Au Kurdistan irakien, la difficile renaissance du judaïsme (2/2), par Ines Gil

En 597 avant notre ère, après la destruction du premier temple à Jérusalem, l’exil à Babylone commence pour les juifs. Au bord de l’Euphrate, sur les terres de l’actuel Irak, la diaspora juive voit le jour et certaines lois constitutives du judaïsme sont édictées.

Les difficultés d’obtenir des informations sur les « juifs kurdes »

« Combien y a-t-il de juifs au Kurdistan ? », Sherzad Mamzani me répond d’un air d’évidence : « Des centaines de familles ! Beaucoup vraiment beaucoup ! ». A l’évocation du nombre de membres constituant la communauté, un certain flou plane lors de la discussion. Sherzad Mamzani continue : « Durant les Shabbat, nous sommes tellement nombreux, tout le monde est présent, c’est incroyable ! ». Je lui demande si je peux participer à un Shabbat avec eux : « J’aimerais rencontrer les autres membres de la communauté ». Sherzad hoche la tête : « Je ne pense pas que ça va être possible ». Malgré de multiples relances, uniquement quatre juifs kurdes m’ont été présentés et je n’ai été conviée à aucun Shabbat.

Les recherches actuelles sur les juifs irakiens – kurdes compris – affirment que les derniers juifs du pays ont fui pendant la guerre du Golfe. Après l’apparition du Kurdish Jewish Community, les questionnements se sont multipliés : existe-il réellement une communauté juive au Kurdistan irakien ? Dans un article consacré au Jerusalem Post, Mordechai Zaken, chercheur israélien spécialisé sur la question kurde, affirme qu’il « n’y a pas de communauté juive au Kurdistan » . Pour lui, la plupart des familles qui se revendiquent juives « sont des kurdes musulmans qui ont peut-être une grand-mère ou une arrière grand-mère d’origine juive, qui s’est convertie à l’islam il y a deux ou trois générations ».

La région du Kurdistan ne compte aucune synagogue fonctionnelle. Sherzad Mamzani m’a affirmé qu’il existait des centaines de familles kurdes juives. 430, selon certains médias. Mais ce chiffre est « incorrect », rétorque Moderchaï Zaken, qui considère qu’il est bien trop surestimé. Après seulement deux semaines passées au Kurdistan irakien, et cinq kurdes juifs rencontrés, il est difficile de dessiner un constat s’ensemble. Les chiffres de « centaines de familles » de kurdes juifs pratiquant le judaïsme au quotidien avancé par Sherzad Mamzani a sans doute été largement exagéré. Néanmoins, les quelques kurdes juifs que nous avons rencontré se sont constitué une identité juive plus ou moins forte. Sherzad souhaite faire prendre conscience à tous les juifs de leur identité. Son objectif : Faire renaitre le judaïsme au Kurdistan irakien.

Au Kurdish Jewish Center, Erbil (Kurdistan irakien)

Le judaïsme des kurdes irakiens renait sur les braises d’un contexte politique tendu

« Qu’est-ce que ça fait d’être juif, kurde, et irakien ? ». Sherzad répond : « Avant tout, nous sommes Kurdes, et après on est juifs, et c’est beaucoup mieux depuis la chute de Saddam » répond Mamzani.

Les juifs kurdes que nous avons rencontrés ne semblaient pas s’identifier en tant que juifs, ou tirer des références culturelles du judaïsme. Ils sont Kurdes avant tout. A la question de savoir comment ils se sentaient en tant que juifs dans cette région du monde, Sara, Sherzad ou encore Taha, nous ont tous répondu avec la même logique implacable : « Depuis la fin de Saddam et l’autonomie du Kurdistan, nous pouvons nous exprimer en tant que juifs. On n’a aucun problème avec les Kurdes ! ». Les questions personnelles, liées à l’identité, offrent des réponses rythmées par le politique : « On vivra encore mieux dans un Kurdistan indépendant ! On est favorable à l’indépendance ! » nous affirme fièrement Taha. Le 25 septembre prochain, un référendum pour l’indépendance du Kurdistan irakien est organisé à l’initiative du gouvernement kurde. Malgré la ferveur créée par cet événement, le Kurdistan est encore loin d’être indépendant. Bagdad, et la plupart des Etats de la région, s’y opposent. La plupart des Etats, sauf Israël, qui a fermement indiqué son soutien à l’indépendance kurde . « Qu’est-ce que vous pensez d’Israël ? ». Sherzad Mamzani répond : « C’est mon deuxième pays, après le Kurdistan ». Mais les autres membres rencontrés donnent une place bien plus marginale à l’Etat hébreu. Pour eux, Israël est lié à leurs origines, et une partie de leur famille y a émigré. Mais ils s’identifient avant tout au rêve kurde : « Je ne partirai pas, mon pays est ici, ma vie est ici, au Kurdistan », nous affirme Sara.

Au Kurdish Jewish Center, le drapeau américain et une photo de Sherzad Mamzani avec le consul américain à Erbil montrent les liens forts existants entre le KJC et les Etats-Unis

L’affirmation de la communauté juive kurde est donc intimement liée à la chute de Saddam Hussein, à la « libanisation » de l’Irak, à l’avènement d’un Kurdistan autonome, mais aussi à l’apparition de Daesh. Pour Sara : « Quand Daesh est arrivé, on a senti une vraie menace aux portes du Kurdistan, ça nous a surement poussé à nous affirmer ». Avec la peur de l’Etat islamique, certains Kurdes d’ascendance juive se sont réfugiés derrière l’identité kurde et des origines juives oubliées. Et les combattants de l’Etat islamiques ne sont pas la seule menace selon elle : « On doit aussi se protéger de la menace iranienne. L’Iran est très hostile aux juifs ».

Au Kurdish Jewish Center, Erbil (Kurdistan irakien)

Au Kurdistan irakien, certains kurdes redécouvrent une identité juive perdue, au fil des conversions, de la répression, de l’exil, et de l’oubli. Le chemin vers la constitution d’une communauté consciente de son identité, de son histoire, est semé d’embuches. Sur leur parcours, ces kurdes qui se reconnaissent comme juifs, sont encore peu nombreux. Ils sont en quête d’alliés, et des modèles politiques pour avancer. Aujourd’hui l’enjeu pour les kurdes juifs, n’est pas tant de se positionner contre – contre Daesh, contre Bagdad, contre l’Iran – autour d’une identité parfois superficielle, mais de savoir d’où ils viennent, ce qu’ils veulent être, afin de reconstituer une communauté millénaire sur les terres irakiennes.

[1] BEN SOLOMON Ariel, « So are there jews in Kurdistan ? », Jerusalem Post, Le 12 novembre 2015, Consulté le 15 septembre 2017 (en ligne), URL : http://www.jpost.com/Middle-East/So-are-there-Jews-in-Kurdistan-432756

[2] « Israeli Minister : Independant Kurdistan would benefit Israel and the West”, Haaretz, publié le 11 septembre 2017, Consulté le 15 septembre 2017 (en ligne), URL : http://www.haaretz.com/israel-news/1.811697

Ines Gil

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