre frère Abdelghani, hormis ceux qui ont des activités terroristes ou défendent un islam extrémiste. Il avoue tout cela indirectement, quand on le questionne. Pour lui, Mohamed Merah, Sabri Essid ou les frères Clain sont, il l’a dit lui-même en réponse à une question posée par mon confrère Mouhou, des musulmans terroristes.
Savez-vous pourquoi il le dit avec nonchalance ? Parce que dans son esprit, l’islam orthodoxe dont il se revendique ne peut être dissocié du terrorisme, du djihad dira-t-il.
Par son attitude surjouée et parfois nonchalante, par son côté quelquefois méprisant, voire insolent à l’égard des victimes et de la cour, à travers son détachement, Abdelkader Merah nous a montré, non seulement qu’il ne reconnaissait pas notre justice et nos lois, mais par cette attitude, cette condescendance devant une cour d’assises, il a indirectement montré son implication, implication d’un homme qui se croit en mission pour le divin, donc bien au-dessus de nous, de notre quête de justice, notre peine et des drames subies par les victimes.
Vous comprenez pourquoi nous ne pouvons que partager ici même le sentiment exprimé notamment par « Hassan », selon lequel il a joué également un rôle de recruteur auprès de son petit-frère. Ceci est à nos yeux incontestable.
Face à ces affirmations, alors qu’il expliquait avoir atteint le onzième niveau sur douze lors de l’une de ses auditions, il opère lors de l’audience un rétropédalage en expliquant qu’en fait il était au niveau CP. De la part de quelqu’un qui a cinq cent livres sous forme numérique, ainsi que des ouvrages papier dont certains comprennent dix ou vingt volumes sur l’exégèse !!!
Après s’être survalorisé, il verse dans la modestie extrême. Ce ne peut être qu’un repli tactique, technique dont il a démontré lors de la totalité de l’audience une haute maîtrise ! A l’évidence il n’excipe de ce bas niveau que dans le but d’échapper au fait d’être identifié comme ayant produit le ferment idéologique de son frère.
Il y a le vol du scooter du 6 mars 2012, où il est présent. Il a essayé de nous faire croire qu’il était quasiment en état de sidération devant ce vol, ce qui ne l’empêche pas, lors de l’achat du blouson, de tenir le rôle de « conseiller à la discrétion », discrétion par ailleurs prônée par la mouvance salafiste. Mohamed Merah essaye plusieurs blousons et son grand-frère le conseille sur le fait de savoir si tel ou tel modèle est discret ou non…
Pendant la vague d’assassinats, il est fait usage dans les médias du vocable « tueur au scooter ». Il est mis l’accent sur la remarquable maîtrise par le conducteur d’un t-max. Ici encore monsieur Abdelkader Merah, veut nous faire croire qu’il n’a opéré aucun rapprochement, expliquant même qu’il était fait mention d’un scooter Tmax 500, alors que celui volé par son petit frère est un scooter tmax 530. Nous ne pouvons pas être dupes de telles arguties. Alors que dans sa garde à vue, il a expliqué avoir pensé à 90% qu’il s’agissait d’un acte islamiste. (D1128/25)
Tout au long de cette audience, il a fait montre d’une grande maitrise dans l’art de l’esquive, la rhétorique, la dissimulation, cette technique utilisée par les salafistes djihadistes, lorsqu’ils veulent se soustraire à la justice, tromper leurs vis-à-vis.
Abdelkader Merah a souvent menti à la cour. Oui souvent ! Et s’il a menti à la cour à chaque fois que les questions le mettaient face à ses contradictions, et donc en difficulté, c’est aussi et peut-être surtout parce qu’il ne reconnaît pas cette Cour. Il ne reconnait pas la justice, car celle-ci, la nôtre, n’est pas la sienne. Il nous l’a dit ici même à plusieurs reprises, car dit-il, il ne reconnaît que les lois édictées par son dieu, et je dirai même davantage, il ne reconnaît que les lois propagées par sa doctrine extrémiste.
Un autre élément parmi ceux nombreux présents dans le dossier : le culte de la mort. La phrase de Mohamed Merah : « moi la mort je l’aime autant que vous aimez la vie » vient en écho à la recommandation d’Abdelkader Merah à son neveu Théodore Chenevat de faire le tour des morgues pour y voir des corps.
Nous voyons que même si le niveau religieux de Mohamed Merah est bas, en tout cas plus bas que celui de son frère, les deux fonctionnent en fait « en synergie ». En assassinant froidement des militaires et des Juifs, Mohamed a fait à Abdelkader le plus beau des cadeaux, c’est lui-même qui le dit.
Monsieur le Président, Mesdames de la cour, permettez-moi de revenir à Albert et Katia. Les parents d’Abel gagnent Montauban dans la nuit du 15 au 16 mars. Ils sont accueillis par Caroline et sa famille, par les camarades d’Abel, les officiers… Le dimanche suivant, ils sont enfin autorisés à voir leur fils, et à se recueillir auprès de lui. Et apparaissent les regrets, les réminiscences des occasions de se voir qui ne purent se concrétiser. Albert et Katia regrettent encore de n’avoir pas pu se rendre à Montauban alors qu’Abel les avaient conviés. Ces regrets sont bien entendu infondés, dans la mesure où il est impossible de vivre dans la perspective qu’un enfant soit arraché de cette vie pour des motifs de haine. Mais ces sentiments ne peuvent faire autrement qu’émerger, et même submerger un père et une mère confrontés à une telle épreuve.
Lors de la fermeture du cercueil, Albert demande à parler à son fils. Et il lui fait une promesse : « Va mon Enfant. Dors en paix. Je saurai pourquoi tu as été assassiné, je ne reculerai devant rien, je te le promets ».
Depuis Albert, soutenu par Katia et ses autres enfants, n’a pas cessé de traquer la vérité où qu’elle se trouve. Aujourd’hui au nom des siens, pour Abel, pour Caroline et Eden, il réclame justice.
Après l’épreuve de l’annonce du drame, vient celles des procédures certes nécessaires mais en même temps inhumaines, il en est ainsi de la perquisition au domicile d’Abel pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une affaire de droit commun.
Puis ce furent les funérailles, la cérémonie à la cathédrale.
Puis les reproches pour le moins déplacés sur le fait qu’Abel a été accompagné à sa dernière demeure et vers l’au-delà selon le rite catholique. Il y a aussi le défilé des officiels. Le président de la République prononce un discours qui s’avère être à la hauteur de la situation. Il fait la promesse à Albert que l’auteur sera pris vivant.
Nous savons la suite. Merah sera abattu une demi-heure avant que le cercueil d’Abel ne soit amené au cimetière de Manduel.
Aux journalistes qui demandent après l’inhumation, mais était-ce vraiment le moment, à Albert ce qu’il pense du fait que Merah ait été abattu, il ne peut que faire part de son dépit et de sa colère.
Puis ils partent pour Alger pour voir la famille de Katia, et ainsi avoir quelques moments de convivialité dans l’épreuve qui ne fait que commencer.
Mais le retour dans la maison vide n’en est que plus terrible. L’une des chambres, la chambre d’Abel sera à jamais inoccupée. Elle sera décorée et aménagée avec les affaires d’Abel remises par ses camarades.
La douleur atteint un degré supplémentaire quand, en pleine nuit, une quinzaine de jours après la mort de leur enfant, Albert voit Katia sur le canapé, en larmes, serrant la photo d’Abel contre elle.
Le lendemain, de retour du cimetière, les larmes ne quittent plus les parents en deuil qui en arrivent à formuler le projet de tout arrêter et de quitter cette vie ensemble. Au fil de la conversation, ce projet évolue et se mue en une décision ferme.
C’est alors qu’une intervention du destin, ou de Dieu survient, sous la forme d’un appel téléphonique du frère de Katia. Comprenant la situation, il les supplie de ne pas faire cela, et contacte immédiatement Sabrina et Tony, sœur et frère d’Abel. Sabrina habite à plusieurs centaines de kilomètres, mais appelle ses parents immédiatement, tandis que Tony se précipite au domicile de ses parents. Le projet de départ à deux est abandonné.
Les larmes demeurent. S’additionnent-elles ? Des larmes de sang peuvent-elles être mêlées à des larmes de crocodile ? La famille d’Abel est une famille dévastée mais confondante de dignité.
Albert et Katia, permettez-moi d’exprimer ici ma fierté de vous avoir assistés aux côtés de mes confrères Béatrice Dubreuil et Jean Tamalet. J’espère avoir été digne de la confiance que vous m’avez témoignée.
Je voudrais conclure en revenant sur le caractère symbolique de la vague d’attentats de mars 2012, en ce qu’elle a annoncé l’époque dans laquelle nous vivons maintenant, où nous avons perdu une grande part de notre insouciance, où, quand nous sortons pour nous divertir, il nous arrive de nous demander si nous rentrerons à la maison, au retour du cinéma, du théâtre, du restaurant.
Cela ne nous empêche pas de vivre, certes, et il le faut absolument, ne serait-ce que pour apporter une réponse cinglante, à ceux, tels Abdelkader Merah, qui voudrait nous placer sous le joug sinistre d’un enfer délirant, mais à côté du caractère de nouvelle forme de guerre à laquelle nous devons faire face, notre époque est, je crois, celle des illusions perdues.
Mais une chose est certaine : dans toute vague d’attentats, de violences, de meurtres et d’assassinats, il apparaît dorénavant totalement nécessaire de lutter contre les auteurs principaux, mais également contre les idéologues, les doctrinaires qui disent la loi et l’interprètent dans le sens de leurs instincts mortifères et, dans le cas d’espèce, si Abdelkader Merah n’a bien sûr pas tiré sur les victimes, tout montre qu’il a armé idéologiquement psychologiquement, politiquement et intellectuellement son frère, son frère en religion, le fameux tueur au scooter, non sans l’assister sur le plan logistique.
Alors réprimer les tueurs, les terroristes, quand c’est possible, en faisant passer les seconds, ceux qui légitiment leurs actes meurtriers en arrière-plan, cela reviendrait à concentrer ses efforts sur le baril de poudre en accordant moins d’attention au détonateur, ou en accordant son attention au détonateur, et moins à celui qui l’actionne.
Je me permets de demander à la cour d’avoir ceci en tête au moment de rendre son verdict. Les victimes nous ont accompagnés tout le long de ce procès. Je ne crois pas qu’elles nous quitteront, celui-ci terminé.
Avec les confrères aux côtés desquels je me suis trouvé, j’aurai une place dans mon cœur pour le Caporal-Chef Abel Chennouf et toutes les victimes.
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