Agent de maintenance, il était au volant du fourgon de l’établissement quand il a vu Mohamed Merah attaquer l’école et tuer un enseignant et trois enfants juifs. Mardi matin, il a témoigné à la barre la cour d’assises au procès d’Abdelkader Merah, qui comparaît pour « complicité».
Il parle au présent. Ce qu’il a vu, il le revoit. Dans sa tête réapparaissent les images qui le hantent. Le 19 mars 2012, peu avant 8 h, Yacov S. se trouvait à Toulouse devant l’école juive Ozar Hatorah. Agent de maintenance, il était au volant du fourgon de l’établissement, emprunté pendant le week-end pour un déménagement.
À la barre la cour d’assises spécialement composée, qui juge Abdelkader, le frère de Mohamed Merah, et leur ami d’enfance Fettah Malki, l’homme mince coiffé d’une kippa dépose – de témoin, il est devenu partie civile: «Je viens pour la prière de 8 h. Il est à peu près 8 heures moins cinq. Je vois Jonathan Sandler et ses enfants, je le salue. Une personne avec un casque traverse la rue. Je vois M. Sandler s’agiter devant cette personne, je ne vois pas que celle-ci tient une arme, je ne comprends pas ce qui se passe. Je pense que la personne insulte M. Sandler, quelque chose d’habituel. La personne sort un revolver et tire à bout touchant sur M. Sandler, puis sur ses enfants. Je la vois entrer dans l’école, il y a des enfants qui courent. À quelques mètres de l’entrée, il tire sur la fille du directeur. Il continue à tirer sur les corps qui sont par terre. Après il pointe son arme vers moi et il tire. J’ai le temps de me baisser et de faire marche arrière, de remettre la première. Je le vois sur son scooter qui descend la rue en trombe».
Ces quelques phrases plongent les assises dans un silence de sépulcre. Derrière les mots, sobres, précis, d’un témoin impeccable, se tapit la scène insoutenable du dernier carnage de Mohammed Merah.
Me Simon Cohen, partie civile: «Depuis, le mur d’enceinte de l’école a été surélevé, et du fil de fer barbelé y a été installé. Qu’est-ce que cela vous inspire»?
Yacov S.: «Cela m’a énormément choqué. En 2011, avec les premières et les terminales, nous avons fait un voyage en Pologne pour visiter les camps. Un an plus tard, chacun de nous a pensé: ça recommence. Je ne pouvais pas supporter qu’on enferme des enfants derrière des barbelés, mais on était bien obligés, pour leur sécurité».
Me Cohen: «Vous avez dit: “Je pense que la personne insulte M. Sandler, quelque chose d’habituel”. Pourquoi?»
Yacov S.: «On voit, quand on me regarde, que je suis religieux, j’ai déjà été insulté dans la rue. J’ai pensé que c’était ce qui se passait…»
«Quand il tirait, c’était des exécutions ciblées»
Il précise eu sujet de Mohammed Merah: «Quand il tirait, c’était des exécutions ciblées, précises, sans aucune hésitation ni improvisation».
Me Elie-Steve Korchia entreprend alors d’interroger Abdelkader Merah, qui répond de complicité dans les trois tueries perpétrées par son cadet, tué par la police le 22 mars 2012. Mais l’avocat manque son but, en tendant sur le terrain de la morale un piège bien trop grossier pour le barbu du box, qui a déjà prouvé qu’il est loin d’être sot: «Éprouvez-vous de la honte à l’évocation des actes de votre frère»?
L’accusé: «Je m’adresse à Yacov S., nous sommes croyants tous les deux. Je suis sincèrement désolé de ce qui est arrivé, je ressens de la tristesse, de la honte et des regrets. J’ai appris ce qui s’est passé de manière extérieure, c’est déjà insoutenable, mais M. S. a vu de ses propres yeux».
Un autre avocat: «C’est la première fois que vous évoquez des regrets depuis le début de l’enquête»…
Abdelkader Merah: «Depuis cinq ans je suis à l’isolement. J’ai lu des ouvrages écrits par des familles des victimes, je parle avec le cœur. Je vois la tristesse dans leur regard, même si, par respect, je ne les fixe pas dans les yeux. Je vois la mère de Mohamed Legouad (tué par son frère le 15 mars 2012) âgée et fatiguée, comme ma mère, et j’invoque Allah pour qu’il la soutienne et l’apaise».
Abdelkader Merah est-il sincère? Lui seul le sait. Est-ce si important que cela, finalement, la sincérité réelle ou feinte d’un accusé, quand un verdict, même dans une affaire de terrorisme, même rendu par une cour d’assises spécialement composée, se motive sur des preuves, et non sur des émotions.
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