Le fondateur des cinémas MK2 présente sa collection d’art à la Maison Rouge à Paris. Un ensemble qui plonge les visiteurs au cœur de l’humanité. Magistral.
Qu’est-ce qu’une vraie, une belle collection d‘art ? Certainement pas un simple alignement de grands noms. Pas plus qu’un ramassis de pièces signées des stars du marché dont la cote vient d’exploser sans que nul ne soit capable de l’expliquer. Plutôt un ensemble d’œuvres qui dessine en creux le portrait de son propriétaire. Qui dit ce qu’il est, de quoi il est fait. Qui révèle ses interrogations, ses doutes, ses pensées les plus profondes, comme nous l’ont montré les nombreuses collections dévoilées à la Maison Rouge à Paris depuis 2004.
Dubuffet, Man Ray, Warhol
On ressort ainsi bouleversé de celle de Marin Karmitz, le fondateur des cinémas MK2, qui y est actuellement présentée. Car il émane de ces photos, tableaux, sculptures, statuettes primitives, installations ou dessins hantés par la Shoah, souvent signées des plus grands noms – d’André Kertesz à Martial Raysse, en passant par Dubuffet, Man Ray, Warhol, Giacometti, Kantor ou le photographe Antoine d’Agata -, un sentiment de fraternité avec l’Autre. De communion avec les sans-voix, les sans-grades, les victimes du nazisme, de l’esclavage, des bombes atomiques ou de la marche de l’Histoire. Ceux qui ont été exploités dès leur plus jeune âge ou mis au ban de la société du fait de leur marginalité.
Marin Karmitz se reconnaît-il en eux, lui qui est né en 1938 en Roumanie ? Lui, le fils d’une famille bourgeoise dont une partie a été assassinée du fait de sa judaïté, avant que ses parents ne décident de passer de l’autre côté du rideau de fer et de s’installer en France en 1947 ? Probablement. Comme nous, spectateurs, nous reconnaissons aussi en eux, tant les œuvres qui les racontent offrent une plongée vertigineuse au coeur même de l’humanité.
Travelling de cinéma
Le cinéma occupe une place de choix dans la vie de Marin Karmitz, qui a été réalisateur, exploitant, distributeur et producteur de cinéma. En témoigne cette installation jubilatoire imaginée par Christian Boltanski et qui accueille le visiteur. Projetée en boucle sur un rideau, elle donne à voir un extrait du Dernier des hommes, film muet de Murnau (1888-1931) l’un des maîtres du cinéma expressionniste allemand, figurant la porte tambour d’un grand hôtel actionnée par des portiers. De quoi nous propulser dans une exposition agencée sur les murs de longs couloirs gris, distribuant de petites cellules, et dont la traversée s’apparente à un travelling de cinéma.
Il y a là, les vieux villages juifs d’Europe de l’Est immortalisés par Roman Vishniac (1897-1990) à la veille de la Shoah, traces ultimes d’un monde parti en fumée. Les enfants au travail dans les usines ou les filatures des Etats-Unis, saisis par Lewis Hine (1874-1940) au début du XXe siècle, avant que son travail ne contribue à changer la loi. Cette gueule noire qui ne doit pas avoir plus de 12 ans, photographiée par Gotthard Schuh (1897-1969) en Belgique en 1937, dont on retrouve le travail avec bonheur. Entre eux tous, Marin Karmitz tisse des liens d’une évidence rare. Comme avec les silhouettes noires découpées de l’artiste Africaine-Américaine Karla Walker (né en 1969) qui disent l’esclavage à travers la mise à feu de villages africains, soudain très proches des Schtetl.
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